D'après un entretien avec le Pr François Eschwege*
Il est difficile de savoir si le nuage tchernobylien obscurcit encore le ciel de la radiothérapie, mais le constat est bien le suivant : la profession subit une crise des vocations qui a toutes les chances de s'aggraver dans les années à venir alors même que le nombre de patients qu'elle doit prendre en charge - plus d'un malade sur deux porteur d'une tumeur solide sera traité une fois dans sa vie par radiothérapie - croît de 2 à 3 % chaque année.
Cette démographie peu favorable ne peut non plus s'expliquer par un désintérêt scientifique pour une discipline qui, précisément, connaît une période d'évolution accélérée, parallèle à celle de l'imagerie des cancers et à la sophistication des outils technologiques - à la fois physiques et informatiques - qu'elle utilise.
Une amélioration de la qualité du faisceau
Ainsi, des progrès considérables ont déjà été réalisés dans la qualité du faisceau délivré au patient : grâce notamment à l'apparition des collimateurs multilames, le faisceau de radiations s'adapte presque parfaitement au volume de la tumeur, préservant donc de façon optimale les tissus sains de voisinage. Cette forme de radiothérapie dite « conformationnelle » peut dans un certain nombre de cas être associée à une modulation d'intensité à l'intérieur du faisceau : dès lors que l'on cible la tumeur et la tumeur seulement, il est en effet licite d'augmenter l'intensité de l'irradiation puisque le risque de léser les tissus sains est plus faible. Et si les effets toxiques locaux, immédiats ou à long terme, sont ainsi indiscutablement réduits, on a pu aussi observer un bénéfice en termes de contrôle local et de survie chez des patients porteurs d'un cancer prostatique et de certaines tumeurs du sein ou du cavum traités par de plus fortes doses. Il reste bien sûr à valider, par de larges essais et dans chaque indication, l'intérêt de la modulation d'intensité par rapport à la radiothérapie conventionnelle.
Dans les dix prochaines années, le radiothérapeute devrait pouvoir plus facilement disposer d'autres rayonnements, qui, chacun, ont leur intérêt : les lasers à haute énergie pourront probablement fournir les protons aujourd'hui produits uniquement par les cyclotrons d'Orsay et de Nice. Or la précision balistique et la possibilité de contrôler parfaitement la profondeur de pénétration du rayonnement font de la protonthérapie une technique irremplaçable, notamment dans le traitement de tumeurs situées à proximité immédiate de l'oeil ou de la moelle épinière. Il en est de même pour l'utilisation des ions légers, l'ion carbone en particulier, dont l'intérêt biologique est supérieur à celui des rayons X et dont la précision balistique est à peu près comparable à celle des protons.
Le second axe sur lequel la radiothérapie progresse rapidement est celui du contrôle des mouvements de la « cible ». On comprend qu'ajuster le faisceau d'irradiation au millimètre près n'a de sens que si la tumeur ciblée reste fixe. Si elle est mise en mouvement, par exemple par la respiration, il faut alors être en mesure d'anticiper son déplacement afin d'ajuster au mieux la zone de traitement.
L'intérêt de l'imagerie portale
C'est l'objectif de l'imagerie portale, réalisée au cours même de l'irradiation et des logiciels de modélisation informatique des mouvements physiologiques.
Adapter parfaitement le faisceau au volume de la tumeur traitée est une chose, prévoir avec certitude la dose d'irradiation effectivement reçue par le malade - établir, en d'autres termes, une dosimétrie prévisionnelle parfaite - en est une autre, qui passe par un contrôle de qualité strict des appareils de radiothérapie, rendu désormais obligatoire par une récente directive européenne.
Il est aujourd'hui possible d'obtenir en outre certains paramètres prédictifs de la radiosensibilité de la tumeur, grâce notamment à la tomographie par émission de positrons (PET-scan) et aux puces à ADN. Cela laisse espérer qu'à terme le radiothérapeute sera en mesure d'ajuster au mieux le fractionnement et l'étalement de l'irradiation en fonction des caractéristiques propres de chaque tumeur : présence ou non de gènes de radiosensibilité ou de radiorésistance, de gènes de sensibilité à l'oxygénation...
Enfin, les traitements combinés qui associent radiothérapie et
chimiothérapie non antimitotique se révèlent prometteurs. Cette chimiothérapie peut être soit radiosensibilisante (mitomycine, anti-cox2...), soit radioprotectrice (antiradicaux libres...). L'enjeu étant bien entendu de radiosensibiliser la tumeur, et non les tissus sains, et de protéger les tissus sains et non la tumeur.
* Institut Gustave-Roussy, Créteil.
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