La riposte américaine aux attentats de New York et de Washington ne peut être efficace que si les Etats-Unis mettent en uvre une stratégie réaliste.
La guerre n'étant que le prolongement de la diplomatie par d'autres moyens, les dirigeants américains qui, jusqu'à présent, ont réagi avec un calme impressionnant, à l'opposé de l'impatience populaire, ne doivent recourir aux armes que pour obtenir des résultats politiques. Il sera utile et réconfortant de faire passer les criminels devant un tribunal de guerre. Mais ce n'est pas le plus important. Le premier objectif est de faire reculer la menace terroriste durablement et de rétablir la sécurité dans le monde.
Quelques comptes avec le FBI et la CIA
Ce sera une tâche extrêmement ardue. L'échec scandaleux des services de renseignements américains fait peser un doute sur leur capacité à rebondir et à trouver les coupables. Tôt ou tard, George W. Bush sera amené à régler ses comptes avec le FBI, la CIA et la myriade de services secrets qui coûtent chaque année aux contribuables américains des sommes considérables. Mais pour l'instant, il est bien obligé de compter avec les moyens dont il dispose. Heureusement, l'accablement n'a pas paralysé les services américains de renseignements qui, depuis une semaine, se livrent à un travail de fourmi et explorent des milliers de pistes possibles. Le réveil des grandes agences, qui ont beaucoup à se faire pardonner, ne laissera plus de répit aux terroristes.
En outre, les dirigeants américains coopèrent avec tous les pays amis, y compris quelques pays arabes modérés. On aura remarqué par exemple que les armées américaine et égyptienne ont commencé mardi des manuvres communes ; que le Pakistan, menacé pourtant d'un soulèvement interne, exerce des pressions très fortes sur le régime afghan ; que Vladimir Poutine a envoyé un délégué auprès des gouvernements des anciennes républiques du sud de l'URSS.
Signes convergents
Tous ces signes extérieurs d'une immense fébrilité géopolitique convergent. D'une part, le gouvernement des Etats-Unis a été d'une fermeté exemplaire avec ses propres amis : « Décidez-vous tout de suite, vous êtes avec nous ou contre nous. » Et le choix a été vite fait au Caire, à Islamabad et à Moscou. C'est un premier succès. D'autre part, M. Bush n'a pas encore décidé s'il procèderait à l'invasion d'un pays, à des frappes limitées dans telle ou telle région ou encore à des actions de commando. Il doit prendre son temps pour évaluer les risques militaires et diplomatiques et ne s'aventurer qu'en terrain sûr.
Il ne lui suffit pas de s'emparer d'Ossama ben Laden qui, de toute façon, n'attendra pas que les marines viennent le chercher. Il ne lui suffit pas de désigner les assassins par leur nom : il ne s'agit pas de donner un os à ronger aux Américains, mais de causer assez de dommage aux réseaux terroristes pour qu'ils soient mis hors d'état de nuire. L'incarcération de ben Laden serait un coup d'épée dans l'eau si de nouveaux attentats étaient commis. Le seul effet positif du désastre, c'est qu'il a fait disparaître la démagogie et les effets médiatiques.
Deux grandes batailles
Ce sera donc une bataille de longue haleine et, si M. Bush est pressé d'obtenir un premier résultat, c'est parce que les Américains l'exigent et ont besoin d'être un peu rassurés. Mais il sait qu'il est engagé dans deux grandes batailles pour le reste de son mandat : une guerre secrète et une guerre frontale ou aérienne. Ni l'une ni l'autre ne seront limitées à un seul territoire. Non seulement le bras américain va s'étendre sur l'ensemble du monde, mais il doit aussi nettoyer les Etats-Unis eux-mêmes de ses réseaux terroristes.
Des dizaines de milliers d'homme de troupe entraînés et des milliers d'agents secrets vont participer à cette double bataille. Ils doivent rattraper un retard considérable et rétablir en quelques semaines la confiance et la sécurité intérieure ; ils doivent à plus long terme contenir la menace terroriste.
On ne peut pas ne pas exprimer un doute sur une invasion immédiate de l'Afghanistan comparable à celle de l'Irak en 1991. L'Irak est un désert, l'Afghanistan est composé de montagnes ; le régime afghan n'est pas indispensable à la survie de l'humanité, mais les Afghans sont totalement innocents, ils sont asservis par les mollahs. Il y a là des vies humaines, et un peuple qui a déjà beaucoup souffert, à épargner. L'engagement (très périlleux) du gouvernement pakistanais auprès de l'Amérique laisse imaginer que les forces américaines conçoivent le Pakistan comme une base d'où partiraitl'invasion de l'Afghanistan. Mais n'allons pas trop vite. Lundi encore, la délégation pakistanaise à Kaboul se contentait de persuader les mollahs de livrer ben Laden aux Américains.
Une stratégie possible
Il nous semblerait plus judicieux que les Américains recherchent une alliance avec l'une des républiques situées au nord de l'Aghanistan et les forces du commandant Massoud, assassiné la semaine dernière, lesquelles n'occupent plus qu'une enclave au nord du pays. Les Américains devraient apporter aux soldats anti-taliban une aide militaire massive et obtenir d'eux un accord de coopération pour lancer une offensive contre le régime de Kaboul et l'expulser de la capitale.
Est-ce réalisable ? En tout cas, c'est une piste à explorer car une solution de ce genre comporte deux avantages : elle permettrait de combattre et peut-être d'anéantir une forme de dictature particulièrement cruelle, sans trop encourir les foudres des ONG et des humanistes ; et elle faciliterait l'invasion en donnant aux forces américaines une base à partir de laquelle l'assaut ne serait pas handicapé par l'hostilité de l'environnement.
Dans le cadre de ce projet, le Pakistan aurait pour tâche unique d'empêcher ben Laden de s'évader. Mais, pour le réaliser, il faut l'accord des massoudistes, d'une ancienne république soviétique et de M. Poutine. Cela fait beaucoup de monde en l'occurrence, et un monde qui a toujours rejeté l'hypothèse d'une présence militaire américaine.
Un message aux amis
Ce qui est certain, c'est que la blessure profonde infligée aux Américains leur confère une sorte d'autorité nouvelle : ils ne sont plus seulement LA seule superpuissance qui fait régner l'ordre américain dans le monde ; ils s'adressent à ceux qu'ils ont aidés ou aident encore, comme l'Egypte, l'Arabie Saoudite, les Emirats, le Pakistan, en leur disant : certes, nous avons négligé la menace terroriste en croyant que nous en étions protégés ; mais aujourd'hui, vous ne pouvez continuer à avoir de bonnes relations avec nous tout en laissant agir des réseaux extraordinairement dangereux. Le fait qu'ils se réclament de l'islam ne doit pas les mettre à l'abri dans vos propres pays, où ils ont commis de multiples attentats. Ce qu'ils ont fait, ils vous le feront un jour si vous n'y prenez garde.
Ni le Caire, qui reçoit des Etats-Unis une aide annuelle de près trois milliards de dollars, ni Ryad, principal fournisseur de l'Amérique en pétrole, ni d'autres pays musulmans, modérés ou non, dont les régimes sont tenus à bout de bras par la puissance tutélaire ne sauraient aujourd'hui se dérober à leur devoir.
Même l'Iran a exprimé des sentiments suprenants au lendemain de l'attaque terroriste. L'Irak fait son analyse habituelle, mais avec moins de violence que d'habitude. La Syrie et la Libye sont relativement silencieux. Ou bien ces pays sont impliqués et craignent des représailles. Ou bien ils ne sont pas impliqués et ont peur de faire les frais de la colère américaine. L'Amérique a commencé par compter ses amis. C'est une bonne méthode, qui donne à tous les autres le temps de réfléchir.
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