LE 13 MARS DERNIER, six patients étaient admis en unité de soins intensifs de l’hôpital de Northwick Park à Londres, à la suite de l’injection d’une molécule en cours d’essai de phase I, le TGN 1412, encore appelé SuperMab. Anticorps monoclonal humanisé, le SuperMab, développé par le Laboratoire allemand Te Genero, bénéficie pour son développement de la désignation de médicament orphelin accordée en avril 2005 par la Commission européenne. L’accident est exceptionnel, selon le Dr Yves Juillet, président du comité de la politique réglementaire et des standards techniques de la Fédération internationale des industries du médicaments (Fiim) : «Il y a eu dans le passé des accidents isolés mais à ma connaissance jamais de cette importance ni de cette gravité. Manifestement, un problème d’ordre immuno-allergique sous-jacent a entraîné une réaction très brutale chez toutes les personnes qui ont reçu une injection de la molécule.»
Huit patients étaient inclus dans l’essai et ceux (n = 2) chez qui le placebo a été administré ne se sont plaints d’aucun symptôme. Dans l’heure et demie qui a suivi l’injection de la molécule active, les volontaires ont été pris de malaise et de nausées et leur état s’est rapidement dégradé. Ils ont été hospitalisés en état de défaillance viscérale aiguë et leur état a été jugé «grave» et pour deux d’entre eux «critique». Une semaine après, un bilan rendu public par l’hôpital précisait que quatre d’entre eux n’étaient plus sous ventilation assistée, mais restaient sous surveillance en soins intensifs. Et, malgré quelques signes d’amélioration, l’état des deux autres restait «critique», tout pronostic quant à l’évolution étant «prématuré».
Dès l’annonce de l’accident, l’Agence britannique de régulation des médicaments et des produits de santé (Mhra) a ordonné la suspension de l’essai clinique et a alerté ses homologues européens dans les 24 heures. Deux enquêtes ont été ouvertes, l’une par les inspecteurs du Mhra et l’autre par Scotland yard. L’essai de phase I, conduit par Parexel International avait été autorisé et approuvé par le Mhra et le comité d’éthique anglais, conformément aux nouvelles directives européennes déjà adoptées par l’Angleterre. «Les directives européennes s’inspirent de la loi Huriet en vigueur depuis 1988 en France. Par rapport à la loi de 1998, elles instaurent un système d’autorisation à la place de l’ancien système seulement déclaratif. Avant de débuter, un essai devra être non seulement évalué par le Comité de protection des personnes, mais aussi par l’Afssaps, qui donneront leur autorisation», précise Chantal Belorgey-Bismuth, du département de l’évaluation des médicaments à statut particulier et des essais clinique à l’Afssaps.
Un potentiel extraordinaire.
En dépit de cette procédure, les questions demeurent. Lors d’une conférence de presse organisée à Londres, des experts britanniques se sont interrogés sur les procédures à utiliser lors de ce type d’essais. «Ces nouveaux composés biologiques ont un potentiel extraordinaire et nous font repousser les frontières, mais il nous faut réfléchir à des moyens différents de les tester», a affirmé le Pr Janet Derbyshire, directrice de l’unité essais cliniques du Conseil britannique de la recherche médicale. Selon elle, les anticorps remettent en cause, en particulier, «l’utilité des informations que nous apportent les tests en laboratoire sur des tissus ou des animaux», c’est-à-dire la phase précédant les essais sur l’homme. Parmi les pistes avancées, les experts citent la production des animaux de laboratoire génétiquement modifiés qui pourraient être dotés d’un système immunitaire humain ou encore le recours à des microdosages. En Allemagne, les autorités sanitaires ontdécidé que ces essais «à haut risque biologique» seraient dorénavant pratiqués sur un seul volontaire humain à la fois, et non sur plusieurs simultanément.
Un cadre réglementaire précis.
En France, pour ce type d’essais, des «précautions très importantes sont déjà prises, affirme le Dr Yves Juillet . Un produit qui arrive en phaseI est un produit qui a déjà cinq ou six ans de développement, en particulier préclinique chez l’animal, et pour lequel un dossier pharmacologique, toxicologique et chimique a été déposé auprès des autorités chargées d’autoriser l’essai et auprès du comité de protection des personnes. Le cadre réglementaire est très précis. Il va falloir attendre les résultats des enquêtes pour déterminer s’il y a lieu de demander des informations supplémentaires ou s’il faut changer la manière dont sont conduits les essais.» Les décrets qui doivent transposer les directives européennes en France sont attendus. Cependant, les deux particularités françaises qui tendent à mieux sécuriser le système resteront inchangées. La loi Huriet prévoit l’autorisation et l’inspection des lieux de recherche et a instauré un fichier des volontaires. «Les volontaires qui entrent dans un essai sans bénéfice individuel direct font l’objet d’un fichier national des volontaires. A cela deux objectifs. Le premier est de permettre aux investigateurs de vérifier que la personne incluse ne mène pas deux essais en même temps; le deuxième objectif est de vérifier que cette personne n’a pas dépassé le montant maximal autorisé de 3800euros par an et, ce pour éviter la professionnalisation des volontaires», précise Chantal Belorgey-Bismuth. La loi prévoit que tous les essais doivent être assurés, ce qui permet notamment d’indemniser les personnes. Le Pr Huriet rappelle que la loi qui porte son nom a été élaborée notamment pour répondre aux problèmes de la protection des volontaires sains, avant de s’étendre à tous les essais cliniques. Il se dit «inquiet», dans un contexte où l’opinion publique est très sensible, à tout ce qui touche la santé. «Ce type d’accident est rarissime, compte tenu de la dizaine de milliers d’essais de phaseI qui sont pratiqués dans le monde. En 1999 et 2001, deux cas se sont produits, l’un lors d’un essai de thérapie génique et l’autre pour un traitement contre l’asthme, et il semble que, à chaque fois, un manque de rigueur dans la prescription réglementaire ait été en cause.»
Selon lui, le passage chez l’homme est une période cruciale et «c’est pour cela qu’il faut être extrêmement vigilants et exigeant sur l’éthique, à travers le consentement, et sur les prérequis, à propos des conditions de mise en oeuvre des protocoles. Mais on ne pourra jamais passer des essais chez l’animal ou sur les cellules à la mise sur le marché. Les essais cliniques sont un impératif, y compris de santé publique». D’eux dépendent l’innovation et les progrès thérapeutiques.
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