La charge a étonné, voire choqué, le monde de l’hospitalisation privée. Dans son essai, à la limite du pamphlet, publié l’an dernier (1), Jean-Loup Durousset, patron de la FHP, a brisé un tabou : celui des relations compliquées entre médecins et directeurs. Alors que la FHP, et le monde de l’hospitalisation privée, est trustée par les médecins, il n’a pas hésité à dépeindre un tableau peu reluisant du corps médical tout-puissant, et tout méprisant : « Le Dieu guérisseur compte bien garder sa place, par tous les moyens, et confiner le malade dans son statut d’esclave. » Mais c’est au chapitre des finances, et de la rémunération des médecins, que Jean-Loup Durousset a été le plus incisif, sans redoubler d’ironie : « Il faut vraiment s’interroger sur les modes de rémunération des médecins, sans rien s’interdire. » Et de poursuivre : « Le dépassement d’honoraire doit aussi être revu : il est totalement laissé à l’initiative individuelle, sans maîtrise […] car si le médecin accroît ses honoraires, il augmente ses revenus et peut alors baisser son activité médicale. »
Hausse d’activité dans le public
Et c’est bien là que le bât blesse : la moindre activité du secteur privé, relativement à l’essor récent du secteur public. « Depuis deux, trois ans et la montée de la tarification à l’activité, on a assisté à une montée en puissance de l’hôpital public. Aujourd’hui il est clair que l’hôpital public est la cause de la baisse d’activité des cliniques. Depuis le 1er janvier 2008 et le passage à 100 % de T2A, la concurrence est rude », diagnostique Jean-Christophe Briand, analyste au cabinet d’études Xerfi. Et l’hospitalisation privée est attaquée jusque dans ses bastions historiques, que sont la chirurgie en général, et la chirurgie ambulatoire, en particulier.
Comme pour apporter de l’eau au moulin du pessimisme de la FHP, l’Agence technique d’information hospitalière (Atih) a publié, dans son analyse des réalisations budgétaires de la campagne 2010, des statistiques d’activité, qui viennent confirmer un regain de vitalité de l’hospitalisation publique : « Pour l’année 2010, l’analyse des données PMSI (2) conduit à estimer des réalisations présentant un écart de 500 millions d’euros », pour l’hospitalisation publique, contre un dépassement de +66 millions d’euros pour l’hospitalisation privée. De même, le volume économique du public en 2010 est en hausse de 2,8 %, contre 1,2 % pour le privé. Conséquence : la santé économique des cliniques flanche : « Il y a urgence économique. Un tiers des cