Le reflux gastro-oesophagien peut induire une toux et participer aux manifestations cliniques de l'asthme. Mais certaines données suggèrent que la toux et l'obstruction bronchique peuvent, elles aussi, induire un reflux. Les explications du Pr Frank Zerbib.
LE REFLUX gastro-oesophagien (RGO) s'accompagne fréquemment de manifestations respiratoires ou ORL, dites supraoesophagiennes. Les manifestations respiratoires en rapport avec le RGO peuvent être diverses, comme un asthme chronique, une bronchite ou une toux chronique. L'association entre le RGO et les manifestations respiratoires n'implique toutefois pas automatiquement l'existence d'un lien de causalité, en raison notamment de la grande fréquence de ces symptômes dans la population générale.
Le RGO est susceptible d'induire ces manifestations supraœsophagiennes, directement par l'intermédiaire de microaspirations du contenu gastrique qui remonte jusqu'au niveau du carrefour pharyngo-laryngé. Ainsi, expérimentalement, la perfusion d'acide au niveau oesophagien peut déclencher une bronchoconstriction ainsi qu'une hyperréactivité bronchique. Un mécanisme indirect, par réflexe vagovagal, est également possible.
L'exposition acide oesophagienne est anormale chez les asthmatiques.
Cliniquement, la présence d'un RGO est fréquente chez les asthmatiques, comme cela a été montré dès 1990 (1). Dans ce travail, S. J. Sontag avait mis en évidence, dans cette population de patients, des signes de RGO dans 70 à 80 % des cas. Cet auteur a également montré l'existence d'une œsophagite chez 40 % des asthmatiques. Par ailleurs, l'exposition acide, principal facteur d'agression de la muqueuse œsophagienne, est anormale chez 80 % des asthmatiques. Enfin, en l'absence de tout signe digestif évocateur, un reflux dit silencieux peut être mis en évidence chez 62 % des asthmatiques (2).
Un certain nombre d'arguments permettent de penser qu'un RGO peut induire un asthme. En effet, un asthmatique sur trois a des signes de RGO avant l'apparition de tout signe respiratoire et plus de quatre asthmatiques sur dix pensent que les deux pathologies sont intriquées (3). Ces notions ont été confirmées par des études de pH-métrie. Peu d'essais contrôlés ont démontré l'efficacité des traitements du RGO sur les symptômes asthmatiques, ce bénéfice n'étant observé que chez une minorité de patients (environ un tiers). De plus, l'effet du traitement antireflux sur la fonction respiratoire n'est pas établi.
Réciproquement, un asthme pourrait être à l'origine d'un reflux soit par lui-même, soit par l'intermédiaire des effets des traitements, avant tout ceux de la théophylline et des stéroïdes per os. La théophylline diminue en effet la pression du sphincter oesophagien inférieur et stimule la sécrétion gastrique acide. Les stéroïdes oraux, quant à eux, augmentent l'exposition acide de l'œsophage. En revanche, le salbutamol est dénué d'effet sur le sphincter oesophagien inférieur et n'induit pas de RGO.
Le lien entre l'asthme et le reflux pourrait également s'expliquer par une altération de la fonction du diaphragme en raison de la distension thoracique. En effet, comme R. K. Mittal et coll. l'ont montré (4), la myotomie crurale augmente la fréquence du RGO induit par l'obstruction aérienne chez l'animal. D. W. Moote et coll. ont cherché à savoir si le reflux peut être induit par le bronchospasme (5). Leur étude, qui a porté sur quinze asthmatiques et quinze sujets sans hyperréactivité bronchique, a permis de montrer que, lors d'un test à la métacholine, le bronchospasme entraîne des épisodes de RGO plus nombreux et plus sévères chez les asthmatiques que chez les sujets du groupe témoin. En cas d'asthme, le bronchospasme induit par la métacholine augmente la fréquence des relaxations du sphincter oesophagien inférieur et celle des épisodes de reflux (6). Le salbutamol est toutefois sans effet sur ce dernier élément. Le mécanisme par lequel l'obstruction aérienne conduit à des épisodes de reflux n'est pas encore parfaitement élucidé.
Toux et RGO, ou RGO et toux ?
Par ailleurs, le RGO est une cause classique de toux chronique. Selon D. Sifrim et coll. (7), l'endoscopie et surtout la pH-métrie fournissent des renseignements variables en fonction de la sélection des patients dans les essais. Selon cet auteur, 10 à 40 % seulement des épisodes de toux sont rapportés à un RGO. Le rôle possible d'un reflux non acide peut être discuté. Selon T. M. Ours et coll. (8), l'efficacité d'un traitement antireflux est évidemment nulle chez les tousseurs chroniques sans reflux, mais elle n'est que de 35 % en cas de reflux documenté par la pH-métrie.
Quant au sens du lien causal entre la toux et le reflux, toujours selon D. Sifrim et coll. (6), sur 647 patients, la toux a été associée à un RGO dans 31 % des cas. Le reflux rendait compte de la toux chez 49 % de ces malades, la toux étant le primum movens dans 51 % des cas.
Ainsi, le RGO et les symptômes ORL ou respiratoires sont fréquemment associés. Des données montrent que le RGO peut induire une toux chronique et participer à la symptomatologie d'un asthme. Dans ce cas, le traitement du RGO n'est efficace que chez une minorité de patients, de l'ordre de 30 %. A contrario, certaines données suggèrent qu'une toux chronique et une obstruction bronchique peuvent entraîner un RGO. Cela pourrait rendre compte de la prévalence élevée du RGO chez ces patients. Les mécanismes intimes qui lient les phénomènes respiratoires et digestifs ne sont pas parfaitement élucidés.
D'après un entretien avec le Pr Frank Zerbib, Bordeaux.
1. Sontag SJ, et al. Prevalence of Oesophagitis in Asthmatics. « Gut » 1992 ; 33 (7) : 872-6.
2. Harding SM, et al. The Prevalence of Gastroesophageal Reflux in Asthma Patients Without Reflux Symptoms. « Am J Respir Crit Care Med » 2000 ; 162 : 34-9.
3. Sontag SJ, et al. Asthmatics Have More Nocturnal Gasping and Reflux Symptoms Than Nonasthmatics and They are Related to Bedtime Eating. « Am J Gastroenterol » 2004 ; 99 : 789-96.
4. Mittal RK, et al. Effect of Crural Myotomy on the Incidence and Mechanism of Gastroesophageal Reflux in Cats. « Gastroenterology » 1993 ; 105 (3) : 740-7.
5. Moote DW, et al. Increase in Gastroesophageal Reflux During Methacholine-Induced Bronchospasm. « J Allergy Clin Immunol » 1986 ; 78 (4 Pt 1) : 619-23.
6. Zerbib F, et al. Effects of Bronchial Obstruction on Lower Esophageal Sphincter Motility and Gastroesophageal Reflux in Patients With Asthma. « Am J Respir Crit Care Med » 2002 ; 166 : 1206-11.
7. Sifrim D, et al. Weakly Acidic Reflux in Patients With Chronic Unexplained Cough During 24-Hour Pressure, pH and Impedance Monitoring. « Gut » 2005 ; 54 (4) : 449-54.
8. Ours TM, et al. A Prospective Evaluation of Esophageal Testing and a Double-Blind, Randomized Study of Omeprazole in a Diagnostic and Therapeutic Algorithm for Chronic Cough. « Am J Gastroenterol » 1999 ; 94 : 3131-8.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature