A première vue, tout semble rouler correctement au septième étage de l'hôpital de Longjumeau (Essonne), au service de chirurgie viscérale. Ni sonnette stridente ni patients énervés en attente d'un soin urgent. Les trente lits du service sont occupés, les aides-soignantes s'affairent dans les couloirs, c'est l'heure de récupérer les plateaux-repas, pour certains encore pleins. Il est midi. Malgré le calme apparent, l'ambiance n'est guère à la détente. Chacun est sur la brèche ; l'équipe ne compte personne de trop.
Aujourd'hui, deux des quatre chirurgiens à temps plein sont présents. Pas le temps de chômer, entre les interventions programmées, les consultations, le suivi des malades en salle, et les urgences adultes et pédiatriques de l'hôpital, classé SAU. Le chef de service, le Dr Jean-Christophe Paquet, prendra malgré tout le temps de nous recevoir, ravi que l'occasion lui soit donnée de commenter l'actualité. Son actualité. C'est-à-dire les difficultés quotidiennes auxquelles il se heurte depuis deux mois pour appliquer les nouvelles réglementations, le manque de moyens alloués, la lassitude du personnel, médecins et paramédicaux réunis.
« Jamais, depuis que, par choix, j'ai opté pour la carrière de chirurgien hospitalier, je n'ai eu l'impression d'être traité avec autant de mépris », écrivait le Dr Paquet au « Quotidien » il y a quinze jours de cela. Qu'entendait-il par là ?
« On ne me propose aucune solution pour appliquer la loi », explique ce presque quinquagénaire, l'il rivé sur les tableaux de gardes à remplir. Insoluble problème. Entre deux appels sur son portable, le chef de service s'en prend tour à tour à la directive européenne, au repos compensateur, à la RTT (réduction du temps de travail). « On a rendu des plannings virtuels en décembre et janvier, comme prévu, explique-t-il . Depuis le 1er janvier, rien n'a changé. On ne prend pas de repos compensateur, on continue à être de garde un jour sur quatre ou sur cinq, on travaille 72 heures en moyenne par semaine ».
De toute façon, dès le départ, il y a eu « tromperie », estime le Dr Paquet. « Jusqu'à la fin de décembre, il nous a été dit que le repos compensateur ne s'appliquerait qu'en octobre. Or on nous l'a imposé dès janvier, en même temps que les 48 heures hebdomadaires. Rien que pour respecter le repos compensateur, il nous faudrait 2,5 emplois à plein temps supplémentaires dans le service. » Impossible, quand on sait que l'hôpital de Longjumeau n'a obtenu de l'agence régionale de l'hospitalisation qu'une maigre rallonge de 320 000 euros pour appliquer les nouvelles mesures. De quoi payer les plages additionnelles, le rachat des jours de RTT non pris et les créations de postes médicaux pour l'ensemble de l'hôpital. En théorie. Car 320 000 euros, cela permet tout juste de payer trois équivalents plein-temps, se lamente le Dr Paquet. « Avant, quand on réclamait les moyens pour faire fonctionner le SAU, on restait sans réponse. Après quoi, nous arrive une réforme peut-être bien, je ne la juge pas, mais sans aucun moyen pour l'appliquer... Ça ne peut continuer ainsi. »
Le personnel paramédical aussi
Pour le personnel paramédical, il a fallu, de même, s'adapter lors du passage à la RTT, le 1er janvier 2002. D'autant que, là, les effectifs ont carrément baissé, un emploi à temps plein infirmier ayant été transformé en temps partiel, et un poste d'infirmière ayant été supprimé, se rappelle Odette Artero, cadre infirmière dans le service du Dr Paquet. Depuis, explique-t-elle, « on n'a pas de budget pour les intérimaires, on tourne toujours avec l'effectif minimal. A cause des congés de maternité et de maladie, le planning change en permanence, ce qui rend difficile de programmer sa vie personnelle. Les gens ne sont pas intéressés par le compte épargne temps car ils sont épuisés. Epargner ne répond pas à leur besoins quotidiens. Heureusement, ils sont très motivés. Mais pour combien de temps ? Je ne sais pas ».
