«Je n’ai pas peur des voyages, ils affranchissent des repères habituels, prélude à la liberté. Je crains les retours, à la recherche des marques qui balisent la vie, signes qui rassurent mais enferment.» Pourtant, Philippe Barré a toujours su qu’il retournerait à Ouagadougou, où il avait débarqué à la toute fin de décembre 1982. Pour y retrouver son ami Yamba, atteint du sida.
Philippe Barré est chirurgien, aujourd’hui en poste en Guyane. Après « Aime comme mort », une nouvelle inspirée par l’une de ses expériences professionnelles, le prélèvement d’organes, il publie « Ya Woto Bala », récit qui mêle avec sensibilité et non sans humour les deux temps de l’histoire, à vingt ans d’intervalle. D’abord, à 26 ans, la découverte de l’Afrique et des conditions d’exercice pour le moins particulières dans l’hôpital local, le cynisme dont il faut se barder pour «décider qui vivrait peut-être et qui ne vivrait sûrement pas»,«la réserve de révolte» qu’il faut garder pour se battre et cette forme de résignation et de sagesse, de philosophie détachée de l’existence qu’exprime la formule « Ya woto bala ». La violence lors du coup d’Etat de Thomas Sankara, le 4 août 1983, quand il se retrouve seul chirurgien blanc pour soigner des dizaines et des dizaines de blessés. Et puis le retour, en 2002, pour retrouver Yamba, malade, dans sa petite maison de 24 tôles, en briques de terre, sans aucun confort. Et un épilogue, en 2004, avec Yamba et sa mère, qui parle au médecin en mooré et dont les propos se résument par un laconique «La vieille te dit merci».
Tradipraticiens.
C’est une autre image de l’Afrique qu’offrent l’anthropologue Agnieszka Kedzierska et le photographe Benoît Jouvelet dans « Guérisseurs et féticheurs – La médecine traditionnelle en Afrique de l’Ouest ». Au Mali, les auteurs ont rencontré des thérapeutes plus ou moins traditionnels, qui transmettent des savoirs occultes ancestraux. Ici, la maladie «devient moins un dysfonctionnement organique que le révélateur d’un problème concernant l’individu dans son intégrité, et donc son rapport au monde visible et invisible». Sur un marché de Bamako, voici Wassa Konaté, guérisseuse spécialisée dans le traitement des «maux d’hommes», qui assure pouvoir trouver une solution à tous les problèmes d’érection et d’impuissance mais se refuse heureusement à soigner les malades du sida. Daouda Samaké, lui, consulte les fétiches pour établir un diagnostic ou déterminer un traitement, et soigne aussi bien les fractures que les troubles nerveux. D’autres pratiquent la divination, comme Amadou Segue Koné, géomancien, qui dessine des lignes sur un sable venant d’Arabie saoudite. Grand maître et chef de son quartier, le guérisseur-rebouteux Bekaye Niaré jouit d’une telle renommée que certains chauffeurs de taxi de Bamako transportent gratuitement les patients jusque chez lui. Son grand-père lui a transmis ses connaissances ostéopathiques, la recette d’onguents favorisant la cicatrisation des plaies et une éthique reposant sur le dévouement. Avec son équipe, dont deux de ses enfants, il assure quelque 200 consultations et traitements en deux heures... De belles photos en noir et blanc montrent ces tradipraticiens en action tandis que le texte analyse le rôle qu’ils jouent dans une société en évolution, les unes et l’autre apportant un intéressant témoignage sur une autre définition non seulement de la médecine, mais aussi de l’homme.
De temple en temple.
On quitte la médecine pour partir au Japon en compagnie d’Ariane Wilson, qui, avec Aude Lerpinière, a effectué à pied les 1 400 km du pèlerinage de Shikoku, de temple en temple – il y en a 88 – sur les traces du moine errant Kûkai, fondateur du bouddhisme Shingon. Les deux jeunes femmes portaient sur leur dos leur abri, confectionné avec des moyens de fortune et qui prend chaque soir une forme différente. Leurs mésaventures sont contées avec légèreté au fil de rencontres souvent chaleureuses, de paysages et de lieux étonnants, de récits anciens et de réflexions personnelles. Des textes vivants et courts, flirtant parfois avec les haïkus, donnent à ce voyage insolite un charme particulier.
«Ya woto bala », Philippe Barré, Séguier Archimbaud, 152 pages, 12 euros.
« Guérisseurs et féticheurs - La médecine traditionnelle en Afrique de l’Ouest », Agnieszka Kedzierska et Benoît Jouvelet, éditions Alternatives,144 pages, 25 euros.
« Le Pèlerinage des 88 temples », Ariane Wilson, Presses de la Renaissance, 240 pages, 19 euros.
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