Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, et le chancelier Gerhard Schröder se sont retrouvés à Poitiers pour discuter de la coopération régionale en Europe. L'idée, chère aux fondateurs de la CEE, est de faire en sorte que les échanges économiques aient lieu directement entre les régions, sans passer par les capitales.
Elle est déjà appliquée ; et les deux chefs du gouvernement veulent relancer cette forme de coopération économique, qui traduit, mieux que les institutions, la signification même de l'Europe unie.
Schröder le réformiste
MM. Raffarin et Schröder n'auront pas manqué d'examiner l'insuffisance de croissance dans l'UE. Ils auront noté que la réforme, en France comme en Allemagne (et dans d'autres pays de l'UE, notamment l'Italie), est indispensable ; qu'elle est difficile à mettre en uvre ; qu'elle se heurte à des traditions, à des corps constitués, à une telle nostalgie de la prospérité qu'elle aveugle ceux qui ne l'ont plus.
M. Raffarin est aux affaires depuis moins longtemps que M. Schröder. Le chancelier, dans les premières années de son mandat, semblait rejeter résolument la « troisième voie » incarnée par Tony Blair. Les idées et le programme du Premier ministre britannique ont créé une scission au sein de la social-démocratie européenne : Schröder et Jospin contre Blair.
C'est seulement une coïncidence : depuis que la droite est revenue au pouvoir en France, le chancelier allemand s'est attaqué avec beaucoup d'énergie aux scléroses sociales qui étaient sur le point de paralyser l'Allemagne. Voyant que la société japonaise était bloquée par les mêmes obstacles (pendant dix ans, il n'y a eu aucune croissance au Japon), M. Schröder n'a pas voulu que son pays coure un tel risque.
Il est en train de tout remettre à plat et il a déjà réformé deux secteurs essentiels, le système de santé et les retraites. Ses recettes ne sont pas miraculeuses. Il a demandé aux Allemands de travailler plus longtemps et de payer partiellement de leur poche le prix de soins, en même temps qu'il diminuait les cotisations sociales. Le message est on ne peut plus clairement libéral : il s'agit de diminuer les prélèvements obligatoires et de considérer certains soins, sinon tous, comme une partie intégrante de la consommation.
Notre ministre de la Santé a déclaré que la réforme allemande était « inenvisageable » en France, ajoutant de la sorte un néologisme à un aveu d'impuissance. Pourquoi n'envisagerait-on pas de demander à chaque foyer dont les revenus seraient situés au-delà d'un seuil à établir de payer 10 euros chaque trimestre ?
On nous répondra que le ticket modérateur existe et qu'il est de loin plus élevé. Mais la plupart des mutuelles remboursent le ticket modérateur. L'idée centrale de la réforme allemande, c'est de faire payer aux patients une somme, si modeste soit-elle, qui n'est pas remboursée, pour leur rappeler que la santé n'est pas gratuite et que les 10 euros par trimestre correspondent à une franchise, comme il y a des franchises pour toutes les assurances.
Une concertation spécifiquement allemande
A la décharge de M. Mattei, il y a le fait qu'il appartient à un gouvernement de droite qui n'inspire aucune sympathie aux syndicats de travailleurs. Alors que M. Schröder est de gauche et que, en outre, il existe en Allemagne une politique de concertation sociale qui permet au gouvernement de négocier avec les syndicats avant de prendre ses décisions. Et pour que les syndicats allemands aient accompagné les deux réformes, la retraite et la santé, il faut qu'ils soient, décidément, bien différents des nôtres.
Une indigestion
En France, la réforme de la retraite a été adoptée par le Parlement sur la base d'un accord entre le gouvernement et la CFDT. Il semble bien que le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, n'a pas fini de payer ce que ses propres troupes considèrent comme une trahison. En fait, la réforme de la retraite a été tellement indigeste que le gouvernement a repoussé d'un an la réforme du système de santé et qu'il a rapidement battu en retraite sur les 35 heures.
M. Raffarin est à cet égard le champion du ballon d'essai : il laisse son entourage annoncer des mesures draconiennes, comme il l'a fait au sujet de la suppression du jour férié le lundi de la Pentecôte, pour démentir dès que les boucliers se lèvent. Il ne renonce pas, mais il laisse l'idée imprégner les esprits.
Le Premier ministre fait un peu de la psychologie de masse. Les Français n'aiment pas être brusqués. M. Raffarin a compris qu'ils se précipitent avec autant d'agressivité contre les épouvantails que contre l'application des mesures réellement adoptées. Il leur offre donc de quoi s'aiguiser les dents, dans l'espoir qu'ils se familiarisent avec le projet et qu'ils finissent par percevoir comme une fatalité ce dont ils avaient été longuement prévenus. Vous verrez que le prochain lundi de la Pentecôte ne sera pas férié.
Mais tous les problèmes ne sauraient être réglés par des stratagèmes. Pendant que le gouvernement joue sa partition, l'opposition joue les churs tragiques. Jean-Marie Le Guen, député PS et membre du Haut Conseil de l'assurance-maladie, affirme que le taux de la CSG sera relevé avant la fin de l'année prochaine, et de deux points plutôt que d'un. M. Le Guen parle d'or : ici même, nous avons écrit récemment que, en bonne arithmétique, il fallait augmenter la CSG de deux points pour rétablir l'équilibre de l'assurance-maladie qui sera, affirme M. Le Guen, de 17 milliards d'euros en 2004. Or un point de CSG rapporte environ neuf milliards d'euros. Avec deux points, le compte est bon.
Question de méthode
Qu'ils paient par le biais de la CSG, de leur poche ou à travers une hausse des cotisations aux mutuelles, les Français, de toute façon, paieront plus cher - et même beaucoup plus cher - pour leurs soins. Ce qui oppose la majorité à l'opposition, c'est la méthode. Le gouvernement recherche une approche la moins douloureuse possible, mais ne se résout pas à augmenter les prélèvements obligatoires après avoir assis tout son projet économique et social sur une réduction des recettes de l'Etat.
Pour la gauche, l'affaire est plus simple : on ne saurait lésiner sur l'accès aux soins pour tous et le meilleur instrument de l'égalité, c'est la CSG.
Cependant, on n'augmentera pas indéfiniment la pression fiscale sans en subir les conséquences. Si l'égalité d'accès aux soins implique une économie exsangue dont la production va, pour sa plus grosse part, aux recettes budgétaires, on entre dans le cycle infernal de la baisse des investissements, de la réduction des créations d'emplois, donc plus de chômage et, au-delà, une taxation de plus en plus lourde sur un nombre de cotisants de moins en moins élevé.
Aussi, quand M. Mattei nous dit que la réforme allemande est « inenvisageable » en France, que peut-il bien nous proposer, sinon la bonne vieille recette d'une hausse exponentielle de la CSG ?
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature