Par le Dr SYLVIE ROZENBERG*
LA LOMBALGIE commune discale se traduit cliniquement par des douleurs lombaires mécaniques et, sur les radiographies, par un pincement du disque intervertébral. Cette dégénérescence discale est responsable d'une instabilité biomécanique à l'origine des douleurs. Dans les formes les plus invalidantes, en cas d'échec d'un traitement médical complet (antalgiques, infiltrations, rééducation...) et prolongé et après une évaluation précise, certains patients sont susceptibles de bénéficier d'un geste chirurgical.
La technique de référence est l'arthrodèse, dont l'objectif est de supprimer la mobilité anormale du niveau disco-vertébral symptomatique. Les techniques sont diverses, comportant une approche antérieure, ou antéro-latérale, ou postérieure, ou transforaminale, ou combinées, avec ou sans instrumentation, cage, greffe osseuse ou substitut. Dans une métaanalyse récente de 14 essais avec un recul minimal de deux ans, la réduction moyenne de la douleur était de 49 %, la diminution du score fonctionnel (Oswestry) de 20 points. Le risque à long terme est la dégénérescence du segment adjacent à la fusion. L'alternative à cette technique est le remplacement du disque dégénéré, afin de restaurer et de maintenir une mobilité normale, sans affecter les segments adjacents. C'est l'objectif de la prothèse discale. Deux essais randomisés ont été effectués avec deux prothèses différentes.
L'étude de S. Blumenthal (1) a été réalisée avec la prothèse CHARITE, prothèse de troisième génération. Il s'agit d'un essai prospectif, randomisé, non aveugle, mené dans 14 centres aux Etat-Unis. Le critère principal d'inclusion était une discopathie dégénérative symptomatique à un niveau, L4-L5 ou L5-S1, confirmée par la discographie, responsable de lombalgies avec ou sans irradiation (intensité supérieure à 40 mm sur EVA), d'une incapacité fonctionnelle mesurée par l'indice Oswestry (ODI) (supérieur ou égal à 30), en échec du traitement conventionnel depuis au moins six mois. Les patients étaient randomisés avec un ratio 2/1 pour recevoir la prothèse CHARITE ou une arthrodèse antérieure (Alif) avec cage. L'effectif de l'étude, pour démontrer l'équivalence entre les deux procédés, a été calculé en estimant que 70 % des patients auraient un bon résultat (quatre critères nécessaires : ≥ 25 % d'amélioration de l'ODI à vingt-quatre mois, pas d'échec lié au matériel, pas de complication grave, pas de détérioration neurologique).
Trois cent quatre patients ont été inclus : âge médian 40 ans, environ 55 % de professionnels actifs avant l'intervention, EVA préopératoire à 72 mm, ODI à 50. Le taux de suivi a été de 90 % à vingt-quatre mois. Les patients se sont améliorés significativement dans les deux groupes : réduction de l'ODI de 48,5 % à vingt-quatre mois dans le groupe prothèse, de 42,5 % dans le groupe contrôle ; réduction de la douleur sur EVA de 40,6 et 34,1 mm, respectivement. La satisfaction globale du patient a été de 73,7 % dans le groupe prothèse et de 53,1 % dans le groupe contrôle (p = 0,0011). Le taux de succès a été de 57,1 % dans le groupe prothèse et de 46,5 % dans le groupe contrôle. Le taux de patients restant actifs à vingt-quatre mois était comparable (autour de 65 %). La prise d'antalgiques a été poursuivie par 64 et 80 % des patients des deux groupes. Le taux de complications était statistiquement comparable (5,4 % de réinterventions dans le groupe prothèse, 9,1 % dans le groupe arthrodèse). Les complications liées à la voie d'abord étaient de fréquence comparable entre les deux groupes (voisines de 10 %) et dominées par les lésions veineuses et l'éjaculation rétrograde.
Les auteurs concluent que la prothèse est une alternative efficace et sûre à l'arthrodèse, chez des patients sélectionnés. Les résultats cliniques sont plus rapides, le taux de succès est de 48 %.
Une étude randomisée contrôlée a été réalisée avec la prothèse PRODISC versus arthrodèse circonférentielle (2). Les critères d'inclusion étaient comparables à ceux de la précédente étude. Le taux de succès à deux ans était de 63 % pour la prothèse, de 45 % pour l'arthrodèse. Des résultats assez voisins de la première étude ont été obtenus pour les autres critères d'évaluation.
Les résultats les meilleurs ont été constatés chez les patients les plus jeunes (moins de 40 ans).
Un travail récent (3) s'est intéressé au taux de réinterventions après la pose de la prothèse CHARITE. La réintervention a été nécessaire chez 9 % des 589 patients revus. Le délai moyen après la première intervention était de 266 jours. Il s'est agit, dans 24 cas, de l'ablation de la prothèse (migration, translation, mauvais placement) : l'acte chirurgical a comporté un remplacement de la prothèse 7 fois, une fusion dans 17 cas. Pour les 28 autres patients dont la prothèse était laissée en place, 14 ont eu une addition de fixation, 14 une décompression. Ce taux de révision serait comparable à celui des arthrodèses.
Dans des études ouvertes, les résultats fonctionnels et radiologiques resteraient bons à long terme.
En conclusion, la prothèse discale donne des résultats cliniques satisfaisants pour des patients très ciblés. Une évaluation standardisée de ces prothèses à long terme reste nécessaire.
* Rhumatologue, service du Pr Pierre Bourgeois, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
(1) Blumenthal S, McAfee PC, Guyer RD, Hochsuler SH, Geisler FH, Holt RT, Garcia R, Regan JJ, Ohnmeiss DD. A prospective, Randomized, Multicenter Food and Drug Administration Investigational Device Exemptions Study of Lumbar Total Disc Replacement with the CHARITETM Artificial Disc versus Lumbar Fusion. « Spine » 2005 ; 30 : 1565-1575.
(2) Sieppe CJ, Mayer M, Wiechert K, Korge A. Clinical Results of Total Lumbar Disc Replacement with Prodisc II. Three Years Results for Different Indications. « Spine » 2006 ; 31 : 1923-1932.
(3) McAfee PC, Geisler F, Saiedy S, Moore SV, Regan JJ, Guyer RD, Blumenthal SL, Fedder IL, Tortolani J, Cunningham B. Revisability of the CHARITE Artificial Disc Replacement. Analysis of 688 Patients Enrolled in the US IDE Study of the CHARITE Artificial Disc. « Spine » 2006 ; 31 : 1217-1226.
Indications
Lombalgie mécanique liée à une discopathie dégénérative unisegmentaire :
– avec ou sans irradiation radiculaire ;
– responsable de douleur et d'incapacité fonctionnelle ;
– en échec d'un traitement médical complet de plus de six mois.
Contre-indications :
- âge > 60 ans ;
- arthrose interapophysaire postérieure ;
- ostéoporose ;
- spondylolisthésis > 3 mm ;
- scoliose ;
- obésité morbide.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature