LA MÉTAPHORE du compte à rebours exprimée par le titre, c’est celle d’une Humanité en partance vers un « ailleurs ». Invitation au voyage, car la planète Terre ne nous suffit plus, ou, plutôt, nous venons de nous apercevoir, après une longue période d’insouciance, « que la cohabitation de l’humanité et de la planète n’est plus harmonieuse ». Ce qui conduit Jacquard à raconter de façon très vivante l’histoire d’une progressive désadaptation de l’homme à sa réalité.
Nous avons en grande partie accompli le rêve de Descartes, « nous rendre maîtres et possesseurs de l’Univers », mais nos besoins tels que nous les définissons aujourd’hui ne peuvent être satisfaits. Et de mille façons, les grandes réussites de l’homme ont créé des déséquilibres funestes pour notre mère Gaïa. Un seul exemple, là où Roland Jacquard les multiplie. Dans la conquête des îles du Pacifique, les Américains éradiquèrent par le DDT les moustiques pathogènes : « Vingt années d’utilisation de ce produit mirent en évidence ses effets toxiques pour de multiples espèces, dont la nôtre. »
Déséquilibre.
Certains diront peut-être que ces thèmes ne sont pas entièrement nouveaux, mais c’est Albert Jacquard philosophe qui prend heureusement le relais du simple montreur de faits. Les déséquilibres entre la planète et l’homme entraînent un divorce entre ses habitants qui semble encore plus choquant, d’un point de vue éthique cette fois. Pourtant, nous avons acquis un extraordinaire pouvoir de décider de notre vie, une autonomie résultant d’une (le mot est affreux) « progressive consciencisation ». Or le déséquilibre n’a jamais été aussi grand entre les hommes, disons pour aller vite « entre les gavés du Nord et les privés du Sud ».
Longtemps, le Dr Folamour fut notre hantise. « Rien de nouveau sous le soleil », dit le blasé de comptoir. On pourrait bien sûr lui rétorquer : « Si, il y a du nouveau, on peut depuis un certain temps faire sauter la planète », un risque sur lequel l’ouvrage revient à travers une pédagogie terrifiante.
Après la bombe H, la bombe P comme population. Les humains sont trop nombreux, ils vont être victimes de leur fécondité : famines, guerres, c’est le refrain bien connu du pasteur Thomas Robert Malthus dans son « Essai sur le principe de population » (1798). Répondant à ce vieux fantasme, qui lui aussi alimente généreusement les philosophes de bistrot, Albert Jacquard, analysant le cas de l’Iran, montre un recul de la fécondité et une prise en charge collective de mieux en mieux assumée. L’Humanité pourra selon lui accueillir 8 ou 9 milliards de nouveaux Terriens.
Une Humanité dont l’auteur reprend après bien d’autres la critique de sa propension à préférer la quantité des richesses aux qualités humaines. Ainsi la crise récente correspond à l’oubli que pour créer des richesses, il faut des idées, du travail et des outils. Des signatures financières déplacent les valeurs, sans les créer.
La même Humanité semble incapable de concevoir ce qu’est la véritable éducation, les mesures de l’intelligence et les notes scolaires évaluent l’efficacité, la performance, non la valeur même de l’élève.
Pourtant, décider intelligemment des règles d’une communauté, d’une institution ne dépend que de la volonté humaine. Comme Rabelais, Albert Jacquard « ne bâtit que pierres vives, ce sont hommes ».
Albert Jacquard, « le Compte à rebours a-t-il commencé ? », Stock, 139 pages, 15 euros.
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