Le gouvernement veut prendre son temps. En annonçant dans « le Quotidien » que la réforme de la Sécurité sociale n'interviendrait pas avant l'automne et serait discutée par les parlementaires dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, Jean-François Mattei, tout en prenant date et annoncé une réforme inéluctable, a cherché à rassurer les partenaires sociaux : il n'est pas question, sur un sujet aussi important, de conduire une réforme sans discussions et sans négociations.
Mais surtout, le gouvernement, conscient qu'il marche sur des ufs, veut s'appuyer sur les travaux du groupe de travail Chadelat, chargé « de redéfinir la place de la solidarité nationale » et qui doit rendre son rapport à la fin de mars au ministre de la Santé.
En fait, les discussions avec les syndicats auraient déjà commencé, comme le laisse entendre l'entourage du ministre, et certaines idées majeures de la future réforme auraient déjà été évoquées en petit comité.
Parmi ces idées, la place nouvelle que pourraient occuper les assurances complémentaires dans la prise en charge de certains risques. Le groupe de travail Chadelat (« le Quotidien » du 16 janvier) a envisagé, lors de ses dernières séances de travail, de transférer vers les complémentaires, mutuelles et assurances privées, certaines dépenses assurées aujourd'hui par le régime obligatoire de base. Prudemment, et sans excès, il a évoqué la possibilité pour les mutuelles de couvrir dès le premier euro des dépenses pour lesquelles elles interviennent déjà majoritairement : ces organismes assureraient ainsi la couverture complète des dépenses d'optique, de certains frais dentaires, de prothèses auditives, voire de certains médicaments dits de confort qui sont déjà remboursés pour leur plus grande part par les assurances privées ou les mutuelles.
Mais dans l'esprit de certains experts qui travaillent sur le dossier, et même chez des responsables gouvernementaux, il faudrait aller encore plus loin en faisant prendre en charge d'autres soins, afin de soulager le régime obligatoire de base.
Le nouveau « panier de soins »
Si une liste de ces soins n'est pas encore dressée, « on pourrait cependant concevoir, comme le dit un économiste, que certains soins de médecine ambulatoire soient couverts par les assurances privées et les mutuelles, à partir du moment où le principe de la solidarité n'est pas brisé ». C'est-à-dire lorsque il n'y a pas inégalité entre celui qui a une assurance complémentaire et celui qui n'en a pas. C'est toute la difficulté de l'exercice. Comment éviter cette inégalité, sans obliger les assurés à prendre une assurance complémentaire, même s'il est question d'aider à s'assurer ceux qui sont dans le besoin, notamment les personnes dont le revenu se situe légèrement au-dessus du seuil d'accès à la CMU ?
Le débat n'est pas tranché.
Mais c'est toute la question du fameux « panier de soins » qui est une nouvelle fois posée : « Au stade actuel de la réflexion (du groupe de travail Chadelat), confirme-t-on d'ailleurs du côté de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), il est envisagé d'instituer un panier de soins pris en charge conjointement au titre de la solidarité nationale par les assurances-maladie obligatoires et les assurances-maladie complémentaires. Toutes les personnes résidant en France bénéficieraient ainsi d'une assurance-maladie obligatoire et, si elles le souhaitent, d'une assurance-maladie complémentaire de base. Dans cette hypothèse, les organismes d'assurance fixeraient librement les tarifs de cette assurance complémentaire ; une aide personnalisée à la santé, dégressive, permettrait aux plus démunis d'y souscrire. » On a bien compris les réflexions qui agitent aujourd'hui le personnalités rassemblées dans le groupe de travail : un panier de soins composé de prestations indispensables et minimales, un remboursement assuré en majorité par le régime obligatoire et complété par un régime complémentaire de base auquel les plus démunis seraient encouragés de souscrire. Quelles différences avec ce qui existe aujourd'hui ?
D'abord, un panier de soins revu et corrigé, plus restreint que celui qui existe aujourd'hui, et une prise en charge moins large du régime obligatoire. Le contenu du nouveau panier de soins, si l'on en croit la FFSA, serait défini par les pouvoirs publics après avis de la communauté médicale. Les assureurs souhaiteraient que soit mis en place à cet effet un comité des sages (un comité scientifique), qui guiderait la décision des pouvoirs publics sur les prestations à prendre en charge au titre de la solidarité nationale. Cette instance proposerait aussi la répartition du remboursement entre les assurances médicales obligatoires et les complémentaires.
Le transfert des ressources
Au-delà de ce qui relèverait du panier de soins nouvelle formule et de la nouvelle solidarité nationale, les assureurs et les mutuelles proposeraient, pour les autres soins, des assurances supplémentaires. Dans l'esprit de leurs responsables, on pourrait proposer aux personnes qui voudraient avoir les deux niveaux de couverture, l'assurance complémentaire de base et l'assurance supplémentaire, un seul et même contrat.
Reste que ce système, pour intéressant qu'il soit, paraît difficilement acceptable pour les pouvoirs publics. On voit mal le gouvernement tolérer que ce qui relève du panier de soins et de la solidarité nationale soit moins pris en charge par le régime obligatoire de base et dépende aussi d'une couverture complémentaire de base, même si une aide pourrait permettre aux plus démunis d'y souscrire. Mais surtout, en sortant du panier de soins des prestations dont le remboursement ne dépendra que d'une assurance supplémentaire, les pouvoirs publics pourraient être accusés par leurs détracteurs, et notamment l'opposition, de créer de nouvelles inégalités.
Autre difficulté de la réforme envisagée : le transfert de certaines ressources du régime général vers les assureurs complémentaires, qui géreraient de nouveaux risques au premier euro. « Puisqu'ils paieront les prestations, il est normal qu'ils aient en charge et en gestion les ressources qui vont avec », expliquent les assureurs. Mais tout le monde n'est pas d'accord. Lors d'une récente conférence de presse, le président de la Mutualité de la fonction publique (MFP) a contesté ce principe. « Il est dangereux, a-t-il dit, que n'importe quel opérateur soit autorisé à gérer le régime de base de la Sécurité sociale au premier euro. »Les mutuelles de fonctionnaires, dont plusieurs jouent, depuis de nombreuses années, le rôle de la Sécurité sociale pour leurs adhérents en gérant et le régime de base et le régime complémentaire, se prévalent d'un savoir-faire qu'elles contestent à d'autres. Une polémique qui montre bien que rien ne sera facile dans ce dossier. Le gouvernement ne s'y trompe pas, qui y va à pas de loup, en multipliant les précautions et les déclarations apaisantes. « S'il passe sans encombre le rempart des retraites, dit un syndicaliste, tous les espoirs lui sont permis. Dans le cas contraire, il a tout à craindre et peut se faire du souci. »
Mais déjà le temps presse : les grandes lignes du projet de réforme, a expliqué Jean-François Mattei au « Quotidien », devront être prêtes en mai-juin, après examen des propositions des syndicats. Mai-Juin : c'est-à-dire demain.
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