Idées
De cette légende nous reviennent des bribes. Socrate au physique de Silène, laid et massif, mal vêtu - du coup, beaucoup le confondent vaguement avec Diogène. Socrate, fils de la sage-femme Phénarète, accouchant, lui, les esprits, pourfendant ces vaniteux qu'étaient les sophistes (1). Socrate condamné à boire la ciguë en un jugement de 399 avant J.-C., transfiguré par cette mort et habillé pour l'éternité par un disciple, Platon, peut-être trop bien intentionné.
C'est installé à cet instant fatal de la mort que campe Denis Huisman, se demandant ce qu'il peut rester d'une méthode aussi agressive que l'ironie socratique. Socrate montre au général Lachès qu'il n'arrive pas à définir correctement le courage ; c'est là que lui-même apparaît comme un vieux ricaneur content de coincer les autres. Aux yeux de Nietzsche, sur le champ de bataille, en actes, Lachès vaut tous les discours et le pédant ferait mieux d'écouter son « démon » qui lui conseillait de faire de la musique.
Il reste bien sûr l'aspect positif de la méthode : la maïeutique par où Socrate persuade les bouffis de savoir que, bien que prétendant savoir alors qu'ils ne savaient pas, ils savent tout de même (vous suivez ?). Et ce, d'une connaissance ancienne, puisée à une vie antérieure lors de la migration de leur âme, avant qu'une nouvelle fois elle ne se réincarne. C'est là l'influence orphique (2) qui marque fortement Socrate, mais n'est-ce pas plutôt Platon ?
L'intérêt du livre de Huisman est de découvrir, au-delà des thèses et questionnements, un climat Socrate, un effet Socrate qu'ont ressenti les proches. Un mélange de thérapie et d'érotisme qui baigne beaucoup de dialogues, dans lesquels le maître affirme l'équivalence des beaux corps et des beaux discours.
Mais, pour Huisman, cet effet Socrate est une gêne, un prisme déformant. Il empêche par exemple de voir le léger sadisme qu'il y a dans cette posture en creux, celle qui feint l'ignorance totale pour mieux aller torpiller l'interlocuteur. Contrairement à son lointain disciple, Jean Gabin, Socrate sait parfaitement, et semble bien plus pervers que le sophiste prétentieux et vain. Dans ce combat de charlatans, dit Huisman, Socrate n'est-il pas le premier des sophistes ?
Et de manière générale, ne s'est-il pas construit à travers les siècles « une image de Platon et de Socrate symboles de l'intégrité au service de l'Etre et de la Vérité, impressionnante mais fortement autoproclamée », se demande l'auteur. Reste que politiquement l'amour de la justice semble plus authentique chez Socrate que chez Platon, accroché à un monde qui sera balayé par la vague macédonienne et qui, dans « les Lois », tracera un portrait totalitaire de la cité idéale : le juste n'étant que l'équilibre figé, ne varietur, entre les forces sociales.
Attaché à frotter rudement l'icône Socrate, Denis Huisman n'en détruit-il pas parfois le magnifique fond d'or ? Mais sa plume alerte, corrosive et souvent baroque, atteint son but : elle donne envie de redécouvrir Socrate, elle nous invite à son « Banquet ».
Editions Pygmalion, Chemins d'éternité (collection dirigée par Olivier Germain-Thomas), 268 pages, 18,50 euros.
(1) Mi-avocats, mi-professeurs d'éloquence, les sophistes apprennent à bien parler et professent que toute vérité est relative, car dépendante de son habillage verbal. Gorgias, Protagoras restent parmi les plus célèbres.
(2) Personnage semi-légendaire, fils de la muse Calliope et de Zeus, Orphée nous est connu par sa recherche d'Eurydice dans les enfers. A son nom sont attachés les révélations lors des fameux « mystères d'Eleusis » et le thème de la métempsycose.
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