LES MALADIES de Georges Pompidou et de François Mitterrand n'y auront pas changé grand-chose : en France, il est toujours aussi difficile d'accéder aux informations sur la santé des hommes et des femmes publiques. Alors qu'ils sont dans l'obligation de dévoiler devant les médias ce qu'ils ont (patrimoine, revenus, imposition), ce qu'ils sont, en termes de santé physique et mentale, pour la moitié de nos aspirant(e)s président(e)s, reste zone interdite. Malgré les efforts déployés sans relâche par « le Quotidien » depuis le début février et le harcèlement téléphonique auquel nous avons dû soumettre les QG.
Parmi les tenants de la transparence, le degré des précisions fournies (sans préjuger de leur sincérité) est très variable. Il y a les réponses laconiques, à l'instar de celles fournies par Philippe de Villiers. Le président du conseil général de Vendée, à 58 ans, semble jouir d'une santé à toute épreuve et les vicissitudes d'une campagne qui s'apparente à un marathon exténuant ne semblent avoir aucune prise sur lui : «La nature m'a doté d'une santé correcte, nous confie-t-il, et, pour l'heure, je n'ai pas eu besoin de solliciter les conseils d'un médecin.» Six heures de sommeil lui sont indispensables, moyennant quoi, assure-t-il, le stress lui est étranger. Pour garantir son équilibre, il «aime réfléchir, écouter, analyser»; il ne s'astreint à aucun régime alimentaire ou autre, affichant son «goût marqué pour les produits du terroir, dont notre pays est si riche, et pour les fruits qu'(il) ne se lasse pas de déguster quotidiennement». La forme de Philippe de Villiers est telle qu'il n'éprouve aucun besoin de l'entretenir, comme à l'époque où il pratiquait le foot. Mais il se targue de faire un footing de 45 minutes par semaine.
Gérard Schivardi, 56 ans, le candidat soutenu par le Parti des travailleurs, dresse un constat tout aussi satisfait de sa bonne santé. «Je ne me connais aucune faiblesse particulière et c'est sans doute lié à mon métier d'artisan maçon. Pendant des années, explique-t-il, mon travail a été un exercice physique de tous les jours. Avec la campagne, mon seul souci est de récupérer après des nuits trop courtes. Je profite des voyages en train pour compenser par des siestes.»
Frédéric Nihous, 39 ans, 1,85 m, 96 kg, tension à 14/7.
Tenir la distance en gérant la privation de sommeil, c'est, confient les uns et les autres, toute la difficulté de la performance. «Depuis un mois et demi, le rythme est infernal, n'hésite pas à dire Frédéric Nihous. A 39 ans, 96 kg pour 1,85 m, ce «beau bébé», comme se qualifie lui-même cet ancien 3e ligne de rugby, ne dort que 5 heures par nuit , alors qu'un minimum de 7 à 8 heures lui est, dit-il, indispensable. Comme les autres, il complète autant qu'il peut, en voiture, en train ou en avion, par des petits sommes. «Mais il n'est guère possible dans ces conditions de maintenir une bonne hygiène de vie: je mange n'importe quoi à n'importe quelle heure. Le matin, c'est café sur café, l'après-midi, chocolat sur chocolat. Mais je proscris tout stimulant, tout dopant, Guronsan ou autre. En fait, je prends sur moi, et je profite certainement du fait que, à longueur d'année, je fais beaucoup d'exercice, de la marche et, évidemment, de la chasse. Si bien que je ne suis jamais malade. J'ai un médecin traitant, qui vérifie que tout va bien, avec une tension à 14/7, des taux de cholestérol inférieurs aux normes. La Sécurité sociale fait des économies avec des clients qui ont mon profil.»
Cela dit, le candidat de Chasse, pêche, nature et tradition trouve normal que les élus communiquent sur leur santé. «En faire un sujet tabou, estime-t-il, c'est donner prise à toutes les rumeurs et à tous les fantasmes. Si j'étais président, je publierais un bulletin de santé mensuel.»
Le cancer de la prostate de Le Pen traité par radiothérapie.
A 78 ans, le doyen de la compétition affiche le même souci de transparence. Le « menhir » Jean-Marie Le Pen, comme le surnomment ses amis, avoue le même poids qu'en 2002, 92 kg pour 1,84 m. Il prétend faire aujourd'hui autant d'exercice physique qu'à l'époque, soit, «au saut du lit, une quarantaine de pompes à la file, une centaine d'abdominaux, des assouplissements. En prime, j'essaye de faire un jogging le samedi, quand mon emploi du temps me le permet. Sur le plan alimentaire, j'évite les excès, je fais attention à ce que je mange et à ce que je bois ».
Le président du Front national nous apprend qu'il «s'est fait changer une roue arrière». Comprenez qu'une prothèse de la hanche lui a été posée à Percy. «Du beau travail, se félicite-t-il, qui, après une rééducation intensive, m'a parfaitement remis sur pied.»
Jean-Marie Le Pen n'est pas moins satisfait des oncologues qui l'ont pris en main. «J'ai eu un cancer de la prostate dépisté à son début. Il a été traité par radiothérapie. Grâce au radium, tout est rentré dans l'ordre, j'ai aujourd'hui un taux de PSA à un niveau normal.»
«Avec une tension à 14/7, je reste en parfaite santé et sans complexes par rapport aux benjamins engagés dans la course à l'Elysée.» Ne sent-il pas le poids des ans face au juvénile Olivier Besancenot ? «J'ai été ce que vous êtes, lui lance-t-il, et je vous souhaite d'être un jour celui que je suis!»
Dominique Voynet la joue moins triomphaliste. Mais non moins maîtresse de sa forme. A 49 ans, cette ancienne urgentiste et anesthésiste ne cache pas que, en période électorale intensive, son goût du silence, de la plongée sous-marine, des nuits de 7 à 8 heures sont sérieusement mis à mal. «Bien sûr, il faut gérer le stress, confie-t-elle. J'aime rire et cela m'aide à le combattre. Le soutien de mes proches, de mes filles est également précieux dans ce domaine. Cela dit, le stress fait partie de la vie d'une candidate à la présidentielle, comme d'une salariée ou d'une femme qui connaît la précarité. Il faut en accepter les contraintes.»
La candidate des Verts ne suit pas un régime à proprement parler, elle confesse qu'elle boit trop de café, mais qu'elle essaye, comme tout le monde, d'éviter les excès. «Certains soirs, après une harassante journée de campagne, il m'arrive de rêver à une belle salade. Et dans le cours de mes journées, je marche autant que je peux.» A défaut de plongée sous-marine… Au passage, Dominique Voynet en profite pour rappeler que «la plupart des maladies chroniques (cancers, diabète, obésité, maladies cardio-vasculaires) sont liées à des facteurs environnementaux au sens large. Il faut donc, plaide-t-elle, renforcer les efforts d'éducation sanitaire, de prévention, et restaurer la qualité de l'environnement en éliminant pesticides, dioxines, benzène et autres polluants omniprésents dans notre atmosphère».
Un autre candidat qui peut tirer argument de sa grande forme, c'est François Bayrou. 57 ans, 1,78 m, 80 kg (il avait perdu quelques kilos avant la campagne, il les a repris en route), le Béarnais n'est, assure-t-on dans son entourage, «jamais malade, jamais survolté». «Même les épisodes grippaux qu'il lui arrive de contracter comme tout un chacun ne l'arrêtent pas», note une collaboratrice rapprochée. Seul « pépin », une chute sur une estrade dans un studio radio, il y a quelques semaines, qui lui a occasionné une luxation de l'épaule, réglée par des séances de kiné. En régime de campagne, le président de l'UDF se contente de 4 heures de sommeil (contre 6 en temps normal), allongées par des minisiestes d'un quart d'heure, plusieurs fois dans la journée. Grâce à un petit déjeuner hypervitaminé (kiwi, pamplemousse pressé, yaourt, pas de viennoiseries), il se dispense de déjeuner, se contentant de croquer un fruit ou deux. «Je suis fructivore», aime-t-il à répéter. Pour le repas du soir, il s'octroie un unique verre de vin. Son plaisir de faire une marche tôt le matin est souvent compromis par des rendez-vous radio dès potron-minet. Reste donc le rythme de ses journées qui lui tient lieu d'entraînement intensif. «Un autre, à ce compte-là, devrait être en état de nerfs permanent. Pas lui. C'est comme si son corps épongeait tout, avec une totale maîtrise émotionnelle, s'extasie une proche, qui ajoute : quand vous poursuivez comme lui une grande ambition pour le pays, et c'est le cas des candidats à la fonction suprême, beaucoup de choses se trouvent reléguées au second plan et n'ont plus prise sur vous.»
