SUZANNE BERNARD dédie son ouvrage aux médecins et au personnel de la maison parisienne de soins palliatifs Jeanne-Garnier, dont «l'attention et les soins l'ont sauvée» ! Sauvée d'une chirurgie dont elle ne voulait pas, d'une médicalisation contrainte et forcée, elle qui, à la suite d'un cancer du sein, souffre de métastases vertébrales menaçant sa moelle épinière en la clouant douloureusement sur son lit. Curieux paradoxe que de recouvrer la vie dans un centre de soins palliatifs, d'y entrer couchée pour mourir et d'en sortir quelques mois plus tard, debout ! Pas guérie non plus, bien sûr, car ce récit n'est pas celui d'un miracle, mais plutôt, comme son titre l'indique, d'un apprentissage du passage vers «l'autre monde», même si ce passage s'en trouve différé.
L'écrivain, spécialiste du Moyen Age et de ses héros mystiques (« le Roman d'Héloïse et Abélard »), devenue militante maoïste avant de partir vivre une dizaine d'années en Chine, où elle rencontrera l'amour de sa vie, est connue, outre ses talents littéraires, pour son refus de toute compromission. De celle des cénacles de l'édition comme de celle qu'exige la jungle du marché. Suzanne Bernard paiera d'ailleurs cher cette obstination à ne jamais transiger. Elle racontera dans « Chair à papier » sa vie dans la pauvreté et le renoncement aux divertissements, entièrement vouée à l'écriture ; «Mon travail s'inscrit à contre-courant des tendances majeures de notre époque: le consensus généralisé, le cynisme chic, la tolérance érigée en dogme», écrit-elle.
Non à l'intrusion chirurgicale.
Le même acharnement à vivre ses exigences, à se conformer à sa cohérence intérieure guide son refus de se soumettre au diktat maladroit d'un chirurgien orthopédiste, alors qu'elle arrive à l'hôpital, paralysée et rongée par la douleur. Quelque chose en elle refuse cette intervention, malgré les implorations de ses enfants comme de ses amis. Pas par désir suicidaire, mais parce qu'elle sent qu'elle n'est pas prête et que les choses tourneraient mal avec cette intrusion chirurgicale. Décharge signée, elle est dirigée vers le centre de soins palliatifs Jeanne-Garnier. Pour mourir. Elle n'y meurt donc pas, mais, accompagnée par des professionnels et des bénévoles le plus souvent exceptionnels, tout en étant totalement coupée du monde, plonge plus que jamais dans la réalité de sa vie intérieure. Sans tricherie ni faux-semblant, « le Passage » est le récit de ce cheminement entre crises d'angoisse, moments d'apaisement, de réflexion et de communication avec celui qu'elle nomme « frère Céleste », sorte de compagnon spirituel de l'au-delà, inventé depuis l'enfance. «Dans ce livre, je dis la vérité, même si elle dérange ou suscite critiques et moqueries. Je vis la fin de ma vie, je m'en voudrais de passer sous silence ce que l'on appelle la vie intérieure.»
Suzanne Bernard, avec une discipline toute monastique, tente de faire l'apprentissage du renoncement ; sans perdre pour autant ni son humour ni son sens critique parfois impitoyable, y compris vis-à-vis d'elle-même. Même si la mort qui s'annonçait proche est finalement différée (la force de la vie intérieure ?), l'heure du bilan est l'occasion de faire partager son refus de la langue de bois, son idée d'une spiritualité personnelle mêlant bouddhisme, christianisme, taoïsme et amour de la littérature, de revenir sur cette expérience chinoise qui l'a tant marquée, sur cette Chine, véritable part vivante d'elle-même. Sur son engagement dans l'écriture ; sur sa passion pour le Moyen Age et ses mystiques. Le retour momentané à la
vie n'est cependant pas de tout repos ( «Que vais-je devenir? Il est donc dit que je mourrai, je ne sais où… dans combien de temps?»), même si le fait de pouvoir se rasseoir dans un fauteuil paraît merveilleux (« Me voici revenue sur laterre.»). Un récit hors du commun.
« Le Passage », Suzanne Bernard, Le Temps des cerises, 155 pages, 13 euros.
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