Le monde médical connaît une de ces poussées de fièvre dont il est coutumier depuis le plan Juppé.
Parallèlement à la vague de déconventionnements qui semble déferler sur les départements du Grand Ouest (voir ci-dessous), les syndicats de spécialistes libéraux, qui maintiennent depuis des mois une pression latente sur les pouvoirs publics (appel à la grève de la télétransmission et des vacations hospitalières, mots d'ordre d'application « élargie » du DE), haussent le ton, deux semaines après la rupture avec l'assurance-maladie. Ils mettent aujourd'hui au pied du mur un gouvernement dont la marge de manuvre se réduit comme peau de chagrin. Le ministère de la Santé doit publier prochainement un règlement conventionnel minimal (RCM) dont le contenu, « en cours d'examen », aura valeur de test de confiance. Ou sera interprété par les spécialistes comme un casus belli.
Les promesses du candidat Chirac
L'UMESPE, qui réunit les spécialistes de la CSMF, n'y va pas par quatre chemins. Son président, le Dr Jean-François Rey, martèle que « le système actuel est mort » mais que les spécialistes ne sauraient être « victimes » de l'échec des négociations . Revenant au « discours du candidat Chirac », le Dr Rey affirme que seul le gouvernement peut restaurer, par la publication d'un RCM favorable, la confiance qui « s'épuise » chez les spécialistes en secteur I . Le message est explicite : un an après son installation, le gouvernement Raffarin qui avait su apaiser la fronde des généralistes doit « faire ses preuves » du côté des spécialistes. Faute de quoi, il s'expose à des déconvenues. L'UMESPE appelle ses troupes à la « rupture totale » des relations avec les caisses, cantonnées par le syndicat dans un rôle de « liquidation ». Les élus de l'union régionale des médecins libéraux de Midi-Pyrénées ont annoncé de leur côté qu'ils suspendaient toute relation avec les organismes régionaux (URCAM, CRAM, ARH). Plus que jamais, les spécialités cliniques et techniques sont invitées à « appliquer largement le DE » dans le respect de la légalité, pour les actes pratiqués en dehors de plages horaires de soins définies. « Au delà de 40 à 45 heures hebdomadaires, le médecin peut pratiquer des tarifs différents hors urgence », précise le Dr Rey. Sans volonté de « chantage », l'UMESPE met en garde le gouvernement contre la tentation d'un « plan de rigueur » pour les médecins alors que lacommission des comptes de la Sécu confirmera le 15 mai le déficit abyssal de l'assurance-maladie.
Le récent rapport sur la médicalisation de l'ONDAM (objectif national des dépenses d'assurance-maladie) a mis en alerte les responsables syndicaux qui voient resurgir le spectre des sanctions en cas de dérive des dépenses. « Certains semblent partisans d'un plan Juppé 2 », croit savoir le Dr Jean-Luc Jurin, psychiatre, membre du bureau de la CSMF.
Du côté du Syndicat des médecins libéraux (SML), le ton monte d'un cran, même si le discours reste moins tranché. « Sans solution trouvée rapidement dans le cadre d'un RCM raisonnable, on va vers l'embrasement », annonce le Dr Dinorino Cabrera, président du SML. Il croit encore possible de conclure dans le cadre du RCM un accord « donnant-donnant » applicable aux spécialistes , permettant l'infléchissement de l'évolution des dépenses. En attendant, le SML donnera cette semaine des consignes « très précises » d'application du DE, qui éviteront de prendre les patients « en otage ». En concertation avec la CSMF et Alliance, le Dr Cabrera annonce de nouvelles actions syndicales communes de « sensibilisation » et de « pression amicale ».
La date symbolique du 5 juin marquant le premier anniversaire de l'accord de revalorisation des généralistes pourrait être mise à profit par les spécialistes. Vice-président d'Alliance, le Dr Jean-Gabriel Brun, n'attend pas de « miracle » du RCM gouvernemental. « Mattei est accusé d'être trop gentil avec les médecins, les choses vont traîner et, en octobre, on subira un plan de rigueur », analyse-t-il. Le « regain de tension » est confirmé par la Fédération des médecins de France (FMF). « Les vrais déconventionnements, c'est presque du jamais vu, explique le Dr Jean-Claude Régi. Si les caisses passent à la contre-offensive, ce sera explosif ».
Supplique des « chirurgiens d'en bas »
Certaines spécialités se mobilisent en ordre dispersé. Regroupés dans le groupe « Cochise » (collectif des chirurgiens de secteur I), des dizaines de spécialistes ont adressé à leur député une « supplique pour les chirurgiens d'en bas ». Inquiets de la dégradation de leurs conditions d'exercice, ces chirurgiens exigent la réouverture du secteur à honoraires libres. Le secteur I, qui concerne 20 % des chirurgiens ? « Une prison bien gardée ». Une demande ? « La liberté (tarifaire) , tout de suite ! ». Un message qui traduit bien le désarroi de centaines de spécialistes libéraux en secteur I, dans l'impossibilité de compenser le blocage de leurs honoraires.
Dans ce climat houleux, le conseil d'administration de la CNAM a réaffirmé, le 29 avril, son « opposition à la liberté tarifaire ». Déterminée à veiller « au respect des tarifs conventionnels », la caisse rappelle que les médecins perçoivent en contrepartie « une aide au financement de leurs cotisations sociales d'un montant de 14 000 euros par an ». A propos du CS, la CNAM persiste et signe, plaidant pour une revalorisation « ciblée ». Mais pour beaucoup de spécialistes, ce discours n'est plus audible depuis longtemps.
Voir aussi :
Un déferlement des déconventionnements dans le Grand Ouest
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