LE TEMPS DE LA MEDECINE
TROIS GRAMMES, c'est le poids d'une pièce de deux centimes d'euro, et c'est aussi la quantité de mélanine qui sépare les hommes dont le teint est le plus clair de ceux dont la peau est du noir le plus profond : alors que l'épiderme albinos ne synthétise pas une seule molécule de ce pigment, les peaux claires renferment entre 1 et 2 grammes de mélanine et les peaux les plus foncées en contiennent jusqu'à 3 g. Mais ces différences quantitatives ne suffisent pas à expliquer l'étendue de la gamme des couleurs de la peau humaine.
Un deuxième paramètre participe à la détermination de la coloration de l'épiderme : l'abondance respective de chacune des deux formes chimiques stables de la mélanine, la phaéomélanine et l'eumélanine. La phaéomélanine donne une couleur rouge ou jaune en fonction de sa concentration alors que l'eumélanine permet d'obtenir des nuances allant du brun au noir. Les grains d'eumélanine sont plus gros et plus résistants que les pigments de phaéomélanine. De ce fait, l'eumélanine atteint plus facilement la couche cornée de la peau et la colore davantage. Les peaux claires renferment essentiellement de la phaéomélanine alors que les peaux foncées synthétisent surtout de l'eumélanine. Quant aux Asiatiques, leur peau contient un mélange hétérogène des deux pigments.
La quantité de chacune des deux formes de mélanine présente dans notre peau est déterminée par au moins quatre gènes dont il existe de multiples allèles. Le nombre de combinaisons génétiques à l'origine de la couleur de la peau est donc colossal.
Les deux formes de la mélanine sont synthétisées par des cellules spécialisées de la couche basale de l'épiderme, les mélanocytes. A l'intérieur de ces cellules, les grains de mélanine sont stockés dans de petites vésicules nommées mélanosomes. Ces derniers s'accumulent dans les mélanocytes avant d'être transférés dans les kératinocytes voisins. Les UVB stimulent la synthèse de mélanine et augmentent le transfert des mélanosomes vers les kératinocytes. C'est la raison pour laquelle la peau fonce lorsqu'elle est exposée à la lumière du soleil. En revanche, la vitamine C inhibe le transfert des pigments. Cette propriété a été mise à profit par les Asiatiques qui ajoutent de la vitamine C dans les crèmes solaires dans le but d'obtenir un produit qui permet de garder un teint le plus clair possible.
Chaque mélanocyte fournit des pigments à près de 40 kératinocytes qui vont migrer à la surface de l'épiderme. Ce procédé permet de disséminer les pigments de mélanine dans les couches supérieures de l'épiderme. Les gènes impliqués dans la détermination de la couleur de la peau agissent notamment sur la production d'hormones qui régulent l'activité des mélanocytes et sur la distribution de la mélanine dans l'épaisseur de la peau.
Un bouclier pour les kératinocytes.
La mélanine sert de bouclier aux kératinocytes : elle protège leurs chromosomes et leur contenu en folate (vitamine B9) des rayonnements ultraviolets du soleil. L'eumélanine constitue cependant une protection anti-UV beaucoup plus efficace que la phaéomélanine, d'une part, parce que les pigments d'eumélanine sont plus résistants et, d'autre part, parce que, sous l'action des UV, la phaéomélanine fabrique des produits toxiques pour les cellules.
En conséquence, les peaux qui contiennent beaucoup d'eumélanine sont les mieux protégées du soleil. Mais si l'ensoleillement est faible, les peaux foncées ont le désavantage d'absorber une dose de rayonnement solaire trop faible pour conduire à la production d'une quantité de suffisante de vitamine D.
L'évolution.
Ces observations permettent d'imaginer comment l'évolution a produit des hommes dont la couleur de peau est aussi variable : comme les grands singes modernes, l'ancêtre poilu de l'homme devait avoir une peau claire sous sa toison. Lorsque les hominidés ont perdu leur pelage, ils résidaient sur le continent africain. Le fort ensoleillement qui régnait sur cette région a conduit à la sélection des individus dont la peau était la plus sombre : ce caractère aurait été sélectionné car il empêchait de la destruction du folate contenu dans l'organisme. Cette vitamine est nécessaire à la reproduction puisqu'elle participe à la synthèse de l'ADN. L'hypothèse selon laquelle le risque de cancer de la peau associé aux peaux claires est un facteur évolutif est probablement fausse car l'âge auquel ce cancer tue est supérieur à l'âge de la reproduction. Lorsque l'homme a quitté l'Afrique pour le continent européen, les hommes dont la peau était la plus claire ont à leur tour été sélectionnés : sous un faible ensoleillement, ce n'est plus le niveau de folate qui était limitant pour la reproduction, mais celui de vitamine D nécessaire à l'absorption du calcium et à la croissance osseuse. Cette hypothèse évolutive pose cependant un problème, celui des Inuits. C'est le seul peuple vivant dans une région faiblement ensoleillée dont la peau est sombre. Pour expliquer ce phénomène, les scientifiques évoquent la nature de leur alimentation traditionnelle, très riche en vitamine D.
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