Poser la question ne laisse aucun interlocuteur indifférent. Elle amuse pour la provocation qu’elle recèle. Elle rencontre parfois un écho étonnant et révèle combien ce ministère est au cœur des visions politiques et de la conception de l’intervention de l’État propre à chacun. Poser la question, c’est aussi partir d’une première impression de flottement. Une impression qui ne date pas d’aujourd’hui. Il suffit de se souvenir des propositions de 2009, lors des débats préparatoires de la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires), qui suggéraient de créer au-dessus des agences régionales de santé (ARS), une Agence nationale de santé (ANS) qui aurait regroupé l’assurance maladie et une bonne partie du ministère. Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé et animal politique par excellence, avait opposé une fin de non-recevoir avec une formule lapidaire : « Pas temps que je serai ministre. » Certes et maintenant ?
Régions et agences en embuscade
L’État cherche à faire des économies et la santé n’a pas été sanctuarisée par le nouveau gouvernement. Alors que perdrait la France à supprimer un ministère de son organigramme gouvernemental ? Sur le plan financier, la Direction de la Sécurité sociale (DSS), actuellement sous la double tutelle du ministère de la Santé et du ministère de l’Économie et des Finances, ne perdrait pas forcément en efficacité en basculant complètement dans le giron de Bercy. En ce qui concerne l’organisation de l’offre de soins, les agences régionales de santé ont pris leurs dossiers en main et sont aujourd’hui aptes à gérer leur territoire à quelques ajustements près. Elles sont même les seules à intervenir en cohérence dans différents domaines, ville, hôpital et médico-social. En matière de santé publique, l’exercice est peut-être moins aisé. Mais la pléthore d’agences n’aurait-elle pas la capacité d’élaborer et de mettre en musique des plans de santé publique votés par le Parlement. La Haute Autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), pour ne citer que les plus connues, constituent autant de bras armés pour l’application d’une politique qui n’a pas forcément besoin de se concevoir au sein d’un ministère important qui dépense dans le budget 2012, près de 1,3 milliard d’euros pour ses principales missions. Et puis sur le plan de la santé publique, la tendance n’est-elle pas à la privatisation des politiques publiques ? Ainsi, à l’échelle internationale, ne voit-on pas de nouveaux acteurs comme la Fondation Bill-Gates acquérir un poids équivalent à celui des États en matière de programmes de lutte contre la tuberculose, le paludisme ou le Sida ? Ce mouvement ne peut-il pas être dupliqué au plan national ?
Certains en rêvent. En particulier tous ceux qui luttent contre l’étatisation de la santé et l’interventionnisme des pouvoirs publics qui a fait voler en éclats, dans le domaine libéral, le paritarisme du fonctionnement conventionnel. D’autres, comme les contributeurs du récent rapport du think tank Terra Nova, considéré par beaucoup comme la boîte à idées la plus performante du PS aujourd’hui, sentent le danger et réclament le renforcement de l’État dans la conduite des politiques de santé et d’offre de soins*.
Sauvé par les crises
La vérité est peut-être dans une approche différente, une alternative autre que le choix entre davantage de ministère ou sa disparition. C’est le regard de l’historien qui permet peut-être de dessiner la vraie ligne de structuration d’une réflexion prospective. Pour Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’École des hautes études en santé publique, le ministère de la Santé n’est en effet pas prêt de disparaître en raison de la multiplication des crises sanitaires. « L’absence du ministère de la Santé ne peut s’envisager sérieusement que par temps calme. Dès que le pays est confronté à des crises sanitaires à répétition telles qu’on les vit depuis les années quatre-vingt-dix et tel qu’elles s’annoncent toujours plus nombreuses, seul un pouvoir centralisé peut y faire face avec un minimum d’efficacité », prévient-il. En somme, les pires critiques que l’on peut adresser au ministère pour sa gestion des crises telles que celles du Mediator®, de la grippe de 2009 ou encore des prothèses PIP sont bien moindres que celles qui auraient été formulées si elles avaient été gérées par chaque Région ou chaque collectivité territoriale. « Le niveau national est même un peu juste pour les crises sanitaires qui doivent de plus en plus être gérées au plan international », assure Patrick Zylberman.
La fragilisation du monde et sa globalisation, y compris sur le plan de la santé, conduiraient plutôt à envisager une déconcentration et/ou une décentralisation de la gestion au quotidien tandis que les autorités nationales renforceraient leur capacité d’intervenir sur les crises. La création de l’Eprus (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) le 5 mars 2007 peut d’ailleurs être considérée comme une illustration de cette tendance. Mais la logique voudrait que, même dans ce schéma d’évolution, les moyens du ministère de la Santé soient fortement revus à la baisse, les affaires courantes ne mobilisant plus autant ses forces.
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