Par le Dr JEAN-DOMINIQUE DOUBLET*
ON PRATIQUE chaque année en France plus de 200 000 biopsies de prostate. Cet acte est indispensable au diagnostic du cancer de prostate, mais il n'est pas exempt d'effets indésirables, essentiellement hémorragiques et infectieux. Les saignements mineurs (hématurie, rectorragie, hémospermie) surviennent dans environ 50 à 75 % des cas (1). En revanche, les hémorragies cliniquement significatives sont très rares. Comment évaluer le risque chez un patient donné ?
Les recommandations de la Société britannique d'hématologie ont très clairement conclu que les tests biologiques de coagulation étaient de mauvais facteurs prédictifs du risque hémorragique et qu'ils étaient donc inutiles. Un interrogatoire ciblé sur les antécédents médico-chirurgicaux des patients, de leurs antécédents familiaux, ainsi que sur leurs traitements en cours, est recommandé. En l'absence d'anomalies, aucun test n'est nécessaire (2). La littérature montre de plus en plus clairement que la prise régulière d'aspirine à faible dose n'augmente pas le risque hémorragique de la biopsie prostatique : dans une étude prospective randomisée comparant l'arrêt de l'aspirine, le relais par héparine de bas poids moléculaire et le maintien du traitement chez 200 patients, aucune différence quant à la survenue d'hémorragie mineure ou significative n'a été observée. La seule différence était la durée du saignement, un peu plus longue sous traitement (3). Ces résultats ont été confirmés par ceux de l'étude rétrospective de Maan (4). Si l'aspirine est prescrite en prévention primaire, il est cependant logique de suspendre le traitement. En cas de prévention secondaire, devant un risque vasculaire à l'arrêt du traitement, on peut poursuivre le traitement par aspirine sans augmenter le risque hémorragique de la biopsie de prostate. Le risque d'infection uro-génitale cliniquement significative après biopsie prostatique transrectale a été estimé à environ 5 à 10 % en l'absence d'antibioprophylaxie (5). Celle-ci réduit le risque de moitié. Il existe aujourd'hui un large consensus dans la littérature pour affirmer l'intérêt d'une antibioprophylaxie par quinolone monodose au moment de la biopsie (5, 6, 7). Un argument supplémentaire pour un traitement court est la survenue croissante de résistance des E.coli aux quinolones. La moitié des patients présentant une infection urinaire après biopsie prostatique ont des germes résistants aux quinolones (8).
Faut-il évaluer la stérilité des urines avant la biopsie ?
La prévalence de la bactériurie asymptomatique chez l'homme de 50 à 75 ans est faible. Elle augmente avec l'âge (9) et est de l'ordre de 6 % après 80 ans (10). Dans une étude portant sur 50 patients, un ECBU pré- et postbiopsie prostatique et une hémoculture postbiopsie ont été réalisés systématiquement, juste avant une antibiothérapie monodose. Avant biopsie, 52 % des patients avaient un ECBU totalement stérile, 42 % un ECBU avec moins de 10 000 germes/ml et 6 % un ECBU avec au maximum 50 000 germes/ml. Il s'agissait de flore cutanée, d'enterocoque et de E.coli dans respectivement 79 %, 2 % et 0 % des cas. Parmi les 24 patients ayant une culture prébiopsie positive, seulement 6 avaient un ECBU postbiopsie positif au même germe et aucun n'a eu de signe clinique d'infection urinaire. Au total, un seul patient de l'étude (2 %) a présenté une fièvre après biopsie, avec une hémoculture positive à E.coli (qui était absent sur l'ECBU prébiopsie). L'évolution a été favorable sous traitement antibiotique. Le taux observé d'infection est comparable à celui de la littérature. Les résultats de l'ECBU avant biopsie n'étaient donc absolument pas corrélés au risque de développement ultérieur d'une infection urinaire. Cette étude a également montré que des antécédents d'infection urinaire ou le score symptomatique n'étaient pas corrélés au risque d'infection (11). Il semble donc beaucoup plus intéressant, comme le recommandent Lemaitre et coll. (7), de rechercher par l'interrogatoire des signes évocateurs d'infection au moment de la biopsie ou des facteurs de risque (diabète). En cas de doute, la pratique d'une bandelette urinaire combinant nitrites et leucocyturie offre une très bonne valeur prédictive négative (12).
Au total, il est essentiel avant une biopsie de prostate d'évaluer par un interrogatoire précis et ciblé les antécédents personnels et familiaux du patient, les traitements en cours et les éléments cliniques et anamnestiques qui orienteraient vers des troubles de la coagulation ou vers une infection urinaire. En l'absence de tels signes, il semble parfaitement licite et sûr de se passer d'examens biologiques. Il est bien évident que le patient doit être informé de l'objet de cet interrogatoire et des effets secondaires fréquents et moins fréquents du geste. L'antibioprophylaxie par quinolone en monodose permet de réduire le taux d'infection après biopsie à environ 3 %.
* Hôpital Tenon, Paris.(1) Ghani KR et coll. Bleeding after transrectal ultrasonography-guided prostate biopsy BJU Int 2004 ;94:1014. (2) Chee YL et al Guidelines on the assessment of bleeding risk prior to surgery or invasive procedures. Br J Haematol 2008,140:496.
(3) Giannarini G et coll. Continuing or discontinuing low dose aspirin before transrectal biopsy : results of a prospective randomized trial. Urology 2007;70:501. (4) Maan Z et coll. Morbidity of transrectal ultrasonography-guided prostate biopsies in patients after the continued use of low-dose aspirin. BJU Int 2003;91:798.
(5) DA et coll. Single-dose oral ciprofloxacin versus placebo for prophylaxis during transrectal prostate biopsy. Kapoor Urology 1998;52:552.
(6) Argyropoulos AN et coll. Time of administration of a single dose of oral levofloxacin and its effect in infectious complications for transrectal prostate biopsy. Int Urol Nephrol 2007;39:897.
(7) Lemaître L et coll. Echographie et biopsie de prostate. J Radiol 2006;97:201.
(8) Feliciano J et coll. The incidence of fluoroquinolone resistant infections after prostate biopsy. Are fluoroquinolones still effective prophylaxis? J Urol 2008;179:952 (9) AD et coll.Clinically inapparent (asymptomatic) bacteriuria in ambulatory elderly men. Mims J Am Geriatr Soc 1990;38:1209.
(10) Rohde N et coll. Asymptomatic bacteriuria in a population of elderly residents living in a community setting. adults. Fam Pract 2006;23:303.
(11) Lindert KA et coll. Bacteremia and bacteriuria after transrectal ultrasound guided prostate biopsy. J Urol 2000;164:76.
(12) Dewillé WL et coll. The urine dipstick test useful to rule out infections. A meta-analysis of the accuracy. BMC Urol 2004;4:4.
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