MAÎTRE DE CONFÉRENCES en sciences de l'information et de la communication et enseignant chercheur à l'université Paris-VIII, Pascal Froissart travaille sur la rumeur depuis une dizaine d'années. Il publie largement sur la question et notamment sur Internet, histoire que tout soit clair d'emblée.
La première théorie de la rumeur peut être datée avec précision : 1902. Elle a accompagné l'acception contemporaine du mot rumeur – un bruit qui se répand dans le public, selon le Larousse – qui n'était pas la même antérieurement. C'est un spécialiste en psychologie judiciaire, Stern, qui a mathématisé la déperdition de l'information, sur un modèle semblable au « jeu du téléphone » des enfants. Au bout de la file des enfants qui se transmettent discrètement une narration de l'un à l'autre, l'histoire finale n'a plus rien à voir avec l'histoire initiale. Stern a voulu mesurer la déperdition des détails et a élaboré une loi logarithmique et asymptotique en fonction des relais.
Il est intéressant de noter que la théorisation de la rumeur est contemporaine des premières théorisations de l'intelligence (le test du QI d'après les travaux de Binet et Termann) et de la foule… Et que la presse a été l'organe de diffusion par excellence des rumeurs récurrentes ou continues. Cela n'est pas un hasard si la notion de rumeur telle qu'on la connaît est née à une époque qui a correspondu à l'explosion de la presse industrielle.
La suite a montré que, pour obtenir la mathématisation d'un modèle de fonctionnement de la rumeur, on a élaboré un concept qui n'a aucune pertinence empirique, souligne Pascal Froissart. Ainsi, pour prendre un exemple concret, la rumeur des seringues infectées par le VIH sur lesquelles on risquait de s'asseoir dans les cinémas d'Issy-les-Moulineaux. Elle n'a rien perdu de son intégrité à mesure de sa diffusion. Les témoignages se ressemblaient.
Une histoire.
Si ce concept pseudo-scientifique n'a pas permis de rendre compte de la réalité, il a été utilisé comme base par tous ceux qui ont travaillé sur les rumeurs par la suite. L'un d'eux, Jean-Bruno Renard, sociologue à Montpellier, a lié le concept de rumeur à celui de légende contemporaine et de folklore. Beaucoup connaissent le site hoaxbuster.com, qui recense les rumeurs et donne des informations sur leurs fondements et leur véracité ou non. L'étymologie du mot hoax vient de la magie, « hocus pocus », la foule des sorciers du Moyen Age. La rumeur n'est pas une information. C'est une histoire qui évoque des images faisant résonance avec l'imaginaire, un peu fausses et un peu vraies. La rumeur appelle plus un discours sur la croyance que sur la vérité. Et, dans le lien social, le sens de la rumeur n'est pas qu'elle soit porteuse de vérité ou non, mais quelle ouvre la discussion sur la question évoquée.
Comment déceler les rumeurs ? « Je n'ai pas d'école ou de recette, indique Pascal Froissart. J'aborde cela sous un angle anthropologique. C'est-à-dire sans considérer que c'est une pathologie du corps social, mais au contraire une manière comme une autre de faire fonctionner le lien social.»
La médecine et le domaine de la santé, grande source de folklore et de légendes contemporaines, représentent les lieux parfaits de la circulation de rumeurs fondées sur du vrai… ou pas.
La circulation de faits avérés est une rumeur. Par exemple, les corps étrangers trouvés dans les boîtes d'un soda très courant, comme des morceaux de souris, des préservatifs ou des épingles de nourrice, c'est un fait avéré. Ces objets ont pu tomber dans les cuves dans lesquelles la boisson est préparée. Mais la persistance de cette crainte en a fait une rumeur qui perdure : «Attention, quand on ouvre une canette, il faut regarder s'il n'y a pas dedans quelque chose de bizarre !» Cela a été vrai une fois, en... 1947.
Quasi rituelle.
La rumeur ayant les mêmes fonctions sociales que les histoires que l'on se racontait au coin du feu, elle n'est pas près de disparaître, estime le spécialiste de la communication. D'ailleurs, essayez de démentir… et vous répandrez encore plus loin le bruit. Isabelle Adjani en a fait les frais il y a une dizaine d'années, quand elle a démenti sur Antenne 2 un bruit selon lequel elle était touchée par le VIH.
«Dans le domaine médical, il y a énormément d'occurrences d'histoires appelées rumeurs, sur Internet, dans la presse, dans les livres… La rumeur médicale est quasi rituelle.» On connaît différents exemples qui circulent de manière rumorale sur Internet. Tel le lien sur YouTube qui renvoie à l'hypothèse d'un virologiste américain à l'origine de la création du virus du sida. Ou bien l'histoire du vaccin contre la poliomyélite dans les années 1950, élaboré sur des reins de singe, qui pourrait être à l'origine du passage du virus du sida de l'animal à l'homme.
Mais attention à ne pas simplifier, à ne pas amalgamer les individus au troupeau, dit Pascal Froissart. N'importe qui a maintenant accès aux informations sur Internet. Ce n'est pas pour autant que les individus autonomes et intelligents vont en faire un usage abusif auprès des médecins. «Ils ne sont pas unis par une âme des foules. Prendre l'ensemble des individus pour un troupeau est une pensée de l'industriel, pas du sociologue.»
La réalité d'Internet a changé la relation avec le médecin, pas l'information médicale. Mais une culture médicale se forme. Les associations de malades deviennent des interlocuteurs structurés auprès du corps médical, et un dialogue peut se nouer.
La médecine est le lieu de plusieurs enjeux dont les intérêts ne sont pas forcément convergents : connaissance scientifique, santé publique, recherche et commercialisation industrielle. Les frictions entre les uns et les autres sont propices à la naissance de rumeurs.
Dans le domaine du public, il y a énormément de rumeurs et d'images rumorales qui sont extraites de publications de cas médicaux. Elles circulent sur Internet, assorties d'une histoire très différente. Telle l'image d'un pénis calciné, qui serait la conséquence d'une brûlure électrique après que la personne eut uriné sur une clôture électrifiée. L'image est réelle, l'histoire ne l'est pas.
La plupart des images sont horribles. Leur circulation témoigne de quelque chose des peurs et fantasmes communs. Les sites comme hoaxbuster.com ou snopes.com permettent de connaître leur histoire réelle. En gros, parmi les images rumorales, il y a un tiers de vraies images indémodables, un tiers de photomontages et un tiers de vraies images avec un commentaire faux.
Les sites de débusquage des rumeurs sont faits par des amateurs, il n'existe aucun site officiel. Pour le moment, ils n'ont pas été pris en défaut. Ils bénéficient du contrôle du Web 2.0 (par les internautes eux-mêmes).
Voir le site : http://pascalfroissart.online.fr/.
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