Elle a changé de coiffure - elle s'est éclairci les cheveux - et a perdu un peu de ses joues poupines. Pendant l'énoncé des faits qui l'ont conduite à cette cour d'assises, Christine Malèvre, 33 ans, a gardé la tête baissée. Cette ancienne infirmière du service de pneumologie et de neurologie de l'hôpital de Mantes-la-Jolie comparaît à Versailles pour sept assassinats, des « homicides volontaires avec préméditation », sur sept de ses patients (« le Quotidien » du 17 janvier). Elle risque entre deux ans de prison et la perpétuité.
Au cours du procès prévu pour deux semaines, les jurés devront trancher ce dilemme : Christine Malèvre a-t-elle aidé à mourir ses patients selon leur volonté, une pratique interdite mais officieusement admise dans les hôpitaux pour des malades en souffrance, ou bien a-t-elle délibérément mis fin à la vie d'hommes et de femmes, certes en fin de vie, mais peut-être avec le désir de continuer leur chemin jusqu'au bout ? Parle-t-on d'une question de société, l'euthanasie, ou des agissements d'une meurtrière ?
Double
Malèvre paraît double. Elle est à la fois cette élève qui sort major de son école d'infirmière (un métier qu'elle veut exercer depuis l'âge de 5 ans) et cette jeune femme qui ne réussit pas à s'intégrer à son équipe hospitalière et reste seule. Sa sur Céline, de deux ans sa cadette, appelée à la barre parmi les premiers témoins qui doivent permettre de cerner la personnalité de l'accusée, parle d'un encadrement différent selon qu'on est dans le monde scolaire ou dans l'environnement professionnel : « Lorsqu'on est en stage, on s'intègre beaucoup plus facilement. La sanction est centrée sur l'élève. Ce n'est pas la même chose lorsqu'on est en poste. On ressent souvent cette solitude. » Une solitude d'autant plus marquée pour Christine Malèvre qu'elle était, selon sa sur, « jalousée par ses anciennes camarades devenues collègues ».
Devant les jurés, Christine Malèvre retrace sa vie, qu'elle décrit sans histoire : une scolarité normale, mais perturbée par des ennuis de santé, des parents aimants. La mère, ancienne assistante maternelle, ne peut venir témoigner. « Elle ne pourrait pas vous répondre, dit le père, Gérard Malèvre, au jury. Elle fait dépression sur dépression. » La voix de Christine Malèvre est troublée, son discours est hésitant. Le président Christian Pers brise le silence. « Dans quelle ambiance familiale viviez-vous », demande-t-il ? « J'ai de bons souvenirs, répond l'ancienne infirmière. Si j'ai des enfants, je les élèverai comme mes parents m'ont élevée. Papa est très sensible, réservé, aimant. Maman a un caractère fort, elle adore les enfants puisqu'elle en a fait son métier. » Une mère dont elle a toujours attendu de la tendresse, de l'écoute et avec qui elle s'est « chamaillée » lorsqu'elle a pris son propre appartement à Mantes, à 21 ans. « Je suis née après onze ans de mariage ; mes parents se sont fait soigner pour avoir des enfants », précise Christine Malèvre. Petite, elle avoue avoir ressenti de la jalousie pour les enfants que gardait sa mère mais aussi pour sa sur, dont la santé fragile nécessitait plus d'attentions. « J'étais plus indépendante. Je n'étais pas en attente alors que Christine était plus douce et attendait des relations très proches avec notre mère », affirme Céline.
C'est aussi de la tendresse qu'elle a cherchée dans sa relation avec Olivier Serizay, 35 ans, patient du service de pneumologie, atteint d'une sclérose en plaques. Son détachement de la sexualité, Christine Malèvre l'explique à travers un traumatisme. A mi-sanglots, elle parle des attouchements auxquels s'est livré, lorsqu'elle était plus jeune, un professeur de mathématiques qui lui donnait des cours particuliers. « C'était sale, j'avais honte mais je ne voulais pas le dire. » Sa relation avec Olivier cesse en 1998, après la révélation des faits, alors qu'une date de mariage était fixée. « Christine ne s'est pas sentie assez soutenue », explique Céline, qui voit souvent sa sur comme une victime. Elle rapporte le témoignage d'une ancienne collègue qu'elle a elle-même reçue : « Bénédicte Ledoyen m'a téléphoné pour me dire qu'elle aimait beaucoup Christine. "On veut faire porter le chapeau à Christine dans ce qui se passe à l'hôpital" , m'a-t-elle confié. Mais elle n'a plus voulu me reparler. Elle se sentait menacée dans son poste et avait reçu des pressions du directeur de l'hôpital. »
Pour Gérard Malèvre, Christine a toujours été travailleuse : « J'ai été surpris, bien sûr, dit-il. Je n'aurais jamais imaginé qu'elle puisse faire ça, si toutefois elle a fait ça. »
Une tentative de suicide
Décrite comme autoritaire et ordonnée par sa mère, Christine Malèvre ne supporte pas la saleté. Elle ne supporte pas non plus de se coucher tard. Alors qu'elle est affectée à la maternité de l'hôpital de Mantes en service de nuit, son premier travail, elle demande six mois plus tard son affectation de jour, dans le service de pneumologie dont le surnom est, souligne-t-elle, « la cour des miracles ».
Les agissements meurtriers de Christine Malèvre seront stoppés en mai 1998 lorsque le directeur de l'hôpital la convoque dans son bureau : « M. Gosset m'a dit que si tout ce qu'on lui avait dit sur moi était vrai, il n'aimerait pas être à ma place. Dès que je suis sortie du bureau, j'avais pris la décision de me suicider. » En rentrant chez elle, Malèvre avale cinq boîtes de Lexomil, revêt son maillot de bain, « par pudeur », et attend de s'endormir dans son bain et de se noyer. Hospitalisée d'urgence, elle sera ensuite internée dans une clinique psychiatrique pour en ressortir, contre avis médical, libre, mais sous contrôle judiciaire. Christine Malèvre tente depuis de retrouver « un peu goût à la vie », à Laval, avec un nouveau travail et dans les bras d'un nouveau compagnon, Vincent.
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