Le Dr X... (il préfère garder l'anonymat) est obstétricien. Il travaille dans une grande clinique toulousaine. « Compte tenu de l'augmentation de (ses) primes d'assurance », il vient de décider de ne plus faire d'accouchements.
Il y a trois ans, pour s'assurer en responsabilité civile professionnelle (RCP), le Dr X... payait 3 000 euros. Aujourd'hui, la même facture s'élève à 15 000 euros. Alors, les calculs sont vite faits : « 15 000 euros, ça correspond à 80 accouchements. Sur les 150 accouchements que je fais en moyenne par an, 80 servent donc à payer ma prime - sans parler des 10 % que je reverse à ma clinique. Ajoutons à cela le prix des consultations qui n'augmente pas, le stress, la pression judiciaire, des contraintes de plus en plus importantes - je suis de garde à la clinique une nuit chaque semaine et un week-end tous les deux mois : c'est devenu insupportable ». Enfermé dans un enchevêtrement d'obstacles, le Dr X... jette l'éponge : « Pendant mes gardes sur place, on m'appelle s'il y a un gros problème, j'interviens, éventuellement sur une patiente qui n'est pas la mienne ; si ça se passe mal et que je suis mis en examen, mon assureur va doubler ma prime l'année suivante. »
Si rien ne change d'ici là, le Dr Patrick Lanusse-Crouzet, qui exerce - en secteur I - dans une autre grosse maternité privée de Toulouse, renoncera lui aussi aux accouchements dans un an. Habitué à s'assurer en RCP pour moins de 2 000 euros par an, il vient de régler une prime de 15 200 euros, presque soulagé d'avoir trouvé un assureur à ce tarif, alors que la compagnie qui le couvrait jusque-là venait de réévaluer sa prime à... 22 800 euros. « J'étais un peu acculé, j'ai payé, raconte-t-il. J'ai été naïf, j'avais entendu que la Sécu allait prendre en charge une partie de ces frais. On m'a pris pour un idiot, ça n'arrivera pas deux fois. J'ai 52 ans, je réalise un nombre d'accouchements moyen, et, même si c'est cette activité qui m'intéresse dans ce métier, je ne vais pas me faire hara-kiri en permanence. » Le Dr Lanusse-Crouzet refuse tous les jours des patientes en gynécologie médicale. Il sait déjà qu'il n'aura pas de mal à réorienter sa pratique.
Sabordages en chaîne
Si l'on en croit le SYNGOF (Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France), les « sabordages » d'accoucheurs, pour l'instant isolés - l'organisation en dénombre six effectifs ou annoncés à Toulouse, trois à Toulon... -, pourraient faire tache d'huile. Car tout se conjugue pour fragiliser ces spécialistes. « Les difficultés d'exercice de la profession d'obstétricien sont connues, la crise démographique s'accroît encore. Les difficultés à trouver une assurance en responsabilité civile, et le coût de cette assurance, conduisent un nombre de plus en plus important d'obstétriciens à cesser cette partie de leur activité médicale », explique le syndicat.
Les promesses faites dans nos colonnes par le ministre de la Santé en matière de RCP (« le Quotidien » du 21 novembre) ne changent rien à l'affaire. « Il y a des choses positives dans ce que dit Jean-François Mattei - et notamment la prolongation des contrats d'assurance au cas où le BCT n'arrive pas à gérer tous les dossiers -, admet le Dr Guy-Marie Cousin, secrétaire général du SYNGOF, mais, en ce qui concerne le montant des primes d'assurance, ça ne va pas dans le bons sens, ce n'est pas supportable. » Le Dr Cousin relativise aussi les effets de l'aide apportée cette année - et éventuellement l'an prochain - aux obstétriciens par le biais des contrats de pratique professionnelle (CPP) : « Jusqu'à la preuve du contraire, les obstétriciens ne sont pas concernés par les CPP. Ils doivent se débrouiller avec les contrats des chirurgiens et des échographistes. Du coup, beaucoup d'accoucheurs ne bénéficient pas des aides. Parce qu'ils font trop peu - ou même pas du tout - d'échographies obstétricales et/ou parce qu'ils n'ont pas, ou très peu, d'activité chirurgicale - ça existe, certains obstétriciens, d'un certain âge, n'ont pas été formés à la chirurgie gynécologique ! »
Ecartés de fait du dispositif de compensation, ces médecins auraient la RCP en travers de la gorge et ne seraient pas prêts à rejouer les dindons de la farce en 2004 : « En 2003, ils ont payé des primes assez lourdes, de l'ordre de 15 200 euros. Ils se sont dit qu'ils auraient une aide à la fin de l'année, et ils ne l'ont pas eue... », résume le Dr Cousin.
Amers, les accoucheurs libéraux ne voient pas arriver d'un bon il l'année 2004. Ceux « qui poursuivront leur activité vont voir leurs conditions d'exercice se détériorer, prédit le SYNGOF. Ils essaient en vain de trouver de jeunes diplômés pour remplacer les partants. Ils s'inquiètent, de surcroît, de la pérennité des maternités privées dans lesquelles ils travaillent car elles sont également touchées par l'augmentation du coût de l'assurance de l'établissement ».
« Un risque de catastrophe sanitaire »
Aux dires du syndicat, si la situation est désastreuse pour les accoucheurs et pour les maternités qui les emploient, elle est, au-delà, porteuse d'un « risque majeur de catastrophe sanitaire touchant le suivi des grossesses et les naissances, car les hôpitaux publics n'ont pas la capacité d'absorber l'activité des naissances aujourd'hui réalisées dans les établissements privés ». Même s'ils n'adhèrent pas trop à la stratégie syndicale du Dr Cousin (depuis quelques années, les menaces de grève et de déferlement de patientes sur les hôpitaux s'enchaînent mais sont rarement mises à exécution pour cause d'intervention rapide des pouvoirs publics), même s'ils affirment ne pas ressentir pour l'heure les effets du renoncement de certains accoucheurs du secteur privé, les obstétriciens hospitaliers reconnaissent qu'un afflux de patientes serait très malvenu dans des services qui subissent déjà depuis plusieurs mois, à moyens constants, le contrecoup des fermetures très nombreuses de petites maternités. Pour ne pas en arriver là, le SYNGOF en appelle une nouvelle fois au gouvernement et attend « de l'Etat une aide pour permettre de faire face aux échéances d'assurance pour 2004, et l'annonce d'une solution solidaire et pérenne au problème de l'assurance des médecins et des établissements pour les années à venir ».
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