QU'EST-CE QUI pousse Sally Gilmartin à scruter avec anxiété les alentours de son paisible cottage de l'Oxfordshire ? La sénilité menace-t-elle sa mère, se demande Ruth ? La question se pose encore plus lorsque Sally lui révèle que son vrai nom est Eva Delectorskaya, qu'elle est russe, et qu'elle a été recrutée comme espionne en 1939 par un certain Lucas Romer. La vieille dame indigne, qui a préparé son coup depuis longtemps, déroule ainsi chapitre par chapitre l'histoire de sa « vraie » vie.
A ce passé riche en actions répond le présent de Ruth dont la tranquillité est malmenée par les révélations de sa mère. Agée de 26 ans, elle élève seule le fils qu'elle a eu avec un professeur allemand et elle enseigne l'anglais à des étrangers en même temps qu'elle essaie de terminer une thèse sur la Révolution en Allemagne de 1918 à 1923. Et voici que son ex-beau-frère débarque chez elle, alors même qu'en cet été de 1976 on reparle de la bande à Baader… Et pourquoi cet étudiant iranien qui ne cache pas son opposition active au Shah lui fait-il les yeux doux ? A son tour elle se met aux aguets des moindres signes qui lui apparaissent comme des menaces.
William Boyd excelle dans l'art de faire progresser le suspense, classique dans le cas de Sally/Eva, plus subtil quand il s'agit de Ruth.
Des Américains trop tranquilles.
Lorsque Eva Delectorskaya a été recrutée – à l'enterrement de son frère mort pour la patrie – Romer lui a martelé la première règle : ne faire confiance à personne. C'est bien sûr là que le bât blessera. La jeune fille – qui deviendra vite la maîtresse de son mentor – est enrôlée dans un groupe dont l'objectif est de persuader les Etats-Unis d'entrer en guerre ; la désinformation est leur arme principale ; la BSC – British Security Coordination – comptera jusqu'à trois mille agents anglais, qui investiront jusqu'à deux étages du Rockefeller Center !
Le courage et l'efficacité d'Eva sont mis à rude épreuve : lorsqu'on l'envoie sur le terrain, son contact se fait tuer sous ses yeux ; puis elle doit coucher avec un fonctionnaire dans le but de le faire chanter ; et surtout, au Mexique, elle échappe par miracle (et grâce à un crayon bien taillé…) à une mort programmée. Tout cela pour rien, si l'on peut dire, puisqu'aussitôt après cet « incident » Pearl Harbour décide les Américains à bouger.
Cependant pour la jeune femme rien n'est fini. Transformée en parfaite espionne, elle usera encore de cinq noms différents avant de devenir Sally Gilmartin, de se marier, d'avoir un enfant et d'être heureuse. Jusqu'à ces jours de canicule où le passé la rattrape, à moins que ça soit l'inverse.
Entre-temps, le lecteur aura passé un sacré bon moment !
Editions le Seuil, 352 p., 23 euros.
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