L'installation du Haut-Conseil de l'assurance-maladie

Raffarin pose à Matignon la première pierre d'une réforme à risques

Publié le 12/10/2003
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Grand machin ? Usine à gaz ? Boîte à idées ? Ou antichambre d'une réforme historique en 2004 après 1945 et 1967 ?

Nul ne sait aujourd'hui la trace que laissera le Haut-Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, un mammouth réunissant 53 personnes, dont Jean-Pierre Raffarin inaugure cet après-midi, à Matignon, les travaux. Avec un mois de retard, puisque l'installation avait été initialement programmée à la mi-septembre. Si cette instance a pour première mission de poser un « diagnostic partagé » dans les deux mois à venir (évaluation du système d'assurance-maladie, audit financier et perspectives des différents régimes notamment), sa création « pour trois ans » démontre que la démarche du Haut-Conseil s'inscrit quasiment à l'horizon de la législature. C'est l'échéance que le gouvernement se donne pour restaurer l'équilibre des comptes. Selon les termes du décret qui l'a créé, le Haut-Conseil devra remettre chaque année au ministre de la Santé un rapport proposant les « adaptations nécessaires » avec deux objectifs : la « solidité financière » et la « cohésion sociale » du système d'assurance-maladie .
A ce stade, le Haut-Conseil soulève surtout une grande question, à la hauteur de sa démesure. Comment faire travailler 53 personnes représentant les assurés sociaux et les employeurs, le Parlement, l'Etat, les caisses d'assurance-maladie, les organismes complémentaires (dont les assurances commerciales), les professions de santé libérales, les établissements de santé publics et privés, les usagers, sans compter 8 personnalités dites « qualifiées » avec in fine l'objectif de tracer le chemin d'une réforme à risques, puisqu'elle concernera tous les Français ? Désigné par Jean-François Mattei comme arbitre des débats à la tête du Haut-Conseil, Bertrand Fragonard, membre de la Cour des comptes, ancien directeur général de la CNAM et spécialiste aguerri des questions sociales, devra confirmer ses qualités reconnues d'homme de consensus et de dialogue. « "Frago" a été choisi pour sa très très grande capacité de synthèse », résume l'un de ses amis. Il en faudra, tant le risque de cacophonie existe. Interrogé par « le Quotidien » sur la difficulté de sa mission, Bertrand Fragonard évoque une tâche « difficile mais exaltante ». Le calendrier serré ? « La contrainte est forte, mais nous allons l'assumer », dit-il.
Outre le tour de force que représente le pilotage d'un organisme aussi lourd, l'obligation quasi affichée de résultat est en effet un autre handicap. « Ce qui caractérise ce Haut-Conseil, c'est la pression du gouvernement et des délais, résume un des meilleurs experts du secteur. C'est une situation très différente de celle du Conseil d'orientation des retraites qui avait pu prendre son temps et travailler en toute confiance dans le cadre d'une mission d'intérêt général. » Pour le même spécialiste, « on saura vite si personne ne veut qu'on avance ensemble, et alors tout sera bloqué, ou si une majorité d'idées se dégage au service de la réforme annoncée ». « Une des questions, ajoute-t-il, est de savoir si les syndicats de salariés seront capables de s'entendre. »

La Mutualité voit rouge

La méthode aura son importance. Pierre-Jean Lancry, directeur délégué de la CNAM, assurera l'organisation des travaux et la production des rapports en tant que secrétaire général du Haut-Conseil. Après la « phase de diagnostic » doit théoriquement s'engager au début de l'année 2004 une « phase de concertation » à travers plusieurs groupes de travail pilotés directement par le cabinet Mattei. Pour la plupart des observateurs, les mesures structurelles pour réformer l'assurance-maladie seraient annoncées après les échéances électorales et un vaste remaniement ministériel.
Mais on n'en est pas là.
A peine installé, le Haut-Conseil fait déjà des mécontents, dont les représentants des praticiens hospitaliers qui ne sont pas représentés en tant que tels, contrairement à leurs confrères libéraux. « On peut être pessimiste sur une institution, créée pour faire des propositions, qui n'impliquerait qu'une partie des professionnels », peste le Dr François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH).
Autre partenaire furieux : la puissante Mutualité française, qui ne cache plus sa volonté de cogérer le système avec les régimes obligatoires et les professionnels. Son président, Jean-Pierre Davant, déplore que la Mutualité soit réduite « à la portion congrue » puisqu'elle ne dispose que d'un seul représentant au Haut-Conseil, au même titre que les institutions de prévoyance et les assureurs privés. Avec 18 millions d'adhérents et 36 millions de personnes couvertes, la Mutualité espérait plus d'égards. « Nous sommes traités comme les sociétés commerciales », fulmine Jean-Pierre Davant .
La pilule est d'autant plus amère que les mutuelles vont supporter rapidement de très lourds transferts financiers (environ 1 milliard d'euros), après les mesures du PLFSS 2004. La médecine de ville enfin, dont l'organisation est un des sujets majeurs de la réforme en gestation, serait mieux armée en portant un message unitaire. C'est ce que souhaite déjà le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, qui siège au Haut-Conseil avec le Dr Pierre Costes, président de MG-France. Là encore, les choses ne sont pas gagnées d'avance.
Rien ne sera simple. « Le gouvernement n'a pas arrêté son scénario, affirme un ancien haut responsable de l'assurance-maladie . Pour l'instant, et pour quelques mois, c'est le temps de la pédagogie ». Et après?

Jean-Marie Spaeth (CNAM) : la responsabilisation financière des patients a des limites

Pour moderniser le système d'assurance-maladie, Jean-Marie Spaeth, président (CFDT) de la CNAM, propose de « tourner le dos au tout-Etat » et de faire le pari de « l'engagement collectif pour maîtriser la conduite des évolutions indispensables ». Des propos tenus à l'occasion d'une conférence organisée par notre confrère « les Echos ».
En revanche, le scénario passif qui consisterait à « glisser plus ou moins doucement sur la pente actuelle » vers un « affaiblissement de la solidarité », donc du régime obligatoire , n'a pas ses faveurs . Plus précisément, il affirme que « la responsabilisation financière des patients supposée infléchir les comportements a montré par le passé ses limites et ses dangers : seule la population la plus fragile risque de se détourner de l'accès aux soins précoces, qu'il faudrait au contraire favoriser ». Pour Jean-Marie Spaeth, une organisation « plus efficiente » du système de santé est possible en revoyant la continuité des soins, en sensibilisant les patients aux réflexes préventifs ou en impliquant les professionnels dans l'évaluation des pratiques. Mais ce scénario vertueux exige l'association « indispensable » des régimes obligatoires et complémentaires pour réguler le système « dans le cadre du dialogue avec les offreurs de soins ». Cette nouvelle démocratie sociale, ou « démocratie par contrat », selon l'expression de Jean-Marie Spaeth, serait investie d'un pouvoir et d'un champ d'action « délégués par l'Etat ».

Cyrille DUPUIS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7402