« AUJOURD'HUI, seulement 400 000 personnes peuvent accéder aux médicaments antirétroviraux dans les pays du Sud, un tiers d'entre elles pour le seul Brésil (150 000 en Afrique) », annonce Paulo Teixera, conseiller du directeur du département VIH/sida de l'Organisation mondiale de la santé. Elles n'étaient que 30 000 en 2002 et le chemin parcouru est réel. Cet ancien responsable du programme VIH/sida au Brésil rappelle que le consensus international pour un accès au traitement dans les pays en développement a été long à se dégager. « La communauté internationale a longtemps été réticente. » Il a fallu l'entrée en fonction de la nouvelle équipe dirigée par le Dr Jong Wook-lee pour faire de l'accès aux ARV une urgence de santé publique. L'initiative 3x5, qui vise à permettre à 3 millions de personnes infectées d'être traitées d'ici à la fin 2005, va dans ce sens, même si on estime « que six millions de personnes » ont aujourd'hui besoin de ces traitements. Le défi est donc immense et les ressources financières disponibles sont encore insuffisantes.
Possible et nécessaire.
Le séminaire de l'Anrs est donc l'occasion de souligner qu'un accès plus large est non seulement possible, mais nécessaire. Les différents programmes de recherche menés par l'agence qui en fait une de ses priorités (20 % de son budget, soit 12 millions d'euros) l'attestent. « Les contextes sont différents, les besoins distincts, mais les problématiques se croisent et souvent se rejoignent », affirme le Pr Kazatchkine. Que ce soit dans le cadre de l'implantation des multithérapies antirétrovirales chez l'adulte et l'enfant (à partir de 2 ans) ou dans celui de la transmission mère-enfant, l'efficacité, l'adhérence et la tolérance des traitements sont similaires à ce qu'on observe dans les pays du Nord, « à condition que l'accès au traitement soit gratuit ou subventionné », souligne le Pr Kazatchkine. Outre le Brésil, l'exemple de la cohorte de patients suivis depuis trente mois par l'étude Anrs 1290 au Sénégal montre un taux d'observance de 90 %, avec un taux d'émergence de résistance relativement faible (12 %), pour une bonne efficacité (61 % des patients ont une charge virale indétectable, avec une augmentation médiane des CD4 de 239/mm3). Ni l'argument de la résistance, ni celui d'un relâchement de la prévention ne tiennent. Au Brésil, plus de dix ans après l'introduction des trithérapies, « on observe que les patients sous ARV sont plus respectueux de la prévention que les autres », affirme Paulo Teixera. De même, dans les pays qui n'ont pas officiellement d'ARV, « comme à Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam, où 50 patients bénéficient d'un programme Anrs, les taux de résistance dans la population sont déjà de 6 %, en raison du marché parallèle », explique pour sa part le Pr Kazatchkine.
Les programmes de l'Anrs présentés lors du séminaire portent non seulement sur l'introduction des traitements, mais également sur la prévention de la transmission mère-enfant.
Dans les pays du Nord, le risque a été réduit à moins de 2 %. Les stratégies évaluées dans le Sud ont déjà permis de le réduire à environ 6 %, avec un bon rapport bénéfice/risque. La transmission par l'allaitement reste un problème important : « Dans le cas des mères séropositives, le lait artificiel devrait être considéré comme un médicament. Car, comme le montre un essai au Kenya, une femme sur deux est prête à laisser tomber l'allaitement maternel », souligne le Dr François Dabis (Bordeaux). Les essais d'interruption thérapeutique programmée, à l'exemple du l'étude Trivacan en Côte d'Ivoire, dans laquelle 840 personnes sont incluses, concernent à la fois le Nord et le Sud, et permettront de déterminer les schémas d'interruption les plus adéquats, pour le bénéfice des patients.
Des tests génériques.
A l'image de ce qui se passe pour les médicaments, l'Anrs développe également des techniques biologiques à coût réduit (technique de la PCR en temps réel pour la mesure de la charge virale et technique de numération des CD4). Ces « tests génériques » sont essentiels pour les pays en voie de développement dans le suivi thérapeutique ou le diagnostic de l'infection de l'enfant né de mère séropositive.
Selon Bernard Kouchner, président du réseau Esther, qui espère collaborer davantage avec l'Anrs et l'OMS, les pays du Nord devront s'engager : « Nous devons payer, et il faut le dire clairement. » Mais, comme le fait Esther, il s'agit aussi de « mettre en place de nouvelles stratégies de coopération et de partenariat avec les pays à ressources limitées pour qu'ils s'engagent, malgré leurs difficultés, à une prise en charge plus équitable des patients vivant avec le VIH ». Fidèle à son idée d'ingérence, qu'il veut voir aussi triompher en thérapeutique (« ingérence thérapeutique »), il ajoute : « Nous ne sommes pas des colonisateurs thérapeutiques du tiers-monde. Nous sommes des hommes et des femmes qui voulons nous rencontrer et collaborer ensemble. »
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