Le chapitre AME du projet de loi de Finances 2004, tel qu'il est présenté par le ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, est tout à la fois clair et imprécis. Clair par la volonté qu'il affiche de tailler dans le montant des frais médicaux financés par l'aide médicale d'Etat : meilleur contrôle de l'ouverture des droits ; participation financière des bénéficiaires (un « ticket modérateur ») ; remboursements limités aux « soins médicalement indispensables ». Et imprécis, car le projet ne dit rien sur la nature des contrôles, ni sur le montant du ticket modérateur, ni encore sur ce qui, en matière de soins, doit être jugé « médicalement indispensable ».
Ce qui conduit Pierre Agogué (Médecins sans Frontières) à dénoncer « l'opacité dans les chiffres ». MSF s'insurge contre ces restrictions : « On ne fait pas de la médecine comme ça, note-t-on à l'association. Et en plus, ça coûte beaucoup plus cher. »
« Ce sont des mesures gadgets par rapport au budget, et qui pénalisent ceux qui n'ont pas d'argent, pas de mutuelle », s'indigne également le Dr Claude Moncorgé (Médecins du Monde). Avec, en prime, des effets budgétaires pervers : « Une bronchite qui dégénère en pneumonie peut occasionner quinze jours d'hospitalisation. Cela coûte plus cher que huit jours d'antibiotiques gratuits. »
Pour le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), l'objectif poursuivi est d' « interdire l'accès à la protection maladie et donc aux soins des étrangers sans papiers ».
En écho, le ministère des Affaires sociales proteste de sa « volonté d'améliorer l'efficacité (de l'AME) tout en maîtrisant son coût », après l'envolée très rapide observée ces trois dernières années : de 100 millions d'euros environ en 2000, son budget devrait dépasser les 600 millions d'euros en 2003.
Cette « montée en charge » s'explique, selon le gouvernement, par « la hausse du nombre d'étrangers en situation irrégulière », ainsi que par « l'insuffisance de contrôle à l'accès au dispositif ».
Le projet de réforme est rendu public au moment où l'Observatoire de l'accès aux soins, créé en 2000 par MDM, publie son rapport annuel. A partir des données de l'inspection générale de l'Action sociale (IGAS), il chiffre à plus de 153 000 personnes (0,3 % de la population) le nombre des bénéficiaires de l'AME : « L'instauration d'un ticket modérateur mettrait fin pour eux à la gratuité des soins, ce qui signifierait pour ceux qui ont peu d'argent une restriction immédiate de l'accès aux soins », estime le rapport.
Concomitamment, l'augmentation du forfait hospitalier pénaliserait, selon MDM, plus de 7 millions de pauvres : ceux dont les ressources dépassent de quelques euros seulement le seuil d'attribution de la CMU et qui ne peuvent payer une mutuelle, c'est-à-dire entre autres les bénéficiaires du minimum vieillesse et de l'allocation adulte handicapé.
Sans ressource
La Mission France de l'ONG (22 centres de soins, d'accueil et d'orientation) a enregistré l'an dernier 51 000 consultations pour près de 25 000 patients ; parmi ceux-ci, la part des étrangers est passée de 70,8 % en 1999 à 86,9 %. Quatre-vingt-neuf pour cent n'ont aucune ressource financière, essentiellement les jeunes de moins de 25 ans, qui n'ont pas encore accès au RMI. Trente-six pour cent vivent dans un logement précaire (chez des proches, dans un squat, une caravane ou un foyer) et 18,5 % sont à la rue, contre 16,1 % en 2000 et 17,6 % en 2001. Au total, la France comptait l'an dernier 86 500 sans-abri et 3 millions de de mal-logés (source fondation Abbé Pierre).
Les médecins de la Mission France ont relevé une polypathologie dans près de 20 % des consultations, ce qui reflète le mauvais état de santé général de ces personnes. Même si on ne peut pas parler précisément de « maladie de la pauvreté », nombre de diagnostics posés découlent des conditions de vie précaires et pathogènes : les affections ORL arrivent en tête (20 %), suivies des problèmes dermatologiques (surinfections cutanées dues au manque d'hygiène, affections hivernales aggravées par le retard aux soin... soit 13,3 % des consultations).
La très mauvaise santé bucco-dentaire est à l'origine de 10 % des actes. Quant à la souffrance psychique, notion qui reste délicate à cerner, elle est évoquée dans 8 % des consultations. « Une grande partie de nos patients ont vécu des événements traumatiques dans leur pays d'origine, note le rapport. Après un parcours migratoire rempli de dangers et d'inconnu, il leur faut vivre avec la perte des repères familiaux et sociaux. »
Enfin, les problèmes de dépendance (tabac, alcool, mais aussi médicaments) sont fréquemment décelés, les comportements alcooliques et tabagiques abusifs frappant davantage les patients français que les étrangers.
Parmi les obstacles signalés à l'accès et à la continuité des soins, la méconnaissance des droits, au-delà de toute considération financière, reste le principal facteur incriminé (26,2 %), suivi par les difficultés administratives (11,7 %) et linguistiques (10,4 %). Résultat, 93,5 % des personnes qui peuvent prétendre à l'AME n'avaient aucun droit ouvert lorsqu'ils venaient pour la première fois en consultation dans un centre de la Mission France.
L'association demande en conclusion que le gouvernement uvre à la simplicité d'accès aux droits. Mais telle n'est pas la priorité qui a été retenue.
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