« La place des approches complémentaires dans la prise en charge des patients douloureux chroniques s’est considérablement développée », souligne le Livre blanc de la douleur 2017, présenté le 17 octobre dernier (lire encadré) par la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD). Les approches psychocorporelles, comme l’hypnose, la sophrologie, la méditation ; certaines thérapies dites énergétiques comme le yoga, le tai-chi, ainsi que l’acupuncture et l’auriculothérapie sont les plus proposées, indique ce document.
Pour le Pr Pierre-Louis Druais, médecin généraliste et président du Collège de la médecine générale, « Le polymorphisme des causes, des mécanismes et des conséquences de beaucoup de ces douleurs chroniques, qu’elles soient abdominales ou céphaliques par exemple, rend légitime le recours à ces méthodes. On entre alors dans une logique de co-antalgie. » Aujourd’hui, on parle de plus en plus de disciplines complémentaires plutôt qu’alternatives. « Ces méthodes ne doivent pas être mises en rivalité avec les approches allopathiques, mais être considérées pour certains patients dans la globalité de leur prise en charge », surenchérit le Pr Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine de l’AP-HP, coordonnateur de l’initiative « Ensemble contre les rhumatismes » (Inserm-Aviesan, société française de rhumatologie et fondation Arthritis) et animateur de la journée d’échanges chercheurs-patients du 12 octobre dernier.
Preuve de cet intérêt grandissant pour ces disciplines, nos instances scientifiques ont évalué leur efficacité en analysant les nombreux travaux effectués dans ce domaine. L’Académie nationale de médecine et l’Inserm ont récemment passé en revue la littérature scientifique centrée sur ces méthodes complémentaires.
Concernant les médecines manuelles, l’ostéopathie et la chiropraxie, l’Académie nationale de médecine est très prudente, estimant que « les manipulations rachidiennes peuvent se montrer modérément efficaces sur la lombalgie aiguë, subaiguë ou chronique, sur la cervicalgie aiguë, subaiguë ou chronique, sur la céphalée d’origine cervicale, les états vertigineux d’origine cervicale, et à un moindre degré sur la migraine. » (rapport de 2013).
L’Académie de médecine se montre en revanche plus favorable à l’acupuncture qui « peut apporter un bénéfice aux patients souffrant de lombalgie ou cervicalgie chronique, de migraine ou céphalée de tension, d’arthrose des membres inférieurs, d’épicondylite, aux femmes enceintes éprouvant des douleurs des lombes ou du bassin et lors des douleurs de l’accouchement ». Dans son rapport de 2014 sur l’« évaluation de l’efficacité et de la sécurité de l’acupuncture », l’Inserm indique : « Le traitement de la douleur est l’indication la plus fréquente pour laquelle des revues Cochrane concluent à un bénéfice potentiel de l’acupuncture ».
Au sujet de l’hypnose, pour nos académiciens, « dans l’ensemble, les indications les plus intéressantes semblent être la douleur liée aux gestes invasifs chez l’enfant et l’adolescent et les effets secondaires des chimiothérapies anticancéreuses ». Le Dr Elisabeth Fournier-Charrière, pédiatre, spécialiste de la douleur à l’hôpital Armand Trousseau, AP-HP, précise en conclusion du rapport de l’Inserm de 2015 sur l’« évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose » : « Du point de vue scientifique, les études présentées montrent l’efficacité de l’hypnose dans un certain nombre de situations, essentiellement pour la douleur et l’anxiété lors de gestes chirurgicaux brefs ou de radiologie interventionnelle, et pour les symptômes d’intestin irritable. »
Améliorer la prise en charge de la douleurMardi 17 octobre, la SFETD a présenté le Livre blanc de la douleur 2017, alertant sur l’insuffisante prise en charge de la douleur en France. Le Pr Serge Perrot, président de la SFETD indique que ce « livre blanc doit servir de base à une réflexion, à des échanges avec les politiques que ce soit à l’échelon local ou national ». Neuf axes de propositions fortes sont énoncés pour améliorer la situation, comme impliquer davantage les acteurs de premiers recours, dont les généralistes ; mais aussi consolider le rôle des centres spécialisés en leur donnant plus de moyens. Les approches complémentaires sont abordées dans ce Livre blanc : si elles « sont plébiscitées par les patients, il reste néanmoins des difficultés à les intégrer de façon rigoureuse à nos pratiques ».
Question de méthodologie ?
