ELLES SONT deux jeunes chercheuses qui travaillent au département de préhistoire du musée de l'Homme (Muséum national d'histoire naturelle). Deux jeunes docteurs en paléontologie humaine.
Pour sa thèse, Keun-hye Cho a passé en revue 251 crânes tirés d'une nécropole (XIXe-XVIIe siècle) découverte à La-Queue-en-Brie, dans le Val-de-Marne. Et a sélectionné toutes les gueules de travers de cette population fortement brachycéphale. Pour la sienne, July Bouhallier a exploré la collection de 167 bassins initiée par le Pr Henri-Victor Varnier (1859-1902), obstétricien à Cochin, premier titulaire de la chaire de la clinique obstétricale en 1889. Ce musée d'anatomie obstétricale, qui continua à être enrichi après la mort de Varnier, dormait dans une cave sous le cloître de Port-Royal. Le Pr Dominique Cabrol, directeur de la maternité, en est l'actuel dépositaire.
L'exposition, modeste par ses moyens, mais riche d'enseignement et de curiosités uniques, mêle donc posters et pièces osseuses de différentes provenances : fouilles, musée de l'Homme, collection Varnier et musée Dupuytren, pour inviter le visiteur à découvrir ce que nous apprennent encore les vieux os si on se donne la peine de les étudier avec des moyens modernes.
Keun-hye Cho s'est inspirée de la nouvelle perception des phénomènes de croissance (la biodynamique cranio-faciale) et a appliqué sur les crânes anciens atteints de dysmorphies des méthodes utilisées dans l'orthodontie dento-faciale, en ayant recours à l'imagerie numérisée et en particulier à la téléradiographie de profil. En orthopédie dento-faciale, la présence d'une malocclusion fait toujours rechercher des anomalies éventuelles de la base du crâne. Pour son étude, Keun-hye Cho procède à l'inverse, observant des dysmorphies qui ont dû influencer l'occlusion. «Les malformations étudiées existent toujours à notre époque, mais, heureusement, grâce aux progrès de la technique, la plupart des pathologies peuvent être traitées.» On frissonne devant les cas remarquables de craniosténoses, de microcéphalie, d'acrocéphalie et d'anencéphalie, avec toujours des modifications au niveau des mâchoires, mais aussi, souvent, des déformations encore plus néfastes de l'encéphale. Une microcéphalie somme toute modérée (990 cm3) n'a cependant pas empêché un Néo-Calédonien mort en 1879 d'avoir exercé comme... sorcier.
La mécanique obstétricale.
July Bouhallier voulait vérifier si les femmes de Port-Royal étaient mortes en couches du fait de leur bassin pathologique. Des bassins conservés parce que personne ne réclamait les corps de ces femmes pauvres venues à l'hôpital faute de pouvoir se payer les services d'une sage-femme ou pour être délivrées d'un enfant illégitime. July Bouhallier a donc étudié en trois dimensions la cavité pelvienne de 88 bassins de la collection Varnier. Certains bassins présentent des malformations liées à des pathologies : rachitisme, scoliose, cyphose, luxation de la hanche. D'autres, sans être pathologiques, sont de type androïde* avec un détroit supérieur triangulaire, ce qui est encore réputé de nos jours comme étant dystocique. Le dépouillement des registres de décès montre cependant que la mortalité maternelle est principalement d'origine infectieuse. Sur la période (1889-1903), il n'est fait mention que de deux décès pour incompatibilité pelvienne. Conclusion de July Bouhallier : la mécanique obstétricale qui s'est mise en place après adoption de la bipédie est tout aussi efficace avec un bassin pathologique. Et le fameux « dilemme obstétrical » de Washburn** «ne correspond pas à une réalité biologique d'ordre osseux». Un petit film d'images de synthèse, réalisé avec le Dr Renner, obstétricien à Pontchartrain, illustre les étapes de cette merveilleuse mécanique obstétricale.
* Quatre grands types de bassins ont été définis : anthropoïde, gynécoïde, androïde et platypelloïde.
** La mécanique obstétricale due à l'adoption de la bipédie et à l'encéphalisation de l'Homo sapiens aurait conduit à ce que Washburn appelle le « dilemme obstétrical » (1960), qui expliquerait du point de vue évolutif une mortalité importante lors des accouchements.
Musée Dupuytren, 15, rue de l'Ecole-de-Médecine, jusqu'au 30 juin. Ouvert du lundi au vendredi de 14 heures à 17 heures. Conférence sur demande. Tél. 01.42.34.68.60 ou 06.12.24.30.91, dupuytren@yahoo.fr.
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