SI ROSELYNE BACHELOT a voulu tester les résistances au chantier présidentiel du nouveau partage entre solidarité nationale, complémentaires santé et responsabilité individuelle, la ministre de la Santé a été servie au-delà de ses espérances… La «simple piste» du désengagement de la Sécu des remboursements d'optique a aussitôt provoqué un tollé (à gauche, du côté des syndicats de salariés, dans le monde mutualiste…). Une volée de bois vert révélatrice de la sensibilité de l'opinion au débat qui va s'ouvrir sur le financement de la santé, mais aussi des forces qui s'opposeront dans les prochaines semaines.
A regarder les chiffres, le déremboursement des lunettes représenterait une bien maigre économie pour l'assurance-maladie (170 millions d'euros), hors de comparaison avec le déficit de la branche en 2007 (un peu moins de 5 milliards).
Mais la vivacité de certaines réactions, et l'écho rencontré dans l'opinion, montre que le terrain de la réforme en santé est miné, alors même que la polémique sur les franchises médicales n'est pas dissipée (des manifestations continuent trois mois après l'entrée en vigueur de cette mesure). «Sur la santé et l'assurance-maladie, notre difficulté, analyse un parlementaire de la majorité, est de vendre toutes les réformes difficiles en même temps, comme le voudrait Nicolas Sarkozy. Or, ce secteur est celui où les corporatismes sont les plus nombreux. Le partage RO/RC [régime obligatoire/régime complémentaire, NDLR] , c'est déjà très lourd en soi, l'hôpital n'en parlons pas, les ARS [futures agences régionales de santé] , on les promet depuis dix ans sans avoir jamais osé les faire, et les ALD c'est ultrasensible». C'est pourtant ce programme, non exhaustif, qui se profile dans un contexte de croissance molle et de pouvoir d'achat en berne.
Orthodoxie budgétaire.
Jusqu'à maintenant, la répartition des rôles a été plutôt habile. A l'Elysée revenait l'impulsion politique réformatrice et le soin, si besoin, de rassurer « en direct » les principaux protagonistes du secteur – on pense à Nicolas Sarkozy recevant des délégations de la Mutualité française, de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) pour les médecins libéraux... –, à Roselyne Bachelot la gestion du mécano de la concertation et des nombreux rapports d'experts (sur l'hôpital, les ARS, le bouclier sanitaire, les soins de premiers recours avec les états généraux, les inégalités territoriales…).
A Eric Woerth enfin, aux manettes des comptes publics, le discours de l'orthodoxie budgétaire appliqué à la sphère sociale (cinq milliards d'euros d'économies réclamées à la Sécu à partir de 2009 sur la gestion du système, le médicament…).
Cet équilibre risque d'être mis à rude épreuve avec le passage des orientations aux mesures concrètes. Un propos général sur l'évolution du panier de soins est moins corrosif qu'une déclaration précise, fût-elle mesurée, sur le déremboursement des lunettes qui alerte aussitôt les mutuelles, les assurés, les professionnels de la vision…
La réforme de la santé, mission impossible ?
L'économiste de la santé, Claude Le Pen, ne sous-estime pas les difficultés. «C'est le secteur le plus difficile à réformer car on part d'un haut niveau d'avantages sociaux et de prestations. Toute réforme dans ce domaine, pour les gens, signifie forcément un repli, du “moins bien”, quelque chose de douloureux. Dans ce contexte, les erreurs de communication sont fréquentes: le mot “déremboursement” est devenu tabou. En l'occurrence, la ministre aurait pu présenter les choses différemment, par exemple: je vais demander à la CNAM et aux mutuelles de discuter pour renforcer la prise en charge des dépenses d'optique…»
Cartouche brûlée.
Comment s'y prendre ?
Pour Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l'assurance-maladie, invité récemment à tirer le bilan de la réforme de 2004 (« le Quotidien » du 17 avril), le débat qui va s'ouvrir sur le périmètre de la solidarité nationale est d'abord «politique». Une façon de prévenir que le gouvernement devra assumer ses responsabilités même si, précise-t-il, cette discussion «doit avoir lieu avec les complémentaires».
Roselyne Bachelot a déjà assuré qu'elle allait entamer la concertation avec les acteurs concernés. Mais du côté de la Mutualité française, on n'est pas loin de penser que la « sortie » ministérielle mal contrôlée sur l'optique a brûlé une cartouche. «Nous sommes prêts à travailler discrètement, sérieusement, sur le fond, explique-t-on dans l'entourage du président de la FNMF Jean-Pierre Davant. Mais il est impossible de ne pas réagir lorsqu'on est mis devant le fait accompli ou sur le banc des accusés [Roselyne Bachelot a évoqué la hausse de la marge bénéficiaire des complémentaires depuis quatre ans, NDLR]. Un tel coup de tabac pour 170millions, c'est bizarre et ça risque surtout de compliquer une négociation sereine.»
Un sondage récent, publié dans « le Monde » daté du 19 avril, devrait alerter le ministère de la Santé. Interrogés sur le «degré d'urgence pour réformer» tel ou tel domaine (on ne parle pas ici du contenu des changements), les Français classent l'assurance-maladie… au sixième rang seulement de leurs priorités de réforme, loin derrière le logement social ou les retraites, mais aussi les aides sociales, l'éducation nationale et l'ANPE. Une façon de dire que le système actuel leur convient ? Pas si simple : deux tiers des Français (67 %) jugent quand même «urgent» de réformer l'assurance-maladie. Un point d'appui ?
(1) Sondage TNS-SOFRES effectué les 9 et 10 avril 2008 auprès de 1 000 personnes (méthode des quotas).
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