Organisation ?

Qui est le maître d’ouvrage ?

Publié le 21/04/2010
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Pourquoi les systèmes d’information en production de soins sont-ils difficiles à mettre en œuvre ? Éditeurs et hospitaliers ont leur part de responsabilité. Mais de nouvelles agences vont leur apporter leur soutien.

En 2007, la clinique de Toulouse a mis au point un dossier patient original et innovant pour l’époque. Il s’agissait, ni plus ni moins, d’une saisie de la prescription, à même le chevet du patient. En résolvant un problème de taille : comment saisir des prescriptions informatisées sans gêner ou modifier les pratiques professionnelles des soignants et praticiens ? Réponse : en équipant les médecins d’une tablette électronique sur laquelle ils saisissent grâce à un stylo leurs prescriptions. Laquelle est ensuite annexée au dossier patient électronique, contrôlée par le pharmacien, puis dispensée par l’infirmière. Cette solution, qui maintenant semble commune, était à l’époque révolutionnaire. Et pour cause : elle a été conçue de concert entre une équipe de Siemens médical et un groupe de praticiens et soignants de la clinique Pasteur. Si bien que la maîtrise d’ouvrage fut parfaitement réalisée selon les desiderata de la demande, à savoir les praticiens. Malheureusement, ce cas de figure semble être l’exception qui confirme la règle : tant il est vrai que, par manque de maîtrise d’ouvrage, les progiciels mis en place ne s’adaptent pas, ou mal, aux pratiques professionnelles hospitalières. Cette carence en maîtrise d’ouvrage est due à deux principales causes : un manque de formation des professionnels hospitaliers en la matière, et la professionnalisation de la commande de progiciels.

Carence en formation

Sont visés : les professionnels hospitaliers. « Clairement la maîtrise d’ouvrage est plutôt du côté des métiers, s’exclame Didier Alain, manager à l’Anap. On pourrait aussi imaginer que la DSI soit répartie au sein des différentes directions métiers. Il faut que ces maîtrises d’ouvrage aient des connaissances pour piloter des projets technologiques. Au CHU de Tours, il y a des soignants chefs de projets sur des dossiers patients. C’est vrai aussi à Reims, dans la plupart des CHU et des gros CH. » Si les acteurs de la maîtrise d’ouvrage sont clairement identifiés, ils ne bénéficient pas, ou peu, de la formation adéquate pour prendre en charge des projets en SIH. « Il y a clairement une carence en formation à la maîtrise d’ouvrage et tant que l’on n’aura pas mis au point les outils pour nous former on continuera à se désespérer », se lamente Yannick Motel, délégué général du Lesiss*. Qui plus est, les quelques formations présentes sur le territoire sont éparses, et communiquent peu : « Actuellement nous avons un manque total de visibilité en matière de formation : il existe Demiach qui a été mis en place à Bordeaux, un autre à Grenoble, ainsi que des diplômes de gérontotechnologie qui sont en train de se mettre en place… il n’y a pas de guichet unique qui permettrait de recenser l’ensemble des formations en TIC Santé… », poursuit Yannick Motel. Résultat : peu de vocations sont suscitées, et les projets de dossiers patients coïncident mal avec les demandes des praticiens.

Mauvais paramétrage

Ils sont d’autant plus déphasés que l’appel à projet est passé d’une phase artisanale à une étape quasi industrielle. Auparavant, les hôpitaux confectionnaient eux-mêmes leurs logiciels selon leurs propres spécifications. Maintenant, ils doivent s’adapter aux contraintes des industriels, et aux paramétrages de leurs solutions. « Il y a encore actuellement un écart entre la demande des médecins et ce que livrent les projets. Parce que, entre la demande et le progiciel, il y a une phase d’implémentation. On réduit l’écart entre le progiciel et la demande par du paramétrage. Cette gestion des écarts entre le progiciel et la demande n’est souvent pas du tout gérée. Souvent dans les CHU, à la veille de la mise en production, des dizaines de points bloquants n’ont pas encore été résolus ! Quand on en arrive là on est dans une situation de crise avec l’éditeur et le dialogue n’est plus propice », explique Didier Alain.

À ces problèmes récurrents de maîtrise d’ouvrage s’ajoutent ceux ayant trait à l’urbanisation des systèmes d’information hospitaliers (SIH). Marie-Noëlle Billebot est en charge de l’accompagnement Hôpital 2012 en système d’information. Elle a parcouru la France entière, à raison de deux établissements par semaine, pour expertiser pas moins de 89 projets, dont pas moins du tiers est mutualisé. Elle a pu, in situ, juger de l’état des systèmes d’information.

Urbanisation faillible

« L’urbanisation des SIH n’est pas mature. Les logiciels ne disposent pas de toutes les informations pour valider la prescription. Par exemple, il n’y a pas de corrélation entre la prescription et les résultats de laboratoire. Les algorithmes décisionnels ne sont donc pas possibles », explique-t-elle. Cette urbanisation faillible a une autre conséquence : l’absence de référentiel unique. « Il y a une sorte d’incapacité à intégrer les différentes briques dans une infrastructure correcte. Si bien que les référentiels se multiplient et ne sont pas partagés », ajoute Didier Alain de l’Asip. Pour Yannick Motel, cette faiblesse de l’urbanisation des SI est due avant tout à des problèmes organisationnels, plutôt que techniques : « Aujourd’hui, la plupart des éditeurs sont inscrits dans une démarche d’interopérabilité. Pratiquement toutes les entreprises concernées font partie de IHE, HL7, etc. Dans la pratique, lorsque plusieurs fournisseurs doivent assembler des briques qui en théorie sont compatibles les unes avec les autres, ils n’y parviennent pas toujours. Ceci est dû à un manque de coopération entre les prestataires dans un même service. Surtout, lorsqu’il s’agit de prestataires entrants qui viennent implémenter des briques dans l’existant, celui qui gère l’existant ne facilite pas les choses… » Pour remédier à ce problème, la formation reste impuissante. Mais Yannick Motel pense que la diffusion de guides de bonnes pratiques peut rectifier le tir : « Nous sommes en train d’élaborer une charte d’interopérabilité, qui ne porterait pas forcément sur les aspects techniques, mais sur les bons usages de la mise en œuvre de l’interopérabilité. Le Lesiss coordonne ce projet. Ce guide devrait être livré dès cette année. »

Rigidité

Enfin, les progiciels pèchent par manque de souplesse. Une remarque qui s’applique à souhait au circuit du médicament : « La prescription nominative informatisée impose au pharmacien de valider chaque jour des centaines de prescriptions. Ce n’est pas possible. Par exemple, pour un établissement de 1 000 lits, pour rendre cette injonction réalisable, il faudrait employer non pas deux, mais 35 pharmaciens hospitaliers », se lamente Marie-Noëlle Billebot. Le flou qui préexistait avant l’informatisation de la production de soins est battu en brèche par la rigidité de l’informatique : « Saisir une information engage une responsabilité : certaines saisies qui étaient déléguées de manière sauvage du corps médical vers le corps soignant ne peuvent désormais plus l’être ! La prescription papier permettait encore une certaine marge de manœuvre : avec l’informatique, ce n’est plus possible ! » On n’oublie pas souvent de le dire : avant d’être une révolution technologique, l’informatisation de la production de soins est avant tout un bouleversement culturel. Qui mérite, plus que tout autre, un accompagnement au changement. C’est rarement le cas…

* Les entreprises des systèmes d’information sanitaires et sociaux.
Jean-Bernard Gervais

Source : Décision Santé: 264