L'éCONOMISTE RAYMOND BARRE, « le meilleur de France », affirmait même Valéry Giscard d'Estaing, qui l'a nommé à Matignon, est (déjà) fort préoccupé dès son arrivée aux affaires par la situation financière de la Sécurité sociale. On évoque de plus en plus fréquemment et bruyamment la notion de PIB et la nécessité de maintenir les dépenses de santé dans les limites du produit intérieur brut. Les trente glorieuses sont déjà loin et la crise économique, née du premier choc pétrolier de 1973, rappelle les dirigeants du pays à de plus sombres réalités.
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les propos de Raymond Barre le 7 décembre 1978, à l'occasion du cinquantième anniversaire du premier syndicat médical de France, la Csmf. Ce discours est un tournant. Que dit en effet le Premier ministre ? «Si l'on souhaite dans notre pays rémunérer correctement chaque acte médical, il faut atteindre une maîtrise plus grande du nombre des actes et du volume des prescriptions médicales, notamment des médicaments.» Raymond Barre, «de retour d'un voyage en Allemagne (…), a découvert les vertus, chantées par Helmut Schmidt (le chancelier de l'époque, ndlr), de ce qu'il faut bien appeler une enveloppe globale ou, pour être clair, des bienfaits de l'échange des économies de prescriptions contre la revalorisation des honoraires, échange qu'il suggère à demi mot», écrit presque trente ans plus tard le Dr Michel Chassang, actuel président de la Csmf, dans son ouvrage : «Qu'est-ce que la Confédération des syndicats médicaux français?» (1). Le discours ne plaît pas aux médecins, qui s'offusquent du « troc » qui leur est proposé.
Ils ne sont pas au bout de leurs, mauvaises, surprises. Le plan de Jacques Barrot, qui a succédé au ministère de la Santé à Simone Veil, partie présider le premier Parlement européen, présente le 25 juillet 1979 des mesures d'économies qui frappent les assurés, par l'instauration du ticket modérateur d'ordre public, qui prévoit que 5 % des dépenses ne seront pas remboursables, même par les mutuelles, et les médecins, dont sont annulées les revalorisations tarifaires. «La gifle suprême», écrit le journaliste Jean-Pol Durand dans son ouvrage sur la Csmf (2).
L'échec du Tmop.
Mais Raymond Barre et son ministre de la Santé ne gagneront pas sur tout. Ainsi, devant la mobilisation syndicale des salariés, l'opposition du monde mutualiste et même de certaines organisations de médecine, le gouvernement retire son projet de ticket modérateur d'ordre public (Tmop), notamment après la grande manifestation du 13 juin 1980, qui rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Cette mesure sera définitivement abrogée par le gouvernement Mauroy le 1er juillet 1981. Aujourd'hui, certains des détracteurs du projet de franchises médicales rappellent cette forte mobilisation et son résultat pour inciter les opposants à cette mesure à imiter les opposants de l'époque.
Mais Raymond Barre, c'est sans doute, surtout pour les médecins, l'homme qui a inventé le secteur 2. Même s'il est vrai que ce principe a été proposé par l'assurance-maladie dans le projet de troisième convention médicale, il est évident que le gouvernement, son Premier ministre et le ministre de la Santé sont à l'origine du projet et ils suivent de près les travaux qui ont présidé à cette grande réforme.
Malgré l'opposition de la Csmf, la convention instaurant ce secteur à honoraires libres est signée par la FMF et l'assurance- maladie. Vingt-sept ans plus tard, ce système, que la gauche avait pourtant promis de supprimer, est toujours en vigueur même s'il est vrai que son accès est extrêmement limité. «En instaurant le secteur 2, dit aujourd'hui Jean-Claude Régi, président de la FMF, Raymond Barre a évité que le système conventionnel n'explose.» C'était «un précurseur», poursuit-il, ne cachant pas son admiration pour l'homme d'Etat.
Les matraquages du pont Alexandre-III.
Mais Raymond Barre ne laissera sans doute pas que de bons souvenirs aux médecins. Surtout à ceux qui manifestaient le 5 juin 1980 sur le pont Alexandre-III, à Paris, à l'appel de la Csmf, contre ce projet de convention. Ce jour-là, sans que l'on comprenne vraiment pourquoi, alors que les médecins n'étaient pas si nombreux et pas très hargneux, les CRS lèvent leurs matraques et frappent, blessant de nombreux praticiens qui ne comprennent guère ce qui leur arrive. «En quelques instants, écrit un médecin mayennais dans « le Quotidien » du 10 juin 1980, tous les CRS ont foncé sur nous, tout cela commandé par un civil vêtu d'un costume rayé sombre, qui exhortait à vive voix à taper dans le tas.»
L'émotion est vive ; le ministère de l'Intérieur regrette ces violences. Mais la messe est dite. La Csmf sera obligée de s'incliner et de signer la convention. Puis son président, le Dr Jacques Monier, de démissionner de ses fonctions.
Le gouvernement Barre a gagné la bataille : désormais, la notion de maîtrise des dépenses sera au centre de toutes les discussions conventionnelles. La dernière n'y a pas échappé, la prochaine n'y échappera pas davantage. Les années Barre ont marqué un tournant décisif dans la politique de santé de notre pays et dans les relations entre ces trois partenaires incontournables que sont le gouvernement, l'assurance-maladie et les médecins.
(1) Editions de l'Archipel. Collection « l'Information citoyenne ». (2) 1928-1998, 70 ans de médecine libérale et sociale. Editions Le Médecin de France.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature