Les médecins font-ils toujours confiance au gouvernement Raffarin nommé par Jacques Chirac il y a un an, au lendemain de sa victoire à la présidentielle de juin 2002 ? Le sondage IPSOS-« le Quotidien », publié dans nos colonnes en février dernier, montrait en tout cas que les spécialistes, tout en rejetant l'accord du 10 janvier signé entre les caisses d'assurance-maladie et les syndicats médicaux, restaient attachés à la politique du gouvernement, notamment en matière de santé, puisqu'à 61 %, ils estimaient l'action de Jean-François Mattei tout à fait positive et 58 % estimaient que sa politique était bien meilleure pour eux, que celle de ses prédécesseurs.
Il est vrai qu'en la matière, les médecins gardent un souvenir très noir de l'action menée par Lionel Jospin et ses ministres chargés des problèmes de santé et de l'assurance-maladie, qu'il s'agisse de Martine Aubry ou d'Elisabeth Guigou. Celle-ci notamment, au cur de la grève des médecins généralistes à la fin de 2001 et tout au long des six premiers mois de 2002, en refusant d'accéder à la demande des généralistes sur le C à 20 euros, avait été vilipendée par le corps médical.
Accord historique
La satisfaction de cette revendication fut d'ailleurs l'une des premières décisions du nouveau ministre de la Santé, au lendemain de la victoire des partis de la droite et notamment de l'UMP, aux élections législatives.
Un accord du 5 juin qui reste encore « historique » pour les syndicats de médecins qui entendent bien le fêter dignement dans quelques semaines. Il représente, pour eux, une victoire du monde médical contre le monde politique. Ce qui n'est pas tout à fait faux. « On a vu, en cette occasion, toute l'importance d'une mobilisation massive des médecins libéraux », expliquaient à l'époque les responsables syndicaux.
Pour les socialistes, au contraire, le gouvernement Raffarin a cédé au corporatisme, et Dominique Strauss-Kahn, l'ancien ministre des Finances de Lionel Jospin au cours des premiers années de son gouvernement, n'hésitait pas, il y a quelques jours, (voir encadré) à accuser le gouvernement Raffarin d'avoir, par cette concession, largement contribué à l'envolée des dépenses de santé. Ce qui reste malgré tout à démontrer réellement. Car cet accord du 5 juin 2002 a sans conteste aidé, par sa réforme des visites, à abaisser de 30 % - parfois plus dans certaines régions, le nombre de visites au domicile du patient, et à développer la prescription des médicaments génériques. S'il est difficile de faire la somme des économies réalisées par cet accord en un an, et si le ministre de la Santé et les responsables de l'assurance-maladie lancent souvent des chiffres et des statistiques, cet accord semble avoir contribué à modérer un certain nombre de dépenses en médecine libérale.
Pour les spécialistes, la situation est tout autre. L'échec des négociations conventionnelles met aujourd'hui en première ligne le gouvernement et son ministre de la Santé, qui va devoir faire face à la grogne de plus en plus forte de ces médecins, lesquels menacent même de se déconventionner en masse. Même si les syndicats médicaux s'en prennent d'abord à l'assurance-maladie et veulent ménager le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, ne pourra pas toujours se taire ; il devra intervenir, et pas seulement pour publier un règlement conventionnel minimal. La situation demande en effet une solution politique.
Hôpital : une priorité présidentielle
Autre dossier prioritaire : l'hôpital ; il fait partie des grands chantiers du gouvernement Raffarin. La promesse faite par le candidat Chirac d'y développer l'investissement (à hauteur de 6 milliards d'euros en cinq ans) a été répétée dès le discours de politique générale du tout neuf Premier ministre Raffarin, qui a lancé le plan Hôpital 2007. L'été 2002 passé, ce projet a rapidement progressé, au moins sur le papier. En novembre, Jean-François Mattei a présenté les grandes lignes d'Hôpital 2007 en conseil des ministres. Relance de l'investissement comme prévu (1 milliard d'euros est débloqué pour 2003), passage dès 2004 de tous les hôpitaux et de toutes les cliniques à la tarification à la pathologie, révision des règles de planification, modernisation du fonctionnement interne et externe des hôpitaux : le programme est vaste et alléchant ; certains de ses items (sur l'évolution des CHU ou la réforme de la gestion, par exemple) doivent attendre, annonce alors le ministre, que des experts rendent leur copie sur le sujet. C'est chose faite depuis plusieurs semaines et, le ministre étant sans doute accaparé par d'autres dossiers, les décisions ne se prennent plus, Hôpital 2007 patine, à la grande inquiétude des professionnels du secteur.
Autre dossier hospitalier, hérité celui-là du gouvernement Jospin et dont Jean-François Mattei est venu à bout : la réduction du temps de travail (RTT), qu'elle concerne les agents de la fonction publique hospitalière ou les médecins. Faute de moyens et de professionnels disponibles, cette RTT était inapplicable au moment où l'actuel ministre de la Santé a pris ses fonctions. Ses conditions d'application ont finalement été revues. Sans coup férir. Sans vagues sociales. Mal engagée - le ministre des Affaires sociales avait évoqué au printemps dernier la possibilité d'un « moratoire » -, l'affaire a été rondement menée. A l'issue d'un audit lancé en août, les négociations ont été ouvertes avec les personnels d'un côté, les médecins de l'autre. En janvier, tout était bouclé, des « contrats d'assouplissement » majoritaires étaient signés. Pour les médecins, le dossier de la RTT (auquel s'est ajoutée l'intégration de la garde dans le temps de travail) s'est totalement refermé vendredi dernier, avec la parution au « J.O. » de l'arrêté réorganisant leur permanence des soins.
En un an de politique hospitalière, le ministre de la Santé s'est aussi occupé, dans l'urgence, de la périnatalité. En effet, alerté à de multiples reprises par les professionnels de la naissance, il a pris, en mars, des mesures immédiates pour réformer les maternités (regroupement des accouchements dans les grands centres, transformation des petites structures en centres de périnatalité).
Les comptes en rouge de l'assurance-maladie
Confronté aux problèmes de médecine libérale et de médecine hospitalière, Jean-François Mattei va devoir faire face rapidement à une situation économique difficile. Le déficit de l'assurance-maladie, ne l'a-t-on pas assez répété, va atteindre fin 2003, des records, des sommes qui donnent le vertige : au moins 10 milliards d'euros. Ce qui va exiger, là aussi, des décisions rapides. Il est évident que la formule de Jean-François Mattei, répétant que les dépenses santé sont inexorablement vouées à augmenter, ne pourra pas longtemps satisfaire les autorités de Bruxelles qui viennent d'ailleurs de rappeler la France à des obligations économiques plus réalistes. Le Premier ministre ne pourra pas non plus s'abriter encore longtemps derrière la politique socialiste, menée entre 1997 et 2002, pour expliquer ces mauvais résultats de la branche maladie de la Sécurité sociale.
Le déficit placera sans aucun doute Jean-François Mattei dans une position encore plus délicate lorsque seront annoncées officiellement le 15 mai les prévisions de la commission des comptes de la Sécurité sociale. D'où (« le Quotidien » du 6 mai) la détermination du ministre des Finances, Francis Mer, de ne pas laisser le ministre de la Santé piloter seul ce dossier.
Il est vrai que les experts de Bercy n'ont guère apprécié la largesse dont a fait preuve le ministre de la Santé en accordant pour 2003 aux professionnels de santé une progression de l'objectif d'évolution des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) de 5,3 % contre 4 % en 2002. Jean-François Mattei espérait bien que les accords passés avec les professionnels de santé et les médecins en particulier permettraient de tenir cet objectif. Aujourd'hui, il n'en est plus certain et doit déchanter. Les dernières statistiques annoncent un résultat largement supérieur, avec une progression, en rythme annuel, qui dépasserait allègrement les 7 %. Un chiffre d'autant plus inquiétant que le dernier trimestre de l'année est souvent celui où les dépenses augmentent le plus fortement, en raison notamment des maladies et des épidémies saisonnières.
Il faut donc trouver rapidement des économies. Comme bien de se prédécesseurs, sinon tous, Jean-François Mattei s'est tourné vers le médicament : baisse du taux de remboursement de 616 médicaments en application, a affirmé habilement le ministre, d'un décret de Martine Aubry (qui ne décolère pas depuis cette déclaration), puis bientôt déremboursement des médicaments à Service médical rendu insuffisant. Mais cela ne suffira pas, loin s'en faut, à redresser la situation. D'où l'importance de la réforme de la Sécurité sociale que le gouvernement veut proposer dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2004. Mais les débats risquent d'être chauds, presque aussi chauds que pour la réforme des retraites. En particulier, les transferts de certaines charges du régime obligatoire vers les régimes complémentaires, sont loin de faire l'unanimité, comme est souvent contesté le principe d'une certaine régionalisation. Même au sein de la majorité, les opinions divergent (voir « le Quotidien » d'hier), ce qui fait dire à plus d'un expert du dossier que le gouvernement, avec cette nouvelle réforme, va entrer dans la saison des orages. Et nul doute que l'état de grâce, pour Jean-Pierre Raffarin et pour Jean-François Mattei, est maintenant complètement terminé.
Sécu : Strauss-Kahn et les coûteuses promesses de Chirac
Sur France Inter, lundi matin, le député socialiste du Val-d'Oise et ancien ministre de l'Economie et des Finances, Dominique Strauss-Kahn, a estimé qu'il n'y avait « pas de politique économique aujourd'hui en France » et stigmatisé les effets, à son sens néfastes, des engagements du candidat Chirac sur l'économie du pays. « Les promesses de campagne de Chirac étaient déjà mal adaptées il y a un an. Aujourd'hui, la conjoncture économique s'est aggravée et elles sont encore plus inadaptées. » Pourtant, le gouvernement Raffarin ne change pas de cap et fait preuve, regrette DSK, d'une « volonté acharnée de satisfaire les promesses du candidat Chirac ».
La nouvelle plongée dans le rouge des comptes de la Sécurité sociale (en fait avérée dès 2002, alors que l'équipe de Lionel Jospin était encore aux affaires, Dominique Strauss-Kahn semble l'oublier) est, pour l'ancien ministre, emblématique. « Le déficit de la Sécurité sociale est revenu, alors que, rappelez-vous, on l'avait oublié. »« Eviter le dérapage des dépenses de santé » aurait été la chose à faire, estime l'économiste, or elles « explosent ». DSK s'interroge. « Pourquoi ? Parce que, répond-il, dès son arrivée, le gouvernement a tout lâché. Rappelez-vous la négociation avec les médecins. Cette négociation, Lionel Jospin aurait pu la mener. S'il avait fait de la démagogie, il aurait pu, pendant la campagne, dire aux médecins "Prenez ce que vous voulez !", il aurait pu peut-être gagner des voix. Peut-être aujourd'hui serait-il président de la République. Mais il était responsable, il ne l'a pas fait. » Aux yeux de Dominique Strauss-Kahn, c'est mécanique : « Aussitôt arrivé au pouvoir », le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a cédé « du côté médical ». Résultat, « que voit-on aujourd'hui ? Les dépenses de santé qui explosent ».
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