À la lecture de tous ces documents parfois assez critiques sur les résultats de ces disciplines alternatives, on est en droit de s’interroger sur les méthodologies employées pour les évaluer, comme le fait remarquer le Dr Elisabeth Fournier-Charrière : « Un essai randomisé, contrôlé, incontournable pour mesurer l’effet d’un médicament, peut-il s’appliquer à l’analyse des effets de l’hypnose ? ». Le Pr Francis Berenbaum en convient lui aussi : « D’un point de vue scientifique, l’approche basée sur l’evidence based medicine rend l’analyse de ces études souvent difficile, en particulier pour faire la part des choses entre l’effet placebo et celui apporté par une de ces disciplines. Pour autant, même si ces travaux ne sont pas toujours évidents, ils restent indispensables. Concernant les affections rhumatologiques, les études montrent que pour les douleurs liées à l’arthrose, aux tendinites, aux lombalgies, l’effet placebo est d’environ 40 %. Cela signifie que tout soin devrait atteindre ce seuil de 40 %, voire davantage. Ce qui est déjà un bon résultat, si par ailleurs ce soin ne fait encourir aucun risque. »
Rapport bénéfice/risque
Pour le médecin généraliste, il est surtout important de savoir en détail de façon pratique ce que fait le soignant dans sa discipline. Il est aussi important d’évaluer le résultat avec le patient. Si le praticien a des questionnements sur certaines pratiques, la prudence reste de mise, et comme pour tout traitement, le rapport bénéfice/risque doit être évalué. Au sujet des manipulations manuelles, le Pr Francis Berenbaum prévient : « Il faut se méfier de certains gestes. Pour ma part, je ne prescrirai jamais de manipulation cervicale. Sur des terrains fragiles arthrosiques, par exemple, le risque est de provoquer une dissection vertébrale, une atteinte médullaire. Et au niveau lombaire, il convient d’être vigilant, le soignant devant avoir de bonnes connaissances médicales. »
Améliorer la prise en charge de la douleur
Mardi 17 octobre, la SFETD a présenté le Livre blanc de la douleur 2017, alertant sur l’insuffisante prise en charge de la douleur en France. Le Pr Serge Perrot, président de la SFETD indique que ce « livre blanc doit servir de base à une réflexion, à des échanges avec les politiques que ce soit à l’échelon local ou national ». Neuf axes de propositions fortes sont énoncés pour améliorer la situation, comme impliquer davantage les acteurs de premiers recours, dont les généralistes ; mais aussi consolider le rôle des centres spécialisés en leur donnant plus de moyens. Les approches complémentaires sont abordées dans ce Livre blanc : si elles « sont plébiscitées par les patients, il reste néanmoins des difficultés à les intégrer de façon rigoureuse à nos pratiques ».
Des urgentistes se forment à l’hypnose
Pour les douleurs, quelles sont les principales indications des disciplines complémentaires ?Dr Claire Vulser Les indications dépendent des objectifs que l’on cherche à obtenir selon chaque cas. Les différentes approches psychocorporelles ont des indications très variées. Exemples : la méditation en pleine conscience avec un protocole MBCT (Mindfulness-Based on Cognitive Therapy), dont les bénéfices en cas de douleur chronique ont été démontrés, n’agit pas forcément sur le niveau de la douleur, mais sur la qualité de vie. La relaxation de type analytique (en groupe) aide les douloureux chroniques à gérer les conséquences de ces douleurs dans leur vie quotidienne. L’hypnoanalgésie peut être proposée en aigu lors de certains gestes invasifs, comme une ponction-biopsie au niveau hépatique, mammaire ou ganglionnaire. Cette technique est souvent plus facile à mettre en place par un personnel formé qu’une sédation pharmacologique. Les urgentistes se forment d’ailleurs de plus en plus à l’hypnose. Le temps de désincarcérer une victime, par exemple, l’urgentiste peut la mettre temporairement en état d’hypnose, apportant un réel effet antalgique. L’auriculothérapie peut être indiquée en cas de dysesthésies provoquées par certaines chimiothérapies. L’acupuncture permet parfois à des migraineux d’arrêter leur traitement de fond. Elle peut être aussi indiquée en cas de douleurs neuropathiques périphériques dans de multiples indications.
Savons-nous comment agissent ces méthodes complémentaires ?
Dr C. V. Oui, on le sait de mieux en mieux, grâce en particulier aux travaux effectués avec l’imagerie cérébrale. Ainsi, quand le message douloureux parvient au niveau du cerveau, différents centres et régions sont activés pour ressentir la douleur. Par la méditation, on peut activer les zones qui diminuent la douleur, et au contraire inhiber les zones qui l’activent, en agissant entre autres au niveau du cortex cingulaire antérieur ou du cortex préfrontal. Grâce à l’hypnose, on active une partie du cortex moteur dans le but de parasiter les messages douloureux, pour avoir un effet antalgique.
Il peut être difficile pour le généraliste d’adresser son patient vers le « bon » soignant…
Dr C. V. C’est vrai que l’on voit des pratiques peu scientifiques, en particulier pour des disciplines complémentaires. Il est important de savoir ce que le soignant effectue réellement pendant les séances et de connaître sa formation. Même si les délais peuvent être longs, adresser un patient dans un centre de la douleur apporte une certaine garantie sur la prise en charge par les traitements allopathiques bien sûr, mais aussi par les disciplines complémentaires. Attention aussi de ne pas répondre à la demande de certains patients voulant essayer un peu toutes les techniques, les indications médicales doivent rester cadrées pour chacune de ces disciplines.
*Praticien hospitalier de l’AP-HP, responsable de la structure douleur de l’hôpital européen Georges Pompidou, à Paris.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature