QUAND CLAUDE CHABROL a décidé de faire un film s’inspirant de l’affaire Elf, il a «commencé par dresser une liste des pièges à éviter, et notamment celui de l’identification immédiate et celui de l’imaginaire absolu». «Car, de toute évidence, ajoute-t-il, si le film n’avait aucun rapport avec la réalité, il n’aurait guère d’intérêt.»
Certes, « l’Ivresse du pouvoir », dans lequel Isabelle Huppert incarne la juge qui a mené sans prendre de gants (dans le film, elle en a de fort beaux, de couleur rouge) l’enquête sur le grand scandale politico-financier des années 1990, peut se voir avec intérêt même si l’on ne sait rien ou pas grand-chose de ceux qui y ont été impliqués. Mais Chabrol, quoi qu’il en dise, s’est certainement beaucoup amusé à portraiturer certains protagonistes de l’affaire (notamment l’homme au cigare et à l’accent du Midi) et c’est aussi l’un des plaisirs du spectateur que de les reconnaître.
« L’Ivresse du pouvoir » raconte des affaires sordides, des jeux de pouvoir qui finissent mal, des puissants humiliés et la petite juge qui, grisée par son pouvoir, laisse sa vie privée partir à vau-l’eau. C’est dramatique et pourtant on sourit, ou même on rit, souvent. Car Chabrol excelle dans la caricature, dans les dialogues à l’emporte-pièce (coécrits, comme le scénario, avec Odile Barski), dans la mise en scène bien soulignée.
Nulle autre qu’Isabelle Huppert, dont c’est la septième collaboration avec Chabrol, ne pouvait incarner le personnage à multiples facettes qu’est la juge, une femme qui aime être en représentation, qui est à la fois forte et fragile. Sa seule « performance » est un régal. Ce qui n’ôte rien au mérite des autres comédiens, parmi lesquels François Berléand, Patrick Bruel, Robin Renucci, Maryline Canto, Thomas Chabrol, Jacques Boudet.
Echec collectif.
Chabrol ne se veut pas cinéaste politique, même s’il voulait montrer jusqu’où le pouvoir peut entraîner les individus : «Le pouvoir saoûle et l’abus de pouvoir tue», dit-il.
« Syriana », réalisé par Stephen Gaghan (scénariste de « Traffic », metteur en scène d’un premier film inédit en France), coproduit par Steven Soderbergh et George Clooney, est plus directement engagé. «Nous avons envisagé “Syriana” comme une réplique à ces films du milieu des années 1970 qui avaient le cran de présenter les échecs du gouvernement comme notre échec collectif et pas seulement comme celui d’un parti ou d’une faction», explique Clooney.
Le film s’inspire du livre-témoignage d’un ancien de la CIA, Robert Baer*, et met en scène de nombreux personnages, du vétéran de la CIA (George Clooney) aux pontes du pétrole en passant par les princes du Golfe, les spécialistes du marché de l’énergie, les politiques américains ou les travailleurs immigrés de l’industrie pétrolifère, proie parfois facile pour les islamistes... Pas facile à suivre, d’un continent à l’autre, mais passionnant quand on arrive à relier les fils entre eux.
Syriana, c’est le Moyen-Orient tel que les stratèges de Washington voudraient le remodeler. Mais des bureaux du pouvoir américain à la réalité du terrain, il y a toute une série d’échelons et de manipulations que le film met bien en valeur. La première puissance du monde tire les ficelles, mais on ne sait pas toujours au nom de qui (ceux qui ont le pouvoir financier, sans doute) ou de quoi, et les dégâts collatéraux ne sont pas prévisibles. Les jeux de pouvoir sont des jeux dangereux. En sommes-nous tous comptables ?
* Publié en France sous le titre « la Chute de la CIA : les mémoires d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme ».
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