«JE NE ME L'EXPLIQUE PAS. J'ai appelé le ministère pour essayer de comprendre, mais cela reste incompréhensible.» Le Pr Willy Rozenbaum, président du Conseil national du sida (CNS), en est encore «choqué» et parle d'un «brouillage du message» en contradiction avec le consensus international sur la transmission du VIH de soignant à patient. L'objet de son incompréhension ? L'information diffusée par la DGS le 23 septembre et reprise dans les médias. Les autorités sanitaires françaises «ont été informées qu'un médecin espagnol ayant pratiqué des interruptions volontaires de grossesse au sein de quatre cliniques de Barcelone jusqu'au mois de novembre 2007 serait porteur du virus de l'immunodéficience humaine, expliquait le communiqué. Au vu des informations actuellement disponibles, le ministère de la Santé recommande aux personnes ayant eu recours à des actes médico-chirurgicaux dans ces cliniques de consulter leur médecin traitant qui pourra, le cas échéant, leur prescrire un test de dépistage.»
Comme le Pr Rozenbaum, les spécialistes jugent la formulation du communiqué «quelque peu troublante». L'alerte, diffusée à la veille d'une séance plénière du CNS sur le «risque de transmission chez les personnes bénéficiant d'une multithérapie efficace», a, «de manière étonnante, suscité la même réaction chez la majorité d'entre nous, médecins et non-médecins, du fait, d'une part, de l'émotion que cela pouvait créer chez des femmes qui avaient déjà été contraintes d'aller réaliser une IVG en Espagne. Et, d'autre part, parce qu'il laisse planer quelque part la suspicion que c'est dangereux de se faire soigner par une personne infectée par le VIH», explique le président du CNS.
Un risque très faible.
Le conseil a d'ailleurs publié un communiqué dans lequel il «regrette que l'information légitime de la population se transforme parfois en message d'alerte dont le caractère est de nature à mettre en cause les efforts de lutte contre la stigmatisation, d'éducation et de prévention menés par l'Institut national d'éducation à la santé et les associations de lutte contre le sida». Il y rappelle que le risque de transmission nosocomiale du VIH survient uniquement en cas d'accident d'exposition au sang et que «rien ne permet de penser qu'une telle situation s'est produite». Comme il l'a déjà fait à plusieurs reprises (avis de 1992 et de 2004), il souligne que «l'exercice de la médecine par une personne vivant avec le VIH ne constitue aucunement un risque de transmission de cette infection».
L'évaluation du risque de transmission de soignant à patient est bien documentée et a fait l'objet de plusieurs avis du CNS et du Conseil supérieur d'hygiène publique de France. «Le premier cas concernant un dentiste américain date de plus de quinze ans. Le praticien était décédé avant qu'on ne s'aperçoive du risque et une enquête exhaustive avait été menée auprès de sa clientèle. Depuis, d'autres enquêtes ont été menées et des milliers de tests ont été réalisés dans l'entourage de professionnels de santé, y compris des chirurgiens sans que des cas de contamination soient identifiés», explique encore le Pr Rozenbaum. Quatre cas de transmission ont été publiés dans la littérature française et étrangère, dont deux en France, mais, «chaque fois, il s'agissait de conditions très particulières avec une suspicion de malveillance».
Le risque est donc «très faible». Le président du CNS indique que, en France, «un millier de soignants, infirmières, aides-soignants, médecins, chirurgiens sont porteurs du virus. On le sait par la déclaration obligatoire qui mentionne la profession. Il nous semble important de mettre en garde contre toute suspicion à leur égard».
À la suite du CNS, des associations comme Aides, Act-up, Sidaction, Actions Traitements ont également vivement réagi. Même chose chez Sida Info Service, dont l'alerte donnait le numéro pour toute information et orientation. Selon le Dr Michel Ohayon, son coordonnateur médical, «le ministère de la Santé justifie sa position par le fait que, dans le cas barcelonais, il manquait les éléments permettant d'affirmer que les actes de soins avaient été réalisés dans des conditions de sécurité adéquates». Ce que ses propres informations ne confirment pas : «Le ministère a-t-il d'autres éléments ou est-ce au nom du principe de précaution, de la loi sur l'information du malade qu'il ont agi*? Je n'en sais rien.»
Principe de précaution.
Dans le cas espagnol, les autorités catalanes ont considéré que le risque de transmission était nul et n'ont pas lancé d'alerte ou d'information, mais, fait remarquer le praticien, «le principe de précaution n'est pas inscrit dans leur constitution». Sida Info Service a déjà reçu des appels qui ont donné lieu à une quarantaine d'entretiens téléphoniques (le site Internet permet aussi d'être informé). «Nous rappelons, ce que ne fait pas le communiqué, qu'il y a un cadre d'exercice et qu'il y a problème lorsque ce cadre n'est pas respecté ou lorsque l'on n'a pas les moyens de savoir s'il n'est pas respecté ou que le praticien n'était pas en situation de pouvoir le respecter. Cela permet d'éviter le genre de message: vous avez eu affaire à un praticien séropositif, donc faites un test, ce que dit le communiqué en quelque sorte.» De 700 à 800 femmes étrangères seraient concernées, dont beaucoup de Françaises.
* À l'heure où nous mettions sous presse, le ministère et la DGS, sollicités par « le Quotidien », n'avaient pas répondu.
Quatre établissements
Les établissements concernés qui ont fermé depuis, sont la clinique TBC, la clinique Emece, la clinique Ginemedex et la fondation Morin à Barcelone (Espagne), réputés pour leur pratique d'IVG tardives. Certains médecins exerçant dans ces cliniques ont fait l'objet de poursuites judiciaires en Espagne. L'obstétricien concerné par l'alerte n'y exerce plus depuis novembre 2007, date de son incarcération.
L'expertise de l'InVS
C'est l'InVS (Institut de veille sanitaire) qui était chargé par la DGS d'une évaluation du risque de transmission du VIH dans le cas du chirurgien espagnol. «Nous n'avons pas pu conduire cette analyse, explique le Dr Bruno Coignard, responsable de l'unité infections nosocomiales au département maladies infectieuses, en charge du dossier avec Florence Lot, spécialiste de la transmission soignant-soigné (unité VIH/IST). Nous n'avons pas eu les éléments factuels nécessaires nous permettant une évaluation correcte du risque. Nous ne disposions que de coupures de presse, voire de rumeurs. De plus, il s'agissait d'un pays étranger, ce qui pouvait poser des problèmes vis-à-vis de nos collègues espagnols.» Le Dr Coignard croit aussi savoir que «les autorités espagnoles ont jugé le risque faible et n'ont pas fait d'information aux patients». Les deux spécialistes de l'InVS ont toutefois transmis aux autorités un état des lieux des connaissances sur la question, avec notamment l'analyse des quatre cas publiés, en estimant que le risque était «extrêmement faible», voire «infime».
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