APRÈS AVOIR ENSEIGNÉ l’anatomie pathologique pendant près de quarante ans, le Pr Vetter se consacre désormais uniquement à l’histoire, et gère un département universitaire comprenant un professeur, un maître de conférences et de nombreux chercheurs contractuels. «L’histoire de la médecine, loin de n’être qu’un passe-temps, est d’abord un chapitre de la logique, car la connaissance de toute science implique d’en connaître les origines», souligne-t-il d’emblée.
Un enseignement qui négligerait l’histoire ferait croire aux étudiants que l’état de la science est invariable, alors que tous les dogmes et toutes les vérités se sont effondrés un jour et que les certitudes d’aujourd’hui seront souvent obsolètes demain. La première leçon de l’histoire de la médecine est donc, pour lui, de prendre conscience des notions de cycle et de variabilité, ainsi que de direction et de sens : «La direction plonge dans le passé, mais le sens montre l’avenir: on ne peut prédire l’évolution d’une science que si l’on connaît l’origine de la direction, car, pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient», dit-il.
«Mes étudiants en savent plus que moi sur les connaissances actuelles, poursuit-il, mais moi, je sais que leurs connaissances seront dépassées dans dix ans... et je veux leur apprendre à en acquérir de nouvelles à ce moment-là: ils doivent donc savoir que les idées et la pensée médicale évoluent et c’est mon rôle de le leur faire comprendre.» L’histoire de la médecine foisonne de dogmes aujourd’hui remis en cause, à l’image de la biologie pastorienne ou de la théorie centrale de la génétique, qui posait le principe de l’impossibilité des réversions : Temin, prix Nobel en 1975, a montré au contraire la réversibilité du système biologique et la possibilité de transcription de l’ARN vers l’ADN. De même, le fait que l’environnement puisse modifier la génétique, d’abord évoqué par Lyssenko, puis considéré comme «absurde» il y a cinquante ans, est aujourd’hui reconnu comme une évidence.
La clinique et l’art.
Si la relativité des connaissances est particulièrement frappante en génétique et en biologie, l’histoire de la clinique est, elle aussi, riche d’enseignements, d’autant plus que les techniques contemporaines ont trop souvent fait oublier le geste médical. «Un étudiant moyen sait-il encore faire la différence entre une bronchopneumonie et une pneumonie franche?», se demande Jean-Marie Vetter, avant de rappeler qu’un bon examen clinique pourrait parfois éviter des investigations longues et coûteuses. De même, la connaissance des « vieilles » maladies et de leurs signes cliniques pourrait, en cas de résurgence, éviter de perdre un temps précieux à tâtonner : l’histoire de la médecine se justifie ainsi... même au nom de la politique et de l’économie de la santé.
Enfin, l’histoire de la médecine rappelle que la médecine est un art : prendre conscience, à travers l’histoire de l’art et de la culture de guérir, c’est améliorer la qualité de sa formation, voire de sa pratique. Mais, souligne Jean-Marie Vetter, l’histoire de la médecine est aussi une discipline en tant que telle, avec ses règles et ses principes. «Le travail sur documents est la règle absolue, pour saisir et comprendre les événements et les évolutions», rappelle-t-il.
L’histoire de la médecine, aujourd’hui, a largement dépassé l’histoire de la pratique médicale et ne cesse d’explorer de nouveaux domaines, comme l’histoire des soins, des comportements de santé, ou des agents thérapeutiques, comme le médicament. De même, l’histoire des institutions et des structures ne cesse de se développer. A Strasbourg, pour la première fois en France, l’hôpital et la faculté se sont dotés d’une unité commune de recherche en histoire, illustrant les passerelles et les symbioses entre ces deux entités.
«L’histoire de la médecine, conclut le Pr Vetter, ce n’est surtout pas l’anecdote.» Mais on peut ajouter que, au-delà de la science, c’est aussi, même pour le profane, une ouverture sur la culture, l’art et, plus prosaïquement, le plaisir de la redécouverte du passé.
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