« AU SENAT, l'âge du capitaine commence à faire jaser », titrait « Libération » le 11 octobre. Le journal se faisait l'écho des bruits, qui circulent, selon lui, « depuis de nombreux mois », au sujet de la forme du président Christian Poncelet, 77 ans : « Ses propos ne sont pas toujours très clair», « Il est incapable de prononcer un discours qu'on ne lui écrit pas. Chaque mot, même "bonjour", doit être transcrit pour qu'il le dise. C'est terrible pour lui. C'est insupportable pour l'institution. » Bref, la tension serait en train de monter au palais du Luxembourg à l'idée que le président « pète une durite ».
« Cet article nous emmerde ! », commente sans ambages un sénateur médecin, membre du groupe UMP. Le groupe a réagi en faisant part de sa solidarité avec le président. Un communiqué a été publié le jour-même de la publication de l'article, qui condamne des « attaques répétées aussi injustes que fausses ».
Qu'en pensent les seize médecins qui siègent au Sénat, eux qui sont doublement concernés, eu égard à leur qualité de parlementaire et de docteur en médecine ? Un quart d'entre eux ont accepté de répondre au « Quotidien ». Ils soulignent d'abord le contexte politique dans lequel se propage la rumeur. « Un an après avoir été reconduit à la présidence, souligne le Dr Bernard Cazeau, membre du groupe socialiste, chacun sait très bien que Poncelet chauffe le siège de Jean-Pierre Raffarin. » Réélu sénateur de la Vienne, l'ancien Premier ministre ne fait pas mystère de l'intérêt qu'il porte à la présidence du Sénat. Un intérêt dont il n'a d'ailleurs pas l'exclusivité, plusieurs personnalités convoitant aussi, plus ou moins ouvertement, ce poste prestigieux. D'où le climat « fin de règne » et quelque peu délétère qui s'est instauré sous les lambris. « Cela alimente des polémiques stériles », regrette le Dr Jacques Gillot (apparenté socialiste), voire « des manœuvres de délation qui visent à déstabiliser la République », comme le dénonce le Dr Michel Moreigne (socialiste).
Pour en revenir à la question de la santé de Christian Poncelet, le Dr Moreigne souligne tout d'abord que, à l'instar de ses collègues sénateurs et praticiens, il n'est pas le médecin du président. « Je ne suis donc pas tenu au secret professionnel, mais je respecte une obligation de réserve. Alors, concernant le président, j'ai eu l'occasion de l'observer de près lors d'un voyage qu'il a effectué au printemps dans ma région limousine. Et je puis vous garantir qu'il n'est pas complètement ramolli, contrairement à ce que prétendent certains. »
Le Dr Bernard Cazeau dresse un constat analogue : « J'étais avec lui à Valence il y a une quinzaine de jours et je l'ai vu prononcer des discours très classiques, assortis des plaisanteries dont il est coutumier. Bien sûr, il prend de l'âge et n'est plus aussi resplendissant qu'à ses débuts politiques. Mais, en tant que médecin, je n'ai jamais décelé chez lui un seul problème qui serait le signe d'une déficience mentale ou d'une dégénérescence neurologique. De ce point de vue, il reste égal à lui-même. »
« Les insinuations selon lesquelles Christian Poncelet ferait un Alzheimer ou serait sénile sont franchement lamentables, tempête le Dr François Trucy (UMP). Soit, il peut présenter quelques travers dans la diction, mais rien qui compromette l'autorité nécessaire à la direction d'une grande maison. »
« Voyez le président Franklin Roosevelt, renchérit le Dr Gillot ; le syndrome de Guillain et Barré dont il était atteint à la fin de sa vie ne l'a nullement empêché de remplir sa tâche à un moment qui était historiquement délicat. Et pensez-vous que si Christian Poncelet avait présenté une diminution physique et intellectuelle, les sénateurs l'auraient réélu à la présidence l'année dernière ? »
L'époque de la « pohérisation ».
Quand on regarde l'histoire récente du Sénat, la réponse à cette question pose quelques problèmes. Un nom reste dans tous les esprits, celui d'Alain Poher. Le maire d'Ablon-sur-Seine fut constamment réélu à la présidence de la Haute Assemblée de 1968 à 1992, jusqu'à l'âge de 83 ans. Ce fut la grande époque de ce qu'on a appelé « la pohérisation » : pendant son dernier mandat, le président avait été contraint de déléguer l'essentiel de ses responsabilités à son directeur de cabinet. L'un de nos interlocuteurs était d'ailleurs présent et l'a pris en charge le jour où il a raté une marche pour accéder au perchoir et s'est foulé la cheville devant les caméras. L'incident, commente le sénateur médecin, n'occasionna aucune atteinte cérébrale, certes. Mais il ne contribua pas au rajeunissement de l'image de l'institution. « C'est dommage, regrette le Dr Cazeau, alors que nous avons une moyenne d'âge des élus plus basse que celle des députés, et un pourcentage d'élues femmes supérieur (17 % contre 13 %) . Mais les présidents passent et le problème demeure : après Poher, il y a eu René Monory ; la maladie de Parkinson dont il souffre posait des difficultés de stabilisation préjudiciable à certains moments à l'exercice de ses responsabilités. Et maintenant c'est Poncelet et de nouvelles rumeurs. Un président beaucoup plus jeune redonnerait enfin tout son lustre à notre institution. »
Un sénateur hasarde au demeurant que la présidence du Sénat n'est pas une affaire si primordiale pour la bonne marche de l'Etat. Mais l'article 7 de la Constitution envoie quand même le président du Sénat à l'Elysée pour assurer l'intérim (comme s'en chargea Alain Poher à deux reprises, en 1969 et en 1974).
A nouveau, le débat sur la transparence autour de la santé de ceux qui nous gouvernent est donc ouvert. Et se trouve posée la question des modalités d'une procédure qui déclare la vacance de la fonction et prononce l'empêchement de qui l'exerce. La constitution de la Ve République n'en dit mot, ni pour le président de la République, ni pour celui du Sénat, ni pour quiconque.
Et, comme toujours, il y a les partisans du statu quo. Le Dr Trucy estime qu'une telle procédure « n'empêcherait pas les manipulations et les coups tordus. La réglementation en la matière est une arme à double tranchant ».
D'aucuns pensent qu'avant d'en arriver là, avec toutes les lourdeurs et les contraintes inhérentes à une réglementation, « il existe mille façons de régler le problème, à commencer, estime le Dr Trucy, par la pression interne. Le président est un personnage public qui évolue sous la lumière et nous avons, en particulier nous qui sommes médecin, toute latitude de vérifier, jour après jour, s'il est capable, en faisant la part entre les petits travers liés aux circonstances et le fond de choses. Après, à partir du moment où un problème de santé est constaté, on réagit en interne ».
Au final, nos interlocuteurs se retrouvent pour faire confiance au détenteur de la fonction : « C'est lui qui doit avoir la sagesse de se retirer de son propre chef, dès qu'il estime qu'il n'a plus l'aptitude de sa charge. »
Une sagesse dont personne n'a encore fait montre dans les annales de la Ve République.
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