Un trou de 900 000 euros
Au centre hospitalier de Longjumeau, le service de chirurgie viscérale n'est pas le seul à buter contre la RTT, la directive européenne et le repos compensateur. Partout, c'est la pagaille, les interrogations. « Lundi dernier, il y a eu une réunion de CME apocalyptique, rapporte Jean-Christophe Paquet. La nouvelle législation fait exploser notre budget ; la direction a estimé le trou à près de 900 000 euros. S'il n'y a pas d'argent pour les créations de postes, il faut trouver d'autres solutions pour être en accord avec la loi. On s'est dit que si on reste à travailler avec le système actuel de permanence des soins, c'est simple, l'hôpital va droit à la cessation d'activité. »
Du coup, les médecins, encouragés en ce sens par leur direction, envisagent de réorganiser leurs lignes de gardes. Mais comment ? « Sur le plan de la qualité de la prise en charge, le remplacement de toutes les gardes par des astreintes serait un retour en arrière de trente ans », prédit le Dr Paquet.
Ce que confirme aussitôt son confrère Martin Brunel, 38 ans, qui s'est éclipsé du bloc quelques minutes, le temps d'exposer son propre point de vue. Pour ce chirurgien digestif, ancien chef de clinique, « les gardes de chirurgie ne sont pas très astreignantes. A partir de minuit, on dort. Les nuits blanches représentent à peine 10 % de notre temps de garde. En viscéral, il peut y avoir des complications rapides, une fistule, une embolie. Ce n'est pas déontologique de nous imposer de ne pas avoir d'activité le lendemain. De même que ce n'est pas agréable pour le patient d'être suivi par un autre que celui qui l'a opéré, c'est pénible pour nous de penser qu'on ne pourra pas assumer les malades qu'on a opérés. » Le Dr Brunel est conscient qu'il faut des aménagements. Pour lui, multiplier les appels aux intervenants extérieurs n'est pas la solution : « Ils ne souhaiteront plus faire de garde à l'hôpital si le lendemain ils ne peuvent pas travailler. »
La façon dont les pouvoirs publics ont imposé le repos compensateur révolte le Dr Paquet. « Les réformes mélangent allègrement tous les services, dit-il . C'est aberrantde comparer une garde d'urgence et une garde de chirurgie.Pour les urgentistes et les anesthésistes qui sont sur le pont tout le temps, il est normal de prévoir des adaptations. Pour nous, cela ne se justifie pas. » Un avis que partageraient les jeunes générations, à en croire le chef de service : « Il faut que je mette mes cinq internes dehors les lendemains de gardes, car ils veulent rester! »
Quid des restructurations interétablissements prônées par les ARH ? Le Dr Paquet n'y croit pas. « Ça fait dix ans qu'elles essayent de mutualiser les moyens entre hôpitaux, et subitement, ça devient la solution miracle. Il y a quelques années, la tentative entre les hôpitaux d'Orsay et de Longjumeau s'est soldée par un échec pour tout un tas de raisons. »
Après quoi, le Dr Paquet reçoit un appel, il est attendu au bloc. Il prend toutefois le temps de conclure, amer : « On nous impose quelque chose qui ne nous intéresse pas. Le médecin ne fonctionne pas à l'heure. Dans trois mois, si on n'a aucune solution, on met la clé sous la porte. »
Le Dr Brunel ne sera guère plus optimiste avant de nous quitter : « Pendant trois ans, j'ai exercé dans d'excellentes conditions. Même si je ne suis informé que par les bruits de couloir - le Dr Brunel ignorait la signature, le 13 janvier 2003, d'un accord d'assouplissement concernant la RTT, de même que l'existence du rapport Domergue sur la chirurgie - , je suis inquiet pour l'avenir. Le fait d'encadrer notre travail de façon autoritaire me choque beaucoup. Je m'interroge sur l'évolution de notre mode d'exercice et de la qualité des soins. Je suis aussi inquiet par rapport à notre salaire, même si cela est secondaire. »
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