LE TEMPS DE LA MEDECINE
Me Gisèle Mor, conseil des victimes du vaccin contre l'hépatite B, ne fait pas partie des juristes, s'ils existent, qui souscrivent à l'idée que les « tribunaux disent les vérités scientifiques ». En revanche, « il y a des éléments de vérité scientifique auxquels doivent se référer les magistrats afin d'appliquer leur propre concept juridique », explique au « Quotidien » l'avocate parisienne. « Il leur faut prendre acte des limites de la science et se forger à partir de là leur raisonnement juridique qui n'est pas un raisonnement scientifique. » En fait, c'est à ce niveau que se situe toute la difficulté pour rendre la justice avec tact et mesure. Pour l'heure, « juristes et scientifiques se livrent une guerre terrible », observe Me Mor, qui parle de « clans ».
L'affaire du vaccin antihépatite B en témoigne. D'un côté, on reproche aux tribunaux de soutenir juridiquement qu'il existe des présomptions de lien de causalité entre le vaccin et la sclérose en plaques (SEP), mettant en cause la responsabilité du produit ; et, d'un autre côté, les laboratoires et les autorités sanitaires affirment qu'il est impossible, en l'état actuel, de démontrer qu'il y a un risque, sans pour autant l'éliminer. « Qu'ils nous montrent leurs documents-sources, dit à l'adresse des fabricants l'avocate pénaliste, de manière qu'on découvre les moyens qui ont été mis en uvre ! »
Au civil, l'expertise judiciaire est complètement transparente, puisque « contradictoire » avec la présence de toutes les parties. Mais, là encore, les dossiers portant sur les études cliniques, la pharmacovigilance ou l'AMM resteraient « inaccessibles aux experts médicaux judiciaires compétents, même s'il est vrai qu'il y a peu d'experts compétents ». « Et après, on dit qu'ils racontent n'importe quoi », relève Me Gisèle Mor, en notant que cela concerne, par exemple, un produit censé prévenir les fausses couches, aujourd'hui disparu, un coupe-faim et des anticholestérolémiants, qui occupent toujours le devant la scène judiciaire médicale.
Me Gisèle Mor est mise en examen pour « violation du secret de l'instruction » dans le dossier pénal des victimes du vaccin anti-VHB suivi par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy. Il lui est reproché d'avoir accordé à la presse des entretiens sur le rapport du Dr Marc Girard, expert judiciaire reconnu, spécialiste de la pharmacovigilance. « En réalité, on m'en veut d'avoir fait état de pressions qu'a exercées un laboratoire sur le Dr Marc Girard. » Une demande de procédure de récusation de ce dernier a été faite, alors que toutes les parties l'avaient accepté au départ. Le rapport d'expertise estime qu'il y a eu des failles de détection des effets secondaires du vaccin.
Dans le même esprit que sa consur, Me Nicolas Jonquet, civiliste au barreau de Montpellier, fait remarquer que « si le droit ne peut nier ou travestir un état scientifique, il est en mesure de le dépasser à l'aide d'un mécanisme juridique particulier, comme la présomption de causalité ». Il s'agit de « rechercher une solution équitable et juste, bien que l'on se trouve face aux limites de la science ». Ainsi, avec le vaccin anti-VHB et la SEP, on sait scientifiquement que le risque est plausible, mais l'histologie balbutiante de la maladie et le manque d'étude épidémiologique ne permettent pas de retenir le lien causal entre le produit et le dommage*. « D'où la nécessité d'un arbitrage, conclut Me Nicolas Jonquet. Avec la présomption de causalité, qui fait fi de la vérité scientifique, je me place au-dessus : je ne sais pas scientifiquement, mais, en droit, je vais apporter une solution. Je ne dis pas que le risque plausible existe sur le plan factuel, mais comme une abstraction juridique. Celle-ci doit s'appliquer à des cas où le risque éventuel lié à un traitement est associé au doute scientifique. Deux critères sont à satisfaire par les victimes : avoir développé la maladie postérieurement à la thérapeutique, et ne présenter aucun facteur biologique ou génétique qui puisse expliquer l'affection d'une autre manière. Je ne nie pas la réalité scientifique en affirmant péremptoirement un lien causal, mais je la dépasse. Je fais du droit, cette science sociale qui ne répond pas aux exigences de la science, qui n'a pas les mêmes impératifs de vérité absolue, un arbitrage social. »
« Aussi, poursuit l'avocat, demander aux producteurs de vaccin de prendre en charge les victimes, car c'est à eux de supporter le risque de l'insuffisance de la science, me paraît légitime. » Cet habile plaidoyer, Me Nicolas Jonquet le prononcera devant le tribunal de grande instance de Montpellier, le 2 décembre. Ce jour-là, il défendra un homme de 33 ans, vacciné contre l'hépatite B en 1995, qui, six ans plus tard, « aura une première poussée de sclérose en plaques ». Il lui faudra déployer des trésors de rhétorique, voire de dialectique, pour convaincre la cour montpelliéraine, après que la Cour de cassation eut affirmé, le 23 septembre 2003, l'absence de lien entre le vaccin anti-VHB et l'apparition de la SEP.
* Pour le sang et l'hormone de croissance contaminés, le risque thérapeutique est établi : dans un cas, le sang véhicule le VIH et, dans l'autre, le prion est porteur de la MCJ.
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