LES MÉCANISMES impliqués dans la résistance à l’aspirine sont nombreux. Ils peuvent être en rapport avec son mécanisme d’action ou non. Ils rendent compte de la variabilité interindividuelle importante de la réponse à ce produit, mise en évidence de longue date.
Plusieurs essais cliniques au long cours ont évalué les conséquences cliniques de ce phénomène. A partir des données de l’étude HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation), par exemple, JW Eikelboom et coll. ont pu montrer qu’une augmentation du risque d’infarctus myocardique et de décès d’origine cardio-vasculaire chez les sujets traités par aspirine est associée à une inhibition non optimale de la synthèse de thromboxane, reflet de la résistance à cet antiagrégant. La synthèse du thromboxane était appréciée par le taux urinaire de 11-déhydro-thromboxane B2. Chez les sujets ayant une concentration urinaire dans le quartile supérieur de la population étudiée, le risque était globalement multiplié par 1,8 par rapport aux sujets du quartile inférieur (odds ratio = 1,8, intervalle de confiance à 95 % : 1,2 – 2,7, p = 0,009).
Une étude publiée par P. Gum et coll. a confirmé que le risque d’événement majeur est triplé chez les coronariens stables en cas de résistance à l’aspirine à la dose quotidienne de 325 mg. La résistance a concerné 17 patients dans cette série de 326 malades, soit 5 % des sujets. De la même manière, MR Mueller et coll. ont étudié les conséquences de la résistance à l’aspirine chez 100 patients ayant une artériopathie occlusive des membres inférieurs chez lesquels une angioplastie a été pratiquée. Après dix-huit mois de suivi, seuls les patients qui résistaient à ce produit ont fait une récidive d’occlusion sur le site de l’angioplastie. Un pronostic péjoratif chez les patients résistant à l’aspirine a également été constaté en cas d’accident vasculaire cérébral. Le suivi de 181 patients pendant deux ans a ainsi mis en évidence une augmentation de 89 % du risque de récidive.
L’une des grandes limites de ces travaux est l’absence de niveau basal de ces tests, sans traitement, indispensable pour vraiment évaluer la réponse. En effet, il convient de savoir où l’on est mais surtout d’où l’on est parti.
La résistance à l’aspirine, facteur de risque ?
La prévalence de la résistance à l’aspirine est difficile à évaluer car elle dépend de la définition de cet état et des tests pratiqués pour la dépister. Chez 422 patients pour lesquels une angioplastie non urgente a été pratiquée, cette prévalence a été évaluée à 23,4 % par JC Wang et coll.
Il existe par ailleurs une relation entre l’existence d’un polymorphisme de la glycoprotéine plaquettaire IIIa et la résistance à l’aspirine. Les patients homozygotes pour l’allèle PLA1 sont moins sensibles à l’effet antiagrégant de l’aspirine malgré l’augmentation des doses à 300 mg/j. En revanche, la présence d’un allèle PLA2 décuple la sensibilité des plaquettes à cet antiagrégant plaquettaire.
Le dépistage de la résistance à l’aspirine devrait faire appel à l’agrégométrie optique classique, à la technique du PFA-100 et au dosage du 11-déhydro-thromboxane B2 urinaire.
L’étude RESISTOR (Research Evaluation to Study Individuals who Show Thromboxane Or P2Y12 Receptor Resistance) a été entreprise afin de préciser si la résistance à l’aspirine peut être considérée comme un facteur de risque corrigible en cas d’angioplastie. En effet, l’intérêt du dépistage d’une réponse insuffisante est de savoir si on peut la modifier en adaptant les doses. Cela a été bien montré dans le contexte de l’assistance cardiaque.
De nombreux facteurs de variabilité interindividuelle.
Concernant le clopidogrel, son efficacité a été démontrée dans la prévention des complications de l’athérothrombose. Néanmoins, une réponse insuffisante au traitement peut être observée. Les causes en sont complexes.
Un défaut d’observance, une variabilité interindividuelle de l’absorption intestinale et de la métabolisation hépatique peuvent en rendre compte. Il existe en particulier plus de trente variants du cytochrome P450 3A4, impliqué dans ce métabolisme du clopidogrel. Enfin, la cible du traitement, le récepteur P2Y12, impliqué dans l’une des voies métaboliques de la stimulation de l’agrégation plaquettaire, est lui aussi l’objet d’un polymorphisme.
Par ailleurs, en cas de prétraitement par thiénopyridine, la date et l’heure de la prise ainsi que la dose prescrite peuvent influencer la réponse au traitement. L’étude ALBION (Assessment of the best Loading bose of clopidogrel to Blunt platelet activation, Inflammation, and Ongoing Necrosis) a précisé la cinétique d’action du clopidogrel sous différentes doses de charges chez des patients en angor instable. Lorsqu’elle est de 600 ou 900 mg, elle permet une inhibition plaquettaire plus rapide et plus puissante que la dose de charge de 300 mg habituellement préconisée. Cela suggère un effet dose-réponse. Un effet favorable sur les événements ischémiques a été observé, sans modification du profil de sécurité d’emploi de la molécule. L’étude ARMYDA-2 (Antiplatelet Therapy for Reduction of Myocardial Damage During Angioplasty) a montré que le risque de survenue d’un infarctus du myocarde pendant une angioplastie coronaire n’est que de 5 % si la dose de charge de clopidogrel est de 600 mg, alors qu’il atteint 14 % si cette dose est de 300 mg.
En 2004, A. Kastrati a montré qu’une meilleure inhibition de l’agrégation plaquettaire pouvait être obtenue par une dose de charge de 600 mg chez les patients sous traitement d’entretien par le clopidogrel par comparaison avec les patients prenant ce traitement pour la première fois. L’augmentation des doses peut également être une réponse possible, ainsi que la recherche de nouvelles molécules de la classe des thiénopyridines.
Il reste à confirmer que la variation interindividuelle de la réponse aux antiagrégants plaquettaires, phénomène biologique, est associée à des événements cliniques, dont il convient de préciser les mécanismes. Il est également indispensable de vérifier qu’il existe des patients réellement résistants et de préciser les adaptations thérapeutiques alors nécessaires.
D’après un entretien avec le Dr Jean-Philippe Collet, Institut de cardiologie, groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
Collet JP et coll. L’agrégation plaquettaire et ses inhibiteurs dans les syndromes coronariens aigus. Médecine sciences 2004 ; 20 (3) : 291-7.
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