L'AUGMENTATION de l'incidence des cancers après greffe rénale (mais aussi après transplantation d'autres organes) en est l'une des principales complications à moyen et long terme et constitue une importante cause de morbidité et de mortalité. Ce risque accru de cancer résulte en partie de l'immunosuppression non spécifique mise en oeuvre pour prévenir le rejet du greffon, laquelle favorise la réplication des virus oncogènes. En effet, parmi les tumeurs dont l'incidence est notoirement majorée (risque relatif 15-20 fois supérieur à celui encouru par la population générale) chez les transplantés figurent non seulement les cancers cutanés, le sarcome de Kaposi, dû à l'HHV8, et les lymphomes non hodgkiniens, dont l'EBV est l'un des principaux agents, mais aussi l'adénocarcinome rénal. Cette augmentation du risque de cancer pourrait également être liée à un effet cancérogène propre à des traitements immunosuppresseurs, ainsi qu'à une stimulation de l'angiogenèse.
Diminution du potentiel métastatique.
Les études entreprises pour tenter de pallier cet écueil majeur des traitements immunosuppresseurs ont conduit à s'intéresser aux inhibiteurs de la protéine mTOR, dont les deux principaux représentants sont le sirolimus et l'évérolimus, bien connus des cardiologues interventionnels puisque ces médicaments sont utilisés pour l'enrobage de certains stents.
Des travaux sur différents modèles animaux avaient déjà montré que ces molécules possèdent des propriétés antitumorales invivo par blocage de la prolifération des cellules tumorales, augmentation de leur apoptose et diminution de l'angiogenèse, d'où une réduction du potentiel métastatique de ces cellules.
Pour l'heure, les données disponibles chez l'homme proviennent essentiellement d'études dans lesquelles les inhibiteurs de mTOR ont été comparés aux anticalcineurines et qui ont objectivé une plus faible incidence de cancers chez les sujets traités par les premiers. Toutefois, dans toutes ces études, la réduction du taux de cancers ne constituait qu'un critère de jugement secondaire ; à ce jour, il n'a encore été entrepris aucune étude ayant pour objectif principal d'évaluer ce point.
Les données recueillies à ce jour montrent, par ailleurs, qu'au-delà du bénéfice en termes de réduction de l'incidence des tumeurs, le sirolimus et l'évérolimus n'induisent qu'une amélioration relativement modeste de la fonction rénale comparativement aux autres traitements. L'intérêt de cette classe médicamenteuse réside donc dans le fait qu'elle est la première à allier un effet immunosuppresseur et un effet anticancéreux.
Un maniement délicat.
De fait, si les inhibiteurs de mTOR sont d'ores et déjà utilisés chez les patients ayant fait l'objet d'une transplantation rénale, leur emploi demeure néanmoins limité en raison de leur profil de tolérance relativement médiocre qui rend leur maniement délicat. Outre le fait que leur action antiproliférative perturbe le processus de cicatrisation postopératoire, ces médicaments sont grevés d'effets indésirables à type de dyslipidémie, d'aphtes, d'éruptions cutanées et de toxicité pulmonaire, auxquels s'ajoutent les altérations hématologiques (anémie, thrombopénie, leucopénie) communes à tous les immunosuppresseurs.
Cela fait donc plusieurs années que l'on tente de déterminer quelle serait la meilleure façon d'utiliser ces médicaments. A l'heure actuelle, ils sont généralement associés à de faibles doses de corticoïdes et à un inhibiteur de l'inosine-monophosphate déshydrogénase (IMPDH), mycophénolate mofétil (Cellcept) ou acide mycophénolique (Myfortic).
Vers une utilisation en seconde intention.
La tendance qui semble se dégager consisterait à utiliser les traitements immunosuppresseurs conventionnels pendant quelques mois, puis à prendre le relais par un inhibiteur de mTOR une fois franchie la phase initiale de la transplantation (cela en raison, notamment, des problèmes de cicatrisation postopératoire). En outre, le relais secondaire par ce type de médicament ne serait peut-être pas proposé à tous les patients, mais uniquement à ceux d'ores et déjà exposés à un risque accru de cancer, tels que les sujets âgés, les patients ayant des antécédents de cancer ou les personnes très exposées au soleil de par leur métier.
D'après un entretien avec le Pr Christophe Legendre, service de transplantation rénale adulte, hôpital Necker - Enfants-Malades, Paris.
De Rapa Nui à la rapamycine
Les inhibiteurs de mTOR sont des macrolides issus d'un microorganisme tellurique, Streptomyces hygroscopicus, découvert en 1973 lors de prélèvements de sol effectués sur l'île de Pâques (Rapa Nui en polynésien, d'où le nom de rapamycine primitivement donné au sirolimus).
Le mécanisme d'action de la rapamycine a été élucidé dans les années 1980-1990 pour aboutir à une première utilisation en transplantation rénale chez l'homme en 1991. On a, en effet, découvert que cet antibiotique inhibe spécifiquement une sérine-thréonine kinase cytoplasmique à laquelle il a été donné le nom de mTOR (pour mammalian target of rapamycin [cible de la rapamycine chez les mammifères]).
Lorsqu'elle est activée, mTOR induit la phosphorylation de deux acides aminés et la protéolyse de p27, une protéine frénatrice du cycle cellulaire, ce qui permet la progression de ce dernier de la phase G1 à la phase S. L'activation de mTOR aboutit donc à une prolifération cellulaire. En inhibant cette protéine, le sirolimus et l'évérolimus interrompent la transduction des signaux mitogènes en bloquant les cyclines nécessaires au passage de la phase G1 à la phase S.
En transplantation, les inhibiteurs de mTOR ont un effet intéressant non seulement sur le plan immunologique dans la mesure où ils bloquent la prolifération des cellules T, mais aussi sur le plan vasculaire, car ils diminuent la prolifération des cellules musculaires lisses et endothéliales au niveau des vaisseaux.
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