L’amélioration de la coordination hôpital-ville était l’un des objectifs majeurs de la loi HPST, puisqu’elle dotait les libéraux comme les hospitaliers d’une même tutelle, les ARS. celle-ci étant notamment chargée de prendre en main le sujet qui fâche, la permanence de soins. Pour autant, notre sondage CMC/GMC montre que les relations entre ces deux mondes ne sont pas toujours faciles. Et notamment quand il s’agit des délais d’admission des patients, les urgences étant spontanément montrées du doigt. « Globalement, nous nous entendons bien, mais l’hôpital ne nous entend pas toujours. Le fait est qu’il y a le même manque de moyens financiers et humains pour l’ambulatoire et l’hôpital et que nous sommes tous dans la même galère », remarque pour sa part le Dr Arnault Gruber, généraliste à Colomiers (Haute-Garonne).
Principal problème pointé par les médecins généralistes : les délais de prise en charge des patients – 43,5 % de nos sondés en font problème numéro un dans leurs relations avec l’hôpital. Mais les difficultés rencontrées pour contacter les confrères sont citées par près d’un tiers des répondants (30,5 %), suivis de près par les retours trop longs d’informations (26 %). « Dans 80 % des cas, le patient revient me voir avant même que je n’aie pu obtenir un retour d’information. Donc, je navigue à vue et j’apprends par le patient que telle opération a été effectuée, qu’il a tel traitement… Cela perturbe le suivi du patient », explique le Dr Dominique Dreux, installé à Igny dans l’Essonne. Avec le CHU de Dijon, « les délais sont d’environ un mois. Cela est d’autant plus problématique que les hospitalisations sont de plus en plus courtes », estime le Dr Stéphane Storno, généraliste à Chenôve (Côte-d’Or). « Dans les faits, les retours d’information sont très différents d’un service à l’autre. Cela peut prendre trois jours ou…un mois », souligne le Dr Christian Poret, installé à Saint-James (Manche).
Les généralistes se plaignent également de l’absence d’interlocuteurs. « Il faut souvent appeler trois ou quatre fois pour tomber sur la bonne personne », affirme le Dr Dreux. L’orientation du patient devient ainsi un véritable casse-tête : « nous avons souvent des difficultés à programmer une hospitalisation, à joindre le collègue spécialiste pour trouver une place dans le service adapté, nous sommes alors contraints d’envoyer le patient aux urgences alors qu’il s’agit parfois d’un simple bilan gastro qu’il faut faire rapidement », explique le Dr Jean-Antoine Rosati, généraliste à Chantelle (Allier).
Une logistique à revoir, des relations humaines à améliorer
Les problèmes de communication sont à la fois d’ordre structurel et humain. Si le manque chronique de personnel arrive en tête des casse-tête que l’hôpital doit régler (cité par plus de 63% des sondés), ce n’est pas forcément ce qui gène le plus les généralistes dans leurs relations avec l’hôpital. « C’est une question de personnel et de logistique, mais mettre plus de moyens sur l’hôpital n’est pas la bonne solution », estime le Dr Dreux. « Des essais ont été tentés avec des réseaux et des responsables coordinateurs au sein de l’hôpital, sans succès, et cela coûte cher. Il vaut mieux investir dans le maintien d’une médecine de proximité ». Toutefois, ajoute le Dr Poret observe que «la communication passe mieux quand le chef de service est au même poste depuis longtemps. La rotation rapide est un frein »,.
Certains estiment qu’il faudrait une ligne et un interlocuteur dédié au sein de l’hôpital pour aider à résoudre la question du manque d’interlocuteur. « Dans un service d’hospitalisation de court séjour en gériatrie, il y a une permanence téléphonique. Cela facilite les contacts et évite au praticien d’être dérangé en permanence », explique le Dr Rosati. « Le problème se pose également pendant l’hospitalisation, ajoute le Dr Gruber. Nos patients sont souvent perdus corps et biens pendant cette période. Nous n’avons pas d’information et les hospitaliers ont eux-mêmes le nez dans le guidon. Il faudrait peut-être un accès informatique dédié, destiné au généraliste, pour qu’il puisse suivre son patient, avec la possibilité de consulter les dossiers en temps direct ».
D’autres soulignent un problème de logistique, voire des habitudes liées à la culture hospitalière. « Quand les comptes rendus sont envoyés, ils sont souvent destinés au spécialiste mais pas au généraliste. Par ailleurs, les dossiers ne sont pas centralisés alors que les patients passent d’un service à l’autre. Ce sont des problèmes récurrents qui existent depuis des décennies », remarque le Dr Dreux qui avoue que le manque de communication est probablement vécu comme réciproque. « Nous rédigeons un courrier explicatif que nous donnons au patient, mais nous ne prenons pas le temps de téléphoner à nos confrères. Comment alors leur demander de le faire ? », reconnaît le Dr Dreux.
« Les choses pourraient s’améliorer, estime de son côté, le Dr Storno, avec l’arrivée d’une nouvelle génération de chefs de service, plus proches de nous. Nous les avons côtoyés pendant notre formation. Certains acceptent de donner leur numéro de portable, ce qui permet de court-circuiter les urgences ». Les généralistes fonctionnent grâce à leur carnet d’adresse (ou de portable) : « je profite de ma situation de professeur à l’Université qui m’offre l’avantage de connaître de nombreux confrères, mais quelque part, cela n’est pas juste » reconnaît le Dr Jean-Marc Lefebvre, généraliste à Hem (Nord).
Des inégalités territoriales
Si tous s’accordent pour décerner à l’hôpital un satisfecit comme pôle d’excellence technique, être généraliste à Dijon, à Paris ou ene Auvergne impliquent des vécus différents. La désertification médicale est souvent en cause. En ophtalmologie, psychiatrie ou neurologie, certaines régions comme le Nord connaissent une forte pénurie. « Pour obtenir un rendez-vous pour une opération de la cataracte, huit jours sont suffisants dans le Var et huit jours supplémentaires sont nécessaires pour l’opération. Dans certains coins du Nord, l’attente est de l’ordre de 18 mois. Certaines pathologies sont ainsi prises en charge dans la Belgique voisine », souligne le Dr Lefebvre
La présence de structures de proximité est en revanche « un plus ». Le Dr Poret, installé à proximité d’un hôpital local de 30 lits (médecine générale et soins de suite et de réadaptation) où il exerce comme médecin habilité, en souligne les avantages : « les patients sont hospitalisés à Fougères ou Avranches et reviennent ensuite chez nous. Les relations avec les deux centres hospitaliers, des structures à taille humaine, sont correctes ».
Dans la région de Dijon, « les délais sont épouvantables. Grâce aux réseaux et à nos confrères correspondants, nous arrivons à faire hospitaliser dans le privé. Mais, même là, cela commence à coincer, notamment dans certaines spécialités comme la cardiologie », souligne le Dr Storno. Ce dernier indique que dans certains cas atypiques, ne nécessitant pas d’hospitalisation, il est possible de trouver des parades. « Pour une patiente qui nécessite un sevrage au cannabis, j’aurais dû patienter trois mois pour la faire admettre au service addictologie de l’hôpital. J’ai préféré mettre en place une consultation de plus d’une heure, commune avec un psychologue pour agir rapidement », explique ce généraliste.
L’alternative du recours au privé
« Si un patient a besoin d’un stent, cela peut se faire dans les 24 h. La réponse locale est assez bonne », souligne le Dr Dreux dont les patients bénéficient de l’offre de soins de la région parisienne. Mais, selon ce médecin de l’Essonne, cette accessibilité a un prix. « Pour faire enlever une dent de sagesse, estime-t-il, il faut compter trois ou quatre mois d’attente dans le public contre une quinzaine de jours dans le privé. Les dépassements d’honoraires compliquent alors l’accès aux soins ». Le privé devient alors la solution pour éviter les délais trop longs. « L’accessibilité pour tous afin de ne laisser personne sur le côté est indispensable car la couverture sociale est aujourd’hui complexe. Dans le Nord, nous bénéficions de la particularité du tissu relationnel et social. Le privé annonce très souvent ses tarifs qui sont rarement pharaoniques et accepte des facilités de paiement », remarque le Dr Lefebvre.
A l’hôpital, « seules les activités rentables sont ou vont être conservées en raison de la tarification à l’activité ou T2A », ajoute le Dr Gruber. Le Dr Michel Levêque, installé à Thann, note ainsi « un problème de logistique et de disponibilité. L’offre a été réduite pour certaines spécialités afin d’obtenir un maximum d’efficacité et surtout de rentabilité. Pour certains soins très techniques, il n’y a pas de problème pour faire admettre les patients, pour d’autres soins, notamment en gériatrie aigüe, de vrais problèmes se posent. Si l’hôpital remplit bien sa mission de technicien et d’expert sanitaire, il manque des solutions pour le médico-social. Cela pose la question de solutions alternatives, du maintien à domicile, afin d’éviter certaines hospitalisations qui ne sont pas nécessaires ».
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