Par le Pr HENRI GIN*
UN PATIENT diabétique peut souffrir de plusieurs types de douleur au niveau des membres inférieurs : douleurs articulaires, artérielles, neuropathiques. La douleur neuropathique du patient diabétique est souvent chronique, parfois rebelle aux antalgiques ; le tableau peut être trompeur, voire déconcertant, et fait que le diagnostic est souvent posé avec retard. La prévalence des douleurs neuropathiques varie de 16 à 26 % dans les études récentes. Le plus souvent, elle correspond à un diabète d'évolution prolongée chez un patient ayant déjà un certain âge. Mais les douleurs neuropathiques rencontrées chez un patient diabétique ne sont pas toutes liées au diabète, il importe de se souvenir qu'il y a d'autres causes de neuropathie douloureuse parmi lesquelles les pathologies carentielles tels l'alcoolisme ou les déficits rencontrés dans les pancréatites chroniques.
La description de la douleur.
Le diagnostic repose essentiellement sur une écoute fine et attentive du patient sans idées préconçues. Les manifestations douloureuses sont supportables ou insupportables, aiguës ou lancinantes, chroniques ou constantes, pouvant mener à l'altération de l'état général ; elles débutent dans la distalité la plus extrême, c'est-à-dire au niveau des orteils, puis présentent un caractère ascendant bilatéral et symétrique. Les signes rencontrés et décrits par le patient sont nombreux, allant de la brûlure au froid douloureux, à la décharge électrique, aux fourmillements, aux picotements, à l'engourdissement, aux démangeaisons, le tout d'apparition spontanée ou provoquée par le contact superficiel ou les variations thermiques ; il existe parfois une recrudescence nocturne qui peut être confondue avec des douleurs de décubitus artérielles. La notion d'allodynie est importante. Il peut s'agir d'une allodynie tactile (induite par une simple stimulation superficielle tel le frottement des vêtements ou des draps) ou une allodynie thermique induite par les variations de température, l'eau tiède ou la chaleur du lit. Certaines allodynies sont proprioceptives, c'est-à-dire déclenchées par la marche, prêtant alors confusion avec une claudication intermittente d'origine vasculaire. Les patients rapporteront aussi des sensations de piqûres d'aiguilles, de morsures au niveau des mollets, de paresthésies, mais toujours confinées dans la distalité. L'examen trouve des signes d'hypoesthésie, il pourra déclencher la douleur allodynique par la pression.
Le diagnostic de douleur neuropathique est le fruit d'une démarche clinique fondée sur l'écoute et l'interrogatoire et aucun examen complémentaire n'est nécessaire pour affirmer le caractère neuropathique de la douleur. L'électromyogramme n'est pas pertinent dans le cadre du diagnostic positif (recommandation HAS 2007) ; en revanche, le recours au questionnaire DN4 est conseillé et reconnu par l'ensemble des sociétés savantes. Il s'agit d'un questionnaire basé sur dix items (sept d'interrogatoire, trois d'examen), qui a fait l'objet de validation scientifique pour l'aide au diagnostic de douleur neuropathique.
Le diagnostic de douleur neuropathique n'est pas un diagnostic d'élimination mais un diagnostic positif et les examens complémentaires peuvent conduire sur de fausses pistes : par exemple, demander un doppler montrant une surcharge athéromateuse diffuse ne veut pas dire qu'il s'agit d'une douleur artérielle.
Il importe ensuite d'évaluer l'intensité grâce à une échelle visuelle analogique que le patient remplira avant de se coucher, non pas en intégrant la douleur au temps présent, mais le ressenti au cours des dernières vingt-quatre heures. La douleur est en effet fluctuante dans la journée et il importe de la suivre dans cette globalité.
Les options thérapeutiques.
Les options thérapeutiques sont basées sur le rapport entre l'efficacité du produit, la sécurité d'emploi et les précautions liées à l'âge du patient ou aux effets conjoints du produit. De manière générale, les traitements antidépresseurs et antiépileptiques ont montré une efficacité certaine (et souvent équivalente) dans la prise en charge de ces douleurs. Le recours aux opioïdes forts est rarement souhaitable. Les antalgiques de palier 1 (aspirine, paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens) ont peu d'efficacité, en revanche, les antalgiques de palier 2 (Tramadol, Topalgic) sont souvent efficaces en combinaison avec les autres molécules spécifiques précédemment citées. Les thérapeutiques topiques ou la neurostimulation ont peu de place dans la prise en charge de ces douleurs. Les antidépresseurs de type tricyclique ou inhibiteur de recapture sont des produits efficaces.
Les tricycliques (amitriptyline : Laroxyl) ont l'avantage d'associer à leur effet antalgique un effet antidépresseur et anxiolysant. Ils sont souvent utilisés en monothérapie, mais ils ont des effets secondaires type cholinergique, hypotension orthostatique, constipation ou somnolence.
Les inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine sont mieux tolérés (fluoxétine).
Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline sont des produits plus récents, ayant fait la preuve de leur efficacité et pour lesquels les doses efficaces sont souvent importantes, rendant la tolérance parfois moyenne. La tolérance des formes LP serait meilleure. La tuloxetine (prochainement commercialisée) est un inhibiteur double et équilibré de la recapture sérotonine-noradrénaline. Elle sera utilisée à une dose de 60 à 120 mg. Les études ont permis de réduire, dès la première semaine, la douleur moyenne sur vingt-quatre heures ; la dose de 60 mg semble le plus souvent suffisante.
Le pregabaline (Lyrica), qui est un antiépileptique a l'effet dose le mieux prouvé, la dose efficace est souvent élevée, estimée aux alentours de 300 mg, pouvant être emmenée un peu plus loin ; les doses moyennes utilisées actuellement sont de 400 à 500 mg, avec un ratio bénéfice-risque qui apparait satisfaisant si la titration se fait de manière progressive. Le gabapantine (Neurontin) a une AMM européenne dans les douleurs neuropathiques.
En général, il n'y a pas de relation effet dose démontré. Contrairement au pregabaline, la titration doit être lente pour atteindre le seuil d'efficacité.
Au total, les patients présentant une douleur neuropathique ont parfois des parcours médicaux longs et différents. Le diagnostic est pourtant de la dimension clinique centrée sur l'interrogatoire, l'écoute et l'examen. Les examens complémentaires sont de faible utilité, alors que nous disposons d'outils validés tel le questionnaire DN4, recommandé par la Société française d'étude et de traitement de la douleur, pour en faciliter le dépistage en pratique quotidienne.
* Service de nutrition-diabétologie, université de Bordeaux-II, hôpital Haut-Lévêque, Pessac.
Le questionnaire DN4
Interrogatoire du patient :Question 1 : la douleur présente-t-elle une ou plusieurs des caractéristiques suivantes ? (oui/non)
- brûlure ;
- sensation de froid douloureux ;
- décharges électriques.
Question 2 : la douleur est-elle associée dans la même région à un ou plusieurs des symptômes suivants ? (oui/non)- fourmillements ;
- picotements ;
- engourdissement ;
- démangeaisons.
Examen du patient :Question 3 : la douleur est-elle localisée dans un territoire ou l'examen met en évidence... ? : - hypoesthésie au tact ;- hypoesthésie à la piqûre.
Question 4 : la douleur est-elle provoquée ou augmentée par :- le frottement.
Oui = 1 point ; Non = 0 point.
Score du patient sur 10 points.
Valeur seuil pour le diagnostic de douleur neuropathique : 4/10.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature