LE REFUS de soins par un patient est vécu le plus souvent de façon très négative par le soignant. Il exprime une mise en échec face à la maladie, parfois la mort. Il révèle l'impuissance du soignant et l'oblige à sortir de sa compétence habituelle - technique notamment - pour s'interroger sur les limites de sa pratique. Il met au jour les difficultés de la relation médecin-patient, à laquelle s'ajoutent souvent les relations avec l'entourage et les autres soignants.
Une forme d'agression.
Dans le rapport de la Commission nationale permanente adopté par les Assises du conseil national de l'Ordre des médecins le 5 juin 1999, le refus de soins est abordé comme un « échec pédagogique » du médecin, le résultat d'une « surinformation non filtrée » du patient, la conséquence d'une « trop grande dépendance à l'égard du soignant » ou au contraire d'une « formation sanitaire dirigiste » mal vécue par le patient. Dans tous les cas, tout se passe comme si un patient correctement informé ne pouvait refuser un traitement proposé par un médecin compétent. On comprendra donc aisément que le refus de soins soit interprété par le soignant comme une remise en cause de sa qualité de professionnel.
Nathalie Prieto, responsable régionale de la cellule médico-psychologique du Samu, hôpital Edouard-Herriot, Lyon (également formatrice auprès de soignants sur des problématiques liées à la violence), estime que le refus de soins revêt une forme d'agressivité passive « qui met les soignants dans l'impuissance : ils le vivent très mal, ne le décodent pas toujours, voient cela comme un échec ». Il s'agit alors de se demander « ce qui fait qu'on ne supporte pas ça ». Car la réponse naturelle à l'agressivité, c'est la violence.
En psychiatrie, où la problématique est récurrente, les témoignages sont nombreux de soignants imposant violemment des soins - par contention, injection, gestes agressifs - parce qu'ils sont pris entre la nécessité d'agir et l'opposition du patient. Selon les membres de l'équipe mobile de soins palliatifs (Emsp) des hôpitaux universitaires de Strasbourg*, le refus de soins est une situation « violente » qui peut susciter trois types de comportements chez les soignants : soit une ignorance pure et simple de la situation ( « qui n'a pas lieu d'exister »), soit une culpabilité et une peur « à l'origine de comportements réactionnels à leur tour violents », soit un questionnement « inconfortable » mais salutaire à propos du patient, de soi-même et de l'équipe soignante.
Le Comité consultatif national d'éthique (Ccne) explique dans son avis d'avril 2005 que, « pour le médecin, respecter un choix manifestement déraisonnable du malade met en jeu sa responsabilité morale et professionnelle. Il n'en finit jamais de se reprocher d'avoir été incapable de persuasion ou d'apparaître comme animé par l'indifférence ou le désintérêt vis-à-vis de celui qu'il a en charge. » De plus, poursuivent les sages, « la médecine est aussi une culture supportant mal que l'évidence technique de ses pratiques et leur modernité soient mises en balance avec des conceptions traditionnelles jugées comme irrationnelles ». On touche là au cœur du problème : il ne s'agit plus de rationalité scientifique ou médicale, mais d'un dialogue médecin-patient devant déboucher sur le meilleur choix possible du point de vue subjectif de la personne soignée.
(Se) poser les bonnes questions.
« Pourquoi, dans une équipe, certains supportent-ils mieux que d'autres ? » interroge Nathalie Prieto. Le mal-vécu du refus de soins est souvent lié à la difficulté de comprendre un comportement apparemment infondé du patient : « Si vous ne comprenez pas ce qui se passe en vous, vous réagissez de manière agressive car cela vous met tellement en échec », explique-t-elle en citant notamment le cas du patient suicidaire. Selon elle, l'incompréhension et la peur poussent de nombreux soignants à se réfugier derrière des gestes techniques « désincarnés », sans réaliser que, lorsque « l'autre devient un objet sur lequel on agit, c'est de la violence ». Dans les cas extrêmes, le médecin ira jusqu'à l'acharnement thérapeutique afin de se rassurer sur sa capacité de maîtrise de la situation.
Les membres de l'Emsp de Strasbourg proposent alors quelques pistes de réflexion : « Y a-t-il vraiment refus ? » (oui, s'il y a persistance du refus dans la durée et quel que soit le soignant), « Le refus est-il éclairé ? » (par l'information du patient et de la famille), « S'il y a refus éclairé, refus de quoi ? ». A ce propos, le Ccne rappelle qu'il faut bien distinguer « refus de traitement » et « refus de soins », en précisant que « respecter un refus de traitement engage une obligation d'accompagnement ». En effet, certains soignants vont réagir au refus de traitement par un arrêt total des soins, interprétant la demande du patient comme une demande d'abandon. Il s'agit donc de savoir si le patient refuse un geste ou un traitement précis (s'interroger alors sur ce qu'on estime être « le bien du patient ») ou s'il refuse la vie. Il se peut également que l'opposition ne s'applique qu'à un soignant, une éventualité « difficile à envisager, puis à supporter », explique-t-on à Strasbourg, puisque ce refus « nous met dans une impuissance radicale qui nous rappelle que nous n'avons pas tout pouvoir ». Il se peut enfin que le refus soit justifié par le contexte (patient incarcéré vivant le soin comme une intrusion, injonction de soins) ou par une mésentente au sein de l'équipe soignante. On peut citer l'exemple de l'infirmière devant administrer un traitement invasif en désaccord avec le médecin prescripteur : à qui le patient peut-il faire confiance ? Ainsi, rapporte un infirmier psychiatrique à propos des patients de son service, « quand je vois les effets de leurs traitements, je comprends qu'ils aient envie d'arrêter ! » La collégialité de la réflexion est donc essentielle, qu'il s'agisse de mettre en mots une situation difficile, de prendre du recul par rapport à un conflit avec le patient ou ses proches, de s'interroger sur les limites de sa pratique en sortant du contexte purement biomédical, de trouver une cohérence au sein de l'équipe soignante, ou encore tout simplement de se rassurer par rapport au risque médico-légal au regard du manque possible d'information. « Un refus de traitement est souvent l'expression d'un courage. Le reconnaître permet parfois une plus grande sérénité », rappelle-t-on au Ccne. Accepter un refus éclairé, tout en continuant un accompagnement de qualité, est aussi une forme de courage de la part du médecin.
* Emsp des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, « Soins palliatifs pluridisciplinaires chez un malade en fin de vie - Accompagnement d'un mourant et de son entourage », 2003.
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