Ils ont été prévenus vingt minutes à l'avance : « Vous allez rencontrer Jean-Pierre Raffarin. Le Premier ministre veut savoir ce que pensent les généralistes de terrain. »
C'est ainsi que douze médecins ont passé samedi dernier trois heures avec le chef du gouvernement. Ces douze médecins, sans étiquette politique, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, syndiqués, pas syndiqués, exerçant en ville ou à la campagne... et dont le seul point commun est d'avoir une grosse activité, ont été choisis par le président du conseil départemental de l'Ordre de Haute-Savoie et par le député-maire (UMP) d'Annecy-le-Vieux, le Dr Bernard Accoyer, qui orchestrait sur ses terres un déplacement imprévu et express du Premier ministre. « Nous étions tous pas mal intimidés, tous surpris. Personnellement, ma spontanéité en a beaucoup pâti », s'amuse le Dr Jean-Claude Loudenot, qui faisait partie des élus.
Pour Bernard Accoyer, la rencontre a été fructueuse. « Les médecins ont fait part au Premier ministre de toutes sortes d'éléments qui jalonnent leur vie quotidienne : le fait que les généralistes sont de moins en moins nombreux, le fait qu'ils font cinquante métiers à la fois, le fait que nombre des tâches qui les absorbent ne sont pas des tâches de soin, le fait que quand un médecin prend une secrétaire, c'est son salaire qui diminue ainsi que sa capacité à se constituer une retraite... » Quant aux généralistes qui ont partagé, dans une auberge de Balme-de-la-Sillingy (5 000 habitants), la table de Jean-Pierre Raffarin, ils ont trouvé la rencontre agréable. « J'ai été heureusement surpris par l'écoute du Premier ministre. Il voulait avoir son propre point de vue, pas celui filtré par la technocratie ou par les syndicats », explique le Dr Jean-François Coutin.
">Pour l'essentiel, Jean-Pierre Raffarin a donc fait parler ses douze interlocuteurs. Chacun a évoqué sa propre expérience. Le Dr Patricia Chatillon, qui fait partie, dit-elle, de ces « médecins de base qui râlent tout le temps quand ils sont à huis clos mais qui n'osent pas faire plus », est sortie de sa réserve pour déplorer l'indisponibilité, le week-end, le manque de petits plateaux techniques pour la biologie ou la radiologie qui lui éviteraient d'envoyer des patients à l'hôpital.
Le « malentendu » de Mattei
Le Premier ministre a aussi interrogé les généralistes sur quelques points précis. Par exemple, il a voulu entendre leur avis sur la réforme de la visite à domicile ou bien connaître les effets sur leur clientèle de la hausse du prix du tabac. Quant à son action, il n'en a pas dit mot et n'a pris d'engagement d'aucune nature. Tout au plus a-t-il tracé quelques ébauches de pistes, en reprenant par exemple l'idée d' « entreprise médicale » qu'il défendait du temps où il était ministre des PME.
Evidemment, alors que le corps des omnipraticiens digère mal les critiques formulées à son encontre par le ministre de la Santé Jean-François Mattei (« le Quotidien » du 3 décembre), cette rencontre impromptue du chef du gouvernement avec des généralistes tombe à pic. D'autant que Jean-Pierre Raffarin s'est employé à panser les plaies - « N'attendez pas de moi que je dise du mal des généralistes », a-t-il dit à ses hôtes -, à stigmatiser, sans jamais les nommer, « ceux qui sont allés trop loin dans leurs paroles », pour finalement appeler à la réconciliation - « je ne veux pas que nous nous accusions les uns les autres ». Pas dupes de la dimension politique de leur rencontre avec le Premier ministre, les généralistes de Haute-Savoie ne veulent pas retenir cette vision univoque des choses. « Bien sûr, Jean-Pierre Raffarin a besoin de redorer son image, mais je crois aussi que son souci de nous écouter était sincère », commente le Dr Paul Barbedienne. Conquis, le Dr René-Pierre Labarrière, a aimé « la volonté de cette homme de faire avancer les choses » et relevé « le témoignage de respect donné aux médecins ».
De son côté, Jean-François Mattei a lui aussi profité du week-end pour enterrer méthodiquement la hache de guerre. Dimanche, au Grand Jury RTL-LCI-Le Monde, il a affirmé qu'il n'avait « aucun point de blocage » avec les médecins libéraux, et regretté qu'un « malentendu » soit apparu avec eux. Le ministre s'est dit « étonné » et même « blessé » de la « mauvaise polémique » suscitée par ses paroles. Les généralistes « sont investis et ils savent que je compte sur eux », a-t-il déclaré, rendant hommage à des « gens qui font un métier merveilleux dans des conditions difficiles ».
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