A tout seigneur tout honneur : c'est Jacques Barrot qui, en novembre 2002, avait lancé avec fracas le débat sur la place exacte de la solidarité nationale dans la couverture du risque maladie.
En déclarant que l'assurance obligatoire devait « se concentrer sur les maladies graves, les affections coûteuses et qui présentent un risque majeur », les complémentaires se chargeant alors du « petit » risque, le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale avait suscité, à son corps défendant, une très violente polémique sur le thème de la « Sécu à deux vitesses » et de la « privatisation ». Gaffe ou ballon d'essai ? Le gouvernement en tout cas était rapidement monté au créneau pour calmer les esprits, Jean-François Mattei expliquant que, en tant que médecin, il ne voyait « pas de différence entre le petit risque et le gros risque ».
« Privatisation partielle », pour le PS
La leçon a été retenue. C'est avec une remarquable prudence sémantique que Jean-Pierre Raffarin, lors de l'installation du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (« le Quotidien » d'hier), a rouvert le débat sur le « panier de soins ». Non pas sous l'angle trop provocateur de la séparation explicite des risques lourds et légers, mais en évoquant le « juste équilibre (à trouver) entre solidarité collective et responsabilité individuelle ». « Faut-il couvrir dans les mêmes conditions une fracture du bras causée par une chute dans la rue ou par un accident de ski ? », s'est interrogé le Premier ministre, en précisant aussitôt qu'il ne faisait que... « poser la question ». Pour le chef du gouvernement, le « sentiment de gratuité » fait méconnaître le coût du système ; or, constate-t-il, la demande de santé associe des « besoins essentiels » et d'autres « plus subjectifs ». L'essentiel fut donc dit sans qu'il fût dit trop fort.
Pour la gauche et certains syndicats de salariés, ouvrir le débat sur le nouveau partage de la santé entre « Sécu » obligatoire et assurances complémentaires, voire participation personnelle, c'est déjà annoncer la couleur. Le PS, par la voix de Marisol Touraine, secrétaire nationale à la solidarité et à la protection sociale, a immédiatement accusé le gouvernement de défendre « l'idée de la privatisation partielle des droits sociaux ». « Les socialistes refusent ce qui, sous couvert de la responsabilité s'apparente à diminution des droits », ajoute-t-elle . Quant aux communistes, ils ont fustigé le « passage d'une logique de solidarité à une logique assurantielle ».
Un an après la charge de Jacques Barrot, et malgré l'approche plus feutrée de Jean-Pierre Raffarin, qui ne veut pas donner de « solutions prêtes à l'emploi », la controverse risque de repartir de plus belle. Pour FO-Santé, « les choses sont claires : tout en précisant qu'il ne faisait que poser la question, le Premier ministre a laissé entrevoir la possibilité d'un partage entre Sécurité sociale et assurances privées pour ce qui relève de la couverture maladie ».
Pour cet expert du secteur, le Premier ministre a effectivement posé des jalons. « Raffarin sous-entend que la prise en charge de certains risques maladie par les assurances privées est tout à fait normale, logique. » Déjà, plusieurs dispositions du PLFSS 2004 vont dans ce sens comme la demande aux caisses « d'améliorer l'efficacité du recours contre les tiers », afin de mieux responsabiliser les responsables d'accidents et leurs assureurs.
Sur le même sujet du partage des risques, la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) avait rendu public en juin dernier un document brûlot, où elle proposait ni plus ni moins de concentrer l'effort des régimes obligatoires sur les « maladies graves » (ALD), proposant à l'inverse de prendre en charge « au premier euro » des pans complets de soins, comme l'optique ou le dentaire (où les complémentaires sont déjà très présents). La proposition avait soulevé un tollé.
A l'évidence, la répartition des interventions du régime obligatoire et des assurances complémentaires (et donc du privé) en matière de dépenses de santé sera un des chapitres les plus délicats de la concertation qui s'ouvrira au début 2004. Sur ce point, le climat n'a pas été apaisé par les discussions préparatoires voulues par Jean-François Mattei. Le rapport Chadelat, qui proposait en avril dernier d'accroître la part des assureurs privés dans le remboursement des soins, avait provoqué l'hostilité quasi unanime des partenaires sociaux, qui y voyaient l'amorce de la privatisation de la Sécu.
CSMF : l'exemple de la visite
De leur côté, les syndicats de médecins libéraux ont commencé à plancher sur la notion de panier de soins. La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) a précisé récemment son approche, lors de son université d'été, à Ramatuelle. Le Dr Chassang, président de la Confédération défend un schéma simple : ce qui est à l'intérieur du panier de soins devrait être pris en charge à 100 % par le régime obligatoire et « ce qui est en dehors par le régime complémentaire ». Il ne s'agirait pas de séparer a priori le gros et le petit risque, ou d'exclure de la couverture obligatoire des secteurs entiers de soins (cures médicales ou soins prothétiques), mais de définir « pour chaque pratique quel acte ou quelle prestation se situe à l'intérieur ou à l'extérieur ».
La CSMF va plus loin. Le même acte peut, selon les situations, être dans le panier de soins ou en dehors, donc parfois pris en charge par la solidarité nationale et parfois exclu. « On l'a bien fait pour la visite ! », rappelle le Dr Chassang. Certes, mais les médecins généralistes y trouvaient leur intérêt car l'objectif collectif était la baisse du nombre de visites. Les négociations conventionnelles ont ensuite montré que le « modèle » de la réforme de la visite (la prise en charge différente d'un même acte selon la justification médicale) n'est pas facilement applicable aux consultations. Le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), place aujourd'hui le gouvernement devant ses responsabilités. « On est devant des choix de société. Il ne s'agit plus de charger la barque des complémentaires en déplaçant le curseur, comme on l'a fait en baissant le taux de remboursement de l'homéopathie. Si on veut responsabiliser vraiment, il va falloir dire clairement aux gens ce qui est remboursé et ce qui ne l'est plus. » Clairement mais pas trop brutalement, doit penser Jean-Pierre Raffarin.
Mattei : « Pas de privatisation »
« Ni étatisation, ni privatisation » de l'assurance-maladie.
Jean-François Mattei, interrogé à l'Assemblée nationale par la député socialiste Catherine Genisson, a rappelé la doctrine « ni-ni » du gouvernement sur la Sécurité sociale. Le ministre de la Santé, qui voit monter les accusations de privatisation rampante après les déclarations de Jean-Pierre Raffarin, a expliqué que la crainte « récurrente » des socialistes n'est « pas fondée ». « Je vous rappelle que le taux de remboursement des assurés en 1995 était de 76 % et qu'il est de 78 % aujourd'hui. Les patients sont de mieux en mieux remboursés », a-t-il tranché.
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