Le rapport de Jean-François Chadelat sur la répartition des rôles entre le régime obligatoire et les complémentaires soulève l'hostilité quasi unanime des partenaires sociaux qui, à l'exception de la CFDT, y ont vu l'amorce de la privatisation de la Sécurité sociale, et donc son démantèlement.
Ce document, remis le 8 avril à Jean-François Mattei, inquiète également les professionnels de santé libéraux. Une partie du corps médical estime que l'intervention accrue des assureurs privés dans le remboursement des soins porte en germe la mise en place de contrats individuels contraignants pour les soignants et, à terme, le conventionnement sélectif.
Une logique implacable
Ce n'est pourtant pas ce que dit le rapport Chadelat mais, pour beaucoup, tout est contenu entre les lignes. En recommandant la création d'une couverture maladie généralisée (CMG) composée de l'assurance-maladie obligatoire (AMO) et d'une assurance-maladie complémentaire dite de base (AMCB), correspondant à l'accès aux prestations que la nation garantirait à chaque citoyen, le document suggère d'accroître la part des assurances privées et des mutuelles dans la prise en charge des soins, voire de confier aux complémentaires des pans importants de l'assurance-maladie.
Le rapport confère logiquement à ces complémentaires un pouvoir accru dans la régulation des dépenses et la gestion du risque. Il propose, par exemple, d'associer les complémentaires aux unions régionales des caisses d'assurance-maladie (URCAM) et envisage un « dialogue privilégié » avec les professionnels de santé. De là à comprendre la généralisation de contrats ou devis individuels (comme cela existe chez les dentistes ou les opticiens) ou même la sélection de professionnels de santé dans le cadre de réseaux, il n'y a qu'un pas.
Pour le Dr Pierre Costes, président de MG-France, « il est certain qu'un des éléments de rentabilité des contrats avec le privé, c'est le conventionnement sélectif : on prend certains soignants, on en refuse d'autres ». « Pour ce danger, au moins, ajoute le Dr Costes, le rapport Chadelat doit inquiéter. » Dans une tribune libre publiée dans « Le Figaro » du 26 mars, donc peu avant la remise officielle du rapport Chadelat, huit présidents de syndicat de praticiens, dont MG-France pour les généralistes, mais aussi le syndicat Alliance pour les chirurgiens et les spécialistes, sonnaient l'alarme. « Les expériences privées menées, notamment par des contrats dentaires ou optiques qui organisent l'exclusion de certains soins ou de certaines pathologies, voire l'exclusion de certains patients, ouvrent clairement la porte au conventionnement sélectif des professionnels. » Pour Claude Pigement, délégué national du PS à la santé, la logique du rapport Chadelat est « implacable ». « A partir du moment où les complémentaires prennent pied, déclare-t-il , on va vers des contrats au premier euro passés directement avec les professionnels, d'abord pour certaines prestations et, plus tard, sur les soins de ville. »
Le rapport Chadelat est en fait plus prudent. Il propose de lancer une expérimentation dans « quelques domaines de soins » ou d'« actes de santé » très mal pris en charge actuellement par le régime obligatoire, et pour lesquels les complémentaires deviendraient les « acteurs pilotes ». Outre le dentaire et l'optique, l'audioprothèse, la liste des produits et prestations (LPP, ex-TIPS), les cures thermales, l'homéopathie ou les médicaments à SMR faible pourraient relever, au moins partiellement, de ce pilotage direct par les complémentaires. Et après ?
Le Dr Michel Combier, président de l'UNOF (branche généraliste de la CSMF) a un jugement plus nuancé sur le rapport Chadelat, qui « a le mérite d'aborder des problèmes qui vont se poser de toute façon ». Il reconnaît que, pour les médecins, « négocier de plus en plus avec le secteur privé et non plus avec l'assurance-maladie serait lâcher la proie pour l'ombre » et que, pour se défendre, « les médecins ont intérêt à rester dans un cadre collectif ». Mais, précise-t-il, « diaboliser les assurances privées ne sert à rien », surtout si l'Etat reste garant du panier de soins et « intransigeant » sur le cahier des charges. Le Dr Combier estime que les contrats entre organismes complémentaires et professionnels de santé concerneraient « des affections graves, mais pas le reste ».
Le Centre national des professions de santé (CNPS) rendra un avis attendu sur ce rapport (entre autres) d'ici à la fin du mois. Son président, le Dr Jacques Reignault, en donne la tonalité. « Il faut se débarrasser d'une analyse idéologique, sinon on retombe sans cesse dans le cliché de la privatisation : l'opportunité, c'est de se pencher enfin sur le panier de soins remboursables. » Il faudra toutefois, selon lui, éviter deux écueils : le glissement vers le privé de « pans entiers » de soins ; et la généralisation de tarifs non négociés et opposables aux professionnels de santé « comme on l'a vu avec la CMU ».
Le débat ne fait que commencer. La Mutualité française (36 millions de personnes couvertes) proposera lors de son congrès, à la mi-juin, une thérapeutique radicalement différente. Le gouvernement tranchera à l'automne.
Un groupe de travail sur le financement de la Sécu
Conformément à l'engagement qu'il avait pris lors de la discussion du PLFSS 2003, Jean-François Mattei a installé un groupe de travail chargé de clarifier le financement de la Sécurité sociale. Ce groupe, composé de huit parlementaires et de représentants de plusieurs ministères (Santé, Famille, Affaires sociales, Finances et Budget) aura du grain à moudre. Les relations financières entre l'Etat et la Sécu ont atteint un niveau de complexité et d'opacité tel que même les meilleurs experts peinent à s'y retrouver. Année après année, lors du débat sur le budget de la Sécu, les parlementaires dénoncent la « tuyauterie » (les multiples transferts de charges) qui ne facilite guère la compréhension de la situation financière exacte du régime général.
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