Nous ne saurons pas s'il en est ainsi pour José Bové, Marie-George Buffet, Arlette Laguiller, ni Olivier Besancenot. Bien que ce dernier ait accepté de nous répondre lors de la campagne de 2002*, ou qu'Arlette Laguiller n'ait pas hésité à se confier à « Gala », ces quatre candidats sont restés sourds à nos demandes réitérées, jugées «trop personnelles».
De même, Ségolène Royal, qui n'avait pas hésité à accorder un entretien à « Rottweiler News », nous a fait dire qu'elle ne nous répondrait pas. «Mais pourquoi voudriez-vous qu'un candidat ait à communiquer sur sa santé, proteste le député PS de Paris Jean-Marie Le Guen. Personnellement, je reste attaché aux droits des malades par-dessus tout autre critère et je ne vois pas pourquoi un homme ou une femme d'Etat n'aurait pas la possibilité de s'en prévaloir. Après tout, ils sont les mieux à même d'apprécier leur aptitude à la fonction en termes de santé personnelle.»
«Une bonne santé qui, dans le cas de la candidate socialiste, semble manifestée par son sourire de tous les instants, estime une députée PS du Pas-de-Calais. Elle a une forme olympique, une résistance à tout crin, un équilibre hors du commun.»
Ce sourire de Ségolène Royal est presque omniprésent, note Pascal de Sutter, chercheur en psychologie (université de Louvain-la-Neuve)**. «En cinq minutes de télévision, elle peut sourire jusqu'à onze fois en dévoilant toutes les dents de sa mâchoire supérieure. Elle tend même à en abuser, en émettant ce que l'on appelle des “faux sourires”, caractérisés par une mobilisation des muscles de la partie inférieure du visage, alors que le bord des yeux, au niveau de la patte d'oie, ne se plisse pas et le regard reste froid (…) Au fond d'elle-même, il y a fort à parier qu'elle est rongée de doutes. C'est une personne anxieuse.» Somme toute, le sourire comme automédication anxiolytique…
Nicolas Sarkozy n'a pas non plus donné suite à nos incessantes sollicitations. Interrogé par « le Quotidien », son porte-parole, Xavier Bertrand, nous dit qu' «il est très attentif à ce qu'il mange, ne buvant pas d'alcool et se laissant volontiers aller à sa passion immodérée pour le chocolat. Il s'efforce de faire son jogging le week-end, quand son agenda le lui permet. Quant à l'image souvent distillée d'une personnalité éruptive, elle est erronée, affirme l'ex-ministre de la Santé, Nicolas a une énergie extraordinairement bien canalisée».
Le président de l'UMP est un migraineux notoire. Il a reconnu qu'il souffrait depuis son plus jeune âge de migraines non imaginaires, de celles qui vous clouent au lit, volets tirés, et vous laissent sur le flanc plusieurs heures. L'épisode du 5 octobre 2005 avait défrayé la chronique ; le ministre d'Etat avait été contraint de ne pas participer au conseil des ministres. «Nous sommes six millions de migraineux, lance-t-il dans un entretien avec “Libération” (le 12 avril), sans être interrogé directement sur ce sujet, en ajoutant : c'est totalement héréditaire. Ma mère était migraineuse, mes fils sont migraineux. C'est un patrimoine génétique.»
Selon une étude de Psychiatry Res citée par Pascal de Sutter***, « l'association est démontrée entre migraine, dépression et anxiété, les personnes migraineuses ayant quatre ou cinq fois plus de désordres affectifs incluant la cyclothymie (alternance de phase d'euphorie et de dépression) que les personnes sans migraine».
Mais, quoi qu'il en soit des allégations des uns, des silences des autres et des interprétations et commentaires plus ou moins scientifiques, dimanche, le décompte des bulletins de voix ne devrait pas achopper avec les mécomptes des bulletins de santé.
* Comment les candidats gèrent leur forme et leur santé, « le Quotidien » du 21 mars 2002. ** Auteur de « Ces fous qui nous gouvernent », Editions les Arènes, 316 p., 19,80 euros.
*** Breslau et coll. « Migraine, physical health and psychiatric disorder », Psychiatry Res, vol. 37 : 1991, pp. 11-23.
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