Quand François Dupeyron a reçu le roman de Marc Dugain, lauréat du prix des Libraires et du prix des Deux-Magots, il s'est d'abord dit : « Ouh là, un sujet historique, la Première Guerre mondiale, c'est pas mon truc... ». Puis il l'a lu d'une traite : « Ce livre arrivait au bon moment, il me faisait du bien ». Et l'histoire, celle du grand-père de l'auteur, est devenue la sienne.
Dans les premiers jours de la guerre, quand tout le monde répète que « cela ne devrait pas durer longtemps », un jeune officier, Adrien Fournier, est grièvement blessé par un obus qui lui arrache une partie du visage. La guerre, il va la passer dans la chambre des officiers, au Val-de-Grâce, une salle dont on a ôté les miroirs pour que les « gueules cassées » n'aient pas peur d'eux-mêmes. Pendant plus d'une demi-heure, on ne voit pas Adrien, on ne voit que les autres le regardant, avec horreur quelquefois et pitié le plus souvent. Il y a le regard de l'officier supérieur qui dit qu' « il aurait mieux valu qu'il meure » ; celui de l'infirmière compatissante(Sabine Azema) dont le fils est sur le front ; celui de son ami lui-même handicapé et qui, d'abord, ne peut s'empêcher de détourner la tête ; celui des autres blessés, non moins violent. Il y a aussi le regard du chirurgien (André Dussollier) qui, malgré toute son humanité, laisse surtout transparaître son enthousiasme médical : « On peut tenter des greffes d'os, dit-il au malheureux qu'il va opérer des dizaines de fois. C'est passionnant. Pour moi plus que pour vous, évidemment. »
Pendant un moment, on ne l'entend pas non plus Adrien, sauf ses pensées, en voix off. On n'est pas loin de « Johnny got his gun » et c'est angoissant. Mais Dupeyron n'oublie pas que son sujet est la reconstruction et, peu à peu, son personnage reprend pied, retrouve la force de vivre (et éventuellement de la donner aux autres), le désir, l'humour ; tandis que le spectateur apprend, peu à peu aussi, à s'identifier à lui, au moins en partie.
Quand il sort de la chambre des officiers, où il a passé cinq ans, Adrien est prêt à affronter le monde. C'était la partie la moins convaincante du film lorsqu'il avait été présenté à Cannes. Mais pour la sortie en salles, l'épilogue a été revu et écourté (7 minutes de moins sur 2 h 15 de durée à l'origine). Et l'on garde en mémoire les scènes de l'hôpital, avec les deux camarades de souffrance d'Adrien (Denis Podalydès et Grégori Derangère) et la seule femme « gueule cassée » (Isabelle Renauld), ambiguës et ouvertes.
On saura gré aussi à Dupeyron de n'avoir pas forcé sur la monstruosité et d'avoir, grâce à des maquillages subtils (trois heures chaque jour pour les acteurs) et de belles images monochromes (chargées aussi d'évoquer l'époque), atténué les défigurations.
On a beaucoup vu les horreurs de la guerre, du terrorisme, de la destruction. D'où l'émotion de voir, comme ici, la force de la vie et les efforts pour se reconstruire.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature