C'est très injustement que l'opinion publique, à une majorité de 58 %, réclame le départ de Jean-Pierre Raffarin. D'autres sondages indiquent en effet que, si la gauche remplaçait la droite au pouvoir ou si Jacques Chirac changeait de Premier ministre, le changement serait nul ou imperceptible.
S'il est de bon ton de s'en prendre aux gouvernants, il ne devrait pas être impossible de critiquer aussi les gouvernés. Les Français semblent penser que les problèmes viennent des réformes que le gouvernement s'efforce d'engager. Non, ils viennent d'une conjoncture économique sur laquelle il n'a qu'une influence minime. Les réformes sont difficiles à mettre en uvre en période de crise : non seulement les gens ont peur pour leur emploi ou leur niveau de vie mais on leur demande de modifier leurs comportements, de s'adapter et de faire des sacrifices.
Car, pour financer les retraites et la santé, il faut bien travailler davantage ou payer plus.
Tout le monde est dans l'opposition
Mais tous les changements prévus sont progressifs. On voit trop souvent les décisions du gouvernement comme des portes ouvertes sur les pires catastrophes. Et comme il est de bon ton de contester en toute circonstance ceux qui détiennent tout ou partie du pouvoir, on pousse des cris stridents pour les empêcher d'agir, on leur donne des noms d'oiseau, on les accuse des intentions les plus sordides, comme s'ils ne dépendaient pas, in fine, des bulletins de vote. Nous avons toujours défendu l'idée dans ces colonnes qu'il est préférable de donner le temps aux élus d'exercer leur mandat et qu'on ne peut pas contester leur action le jour où ils la lancent. C'est l'opposition qui est chargée de cette tâche et elle le fait très bien, c'est-à-dire suffisamment.
Malheureusement pour M. Raffarin, la société a changé de visage. Elle a acquis de nouveaux moyens et relais pour faire connaître son humeur. On ne sait pas très bien qui tire le plus le mouvement de protestation, des syndicats ou de l'opinion. On voit par exemple que le mouvement altermondialiste a appris à se faire entendre et peut occuper pendant trois jours une tribune permanente qui n'est ni syndicale ni politique. Il y a donc des réseaux différents pour s'exprimer et si ces réseaux n'ont pas le pouvoir de décision, ils ont celui de nuisance.
C'est le mal dont souffre le Premier ministre, mis à mal par la presse, chahuté dans les sondages, combattu par l'UDF, c'est-à-dire au sein de son propre camp, et pas très sûr de la loyauté de ses ministres. On aura tellement répété qu'il doit partir qu'en définitive - et même si rien n'est vrai de ce qu'on dit - sa démission finira par apparaître comme la seule issue possible, et pour aucune des raisons invoquées, mais uniquement parce que l'impopularité du Premier ministre risque de nuire à Jacques Chirac.
Au milieu du gué
Ce serait affreusement injuste parce que cela reviendrait à recourir à l'incantation jusqu'à ce qu'elle devienne réalité. Or M. Raffarin est au milieu du gué. Il a à peine commencé à appliquer son train de réformes et il y en a d'autres à faire. Il n'a pas eu le temps de bénéficier de la reprise économique que l'on espère pour l'année prochaine.
Et ce qui compte, n'est-ce pas le programme, plutôt que l'homme ? Un Raffarin qui n'aurait même pas eu deux ans pour appliquer le sien (ou plutôt celui de M. Chirac), serait-ce logique ? Mitterrand, qui est resté président pendant deux septennats, estimait qu'il devait changer de Premier ministre tous les trois ans. Il n'a pas toujours eu cette patience, notamment avec Edith Cresson, dont le sort fut comparable à celui qu'on essaie de faire à M. Raffarin : on discrédite le Premier ministre (pour Edith Cresson, qui a commis des erreurs, on en est arrivé à lui reprocher d'être une femme !) jusqu'au moment où le président ne supporte plus l'accumulation des critiques et des mises en garde.
Néanmoins, en appliquant la formule de Mitterrand, on devrait laisser M. Raffarin gouverner jusqu'en juin 2005. Alors, on pourrait le juger. Alors, on pourrait dresser un bilan de son action. Mais si on l'établit aujourd'hui sans lui avoir laissé le temps de le mener à bien (ou d'échouer), de quel droit lui donnerait-on une note ?
On devine que M. Chirac résiste avec vigueur à l'assaut général contre M. Raffarin. Le président, en effet, ne peut proposer que le même programme, et dans ce cas, pourquoi changer l'homme ? Certes, on compte à l'UMP des hommes de valeur dont la cote de popularité est meilleure que celle de M. Raffarin. Mais si l'un d'eux remplace le Premier ministre prématurément, il pourra s'inquiéter de sa propre longévité au même poste. Les candidats sont nombreux, mais on en consomme beaucoup.
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