DEPUIS 1919, de nombreux travaux expérimentaux et cliniques ont porté sur l'utilisation des solutés hypertoniques. Le concept de réanimation dite à faible volume, ou « small-volume resuscitation » des Anglo-Saxons, est né en 1987 sous l'impulsion de J.W. Holcroft (1). Une métaanalyse réalisée en 1997 a montré que, comparativement à l'emploi de cristalloïdes isotoniques, la réanimation à faible volume chez les patients traumatisés crâniens en collapsus est associée à une meilleure survie à 30 jours, avec un rapport des cotes égal à 2 en analyse multifactorielle (2).
En effet, le sérum salé hypertonique (de 3 à 23,4 % de NaCl, mais le plus souvent à 7,5 %) a un contenu en sodium très élevé et une osmolarité très importante (de 1 026 à 4 004). Cela lui confère un pouvoir d'expansion volémique de 150 à 400 % (pour le 7,5 %) pendant une durée de 30 min contre 20-30 % seulement pour le sérum salé isotonique à 0,9 %. De plus, la barrière hémato-encéphalique est totalement imperméable au chlorure de sodium, avec un coefficient de réflexion osmotique de 1 (plus élevé que celui du mannitol, qui est de 0,9), ce qui en fait un soluté de choix pour le traitement de l'hypertension intracrânienne.
Perfusion continue et bolus.
Le principal mécanisme d'action est la création d'un gradient osmotique, qui améliore la perfusion périphérique (effet expansion volémique) et déshydrate le cerveau non lésé. La principale conséquence en est l'amélioration du débit sanguin cérébral par effet conjoint de l'amélioration de l'hémodynamique systémique et diminution de la PIC. Cette action est associée à un effet neuroprotecteur et immunomodulateur, ce qui en fait un véritable médicament qui diminuerait l'incidence des lésions cérébrales ischémiques secondaires.
Les modèles expérimentaux portant sur l'efficacité et la durée d'action montrent que le sérum salé hypertonique à 3 et 23,4 % est plus efficace que le mannitol à 25 %, avec une durée d'action plus prolongée avec la concentration de 3 %.
En clinique humaine, les essais ont porté sur l'utilisation du sérum salé hypertonique en perfusion continue ou en bolus. La perfusion continue a fait l'objet d'une évaluation par A.I. Qureshi et coll. chez 27 patients consécutifs ayant des oedèmes cérébraux d'étiologies diverses (3). Une perfusion de sérum salé hypertonique à 3 % a été mise en oeuvre avec une natrémie cible comprise entre 145 et 155 mmol/l. Les auteurs ont montré que, chez les patients ayant un traumatisme crânien grave ou un oedème cérébral postopératoire, la PIC diminue lorsque la natrémie augmente. La fréquence des effets indésirables, qui ont concerné 6 patients sur 27, ainsi que l'absence de groupe témoin rendent toutefois difficile l'interprétation des résultats. S. Khanna et coll. ont évalué les effets d'une perfusion de sérum salé hypertonique à 3 % chez 10 enfants ayant une hypertension intracrânienne réfractaire (4). L'objectif thérapeutique était d'obtenir une pression intracrânienne inférieure à 20 mmHg. La natrémie a atteint 170 mmol/l en moyenne. Cette stratégie thérapeutique a permis d'obtenir une réduction significative de la PIC. L'administration en bolus de 15 à 20 min a été évaluée par S. Schwarz et coll. après échec du traitement par 200 ml de mannitol à 20 % chez 8 patients ayant fait un accident vasculaire cérébral, totalisant 22 épisodes d'hypertension intracrânienne (5). Le sérum salé hypertonique à 10 % a été administré à la dose de 75 ml en 15 min. Son efficacité a été confirmée chez des patients en échec du traitement par mannitol. La durée de l'effet thérapeutique a été de 4 heures. L'efficacité de 30 ml de sérum salé hypertonique à 23,4 % a également été montrée par J.I. Suarez et coll. dans un autre travail portant sur l'hypertension intracrânienne réfractaire chez 8 patients totalisant 20 épisodes d'hypertension intracrânienne (6).
Un meilleur contrôle de la pression intracrânienne.
L'expérience acquise à Marseille montre que le contrôle de la PIC est meilleur après l'administration de 2 ml/kg de chlorure de sodium hypertonique à 7,5 % qu'après celle de posologie isovolumique de mannitol à 20 % (7). Au total, même si tous les travaux disponibles ne mettent pas en évidence de manière constante sa supériorité sur le mannitol (8), le sérum salé hypertonique est au moins aussi efficace dans le traitement de l'hypertension intracrânienne.
Son association à un colloïde a été proposée pour prolonger son action de 6 à 8 heures (9). Ainsi, à dose équimolaire, l'association au dextran (Rescue Flow) est plus efficace que le mannitol en termes de PIC, et pour une durée supérieure, sans entraîner d'augmentation de la diurèse (10). L'association du SSH avec un hydroxyéthylamidon (HyperHES) est efficace sur l'hypertension intracrânienne, mais reste à évaluer chez le traumatisé crânien.
En période préhospitalière, une étude prospective portant sur des patients traumatisés crâniens en collapsus a comparé du sérum hypertonique à 7,5 % à du Ringer- lactate. Elle a mis en évidence une tendance non significative à l'amélioration de la survie, sans modification de la morbidité neurologique à 6 mois (11).
Sur le plan de la tolérance, les effets secondaires semblent négligeables dans les études disponibles. En conclusion, toutes les études cliniques mettent en évidence que le sérum salé hypertonique (le plus étudié est le NaCl à 7,5 %), seul ou en association à un colloïde, a une efficacité au moins comparable à celle du mannitol dans le traitement de l'hypertension intracrânienne, et concluent à l'absence d'effets secondaires importants, notamment sur la diurèse et la fonction rénale, contrairement au mannitol. La concentration optimale, le mode d'administration et l'intérêt de l'association éventuelle à un colloïde restent à préciser. Durant la prise en charge préhospitalière, le traumatisé crânien en collapsus pourrait tirer bénéfice de cette stratégie thérapeutique, notamment en raison de sa facilité d'utilisation. L'intérêt de son administration en cas de signe de localisation neurologique (en particulier de mydriase aréactive uni- ou bilatérale) à la place du mannitol est certain, mais reste à démontrer de façon scientifique.
D'après un entretien avec le Pr Jacques Albanèse (hôpital Nord, Marseille).
(1) Holcroft JW et coll. 3 % NaCl and 7.5 % NaCl/dextran 70 in the resuscitation of severely injured patients. Ann Surg 1987;206(3):279–88.
(2) Wade CE et coll. Individual patient cohorte analysis of the efficacy of hyptertonic saline/dextran in patients with traumatic brain injury and hypotension. J Trauma 1997;42Suppl:S61-S65.
(3) Qureshi AI et coll. Use of hypertonic (3%) saline/acetate infusion in the treatment of cerebral edema: Effect on intracranial pressure and lateral displacement of the brain. Crit Care Med 1998;26(3):440-6.
(4) Khanna S et coll. Use of hypertonic saline in the treatment of severe refractory posttraumatic intracranial hypertension in pediatric traumatic brain injury. Critical Care Medicine 2000;28(4):1144-51.
(5) Schwarz S et coll. Effects of hypertonic (10 %) saline in patients with raised intracranial pressure after stroke. Stroke 2002;33:136-40. (6) Suarez JI et coll. Treatment of refractory intracranial hypertension with 23.4 % saline. Crit Care Med 1998; 26:1118-22.
(7) Vialet R et coll. Isovolume hypertonic solutes (sodium chloride or mannitol) in the treatment of refractory posttraumatic intracranial hypertension : 2 mL/kg 7.5 % saline is more effective than 2 mL/kg 20 % mannitol. Crit Care Med 2003;31:
1683-7.
(8) Francony G et coll. Effets comparés du mannitol et du sérum salé hypertonique à charge osmolaire identique sur la pression intracrânienne. Ann Fr Anesth Réanim 2005;24:1181-2;(R441).
(9) Kramer GC. Hypertonic resuscitation: physiologic mechanisms and recommendations for trauma care. J Trauma 2003;54:S89-S99.
(10) Battison C et coll. Randomized, controlled trial on the effect of a 20 % mannitol solution and a 7.5 % saline/6 % dextran solution on increased intracranial pressure after brain injury. Crit Care Med 2005;33:196-202.
(11) Cooper DJ et coll. Prehospital hypertonic saline resuscitation of patients with hypotension and severe traumatic brain injury. A randomized controlled trial. JAMA 2004;291:1350-7.
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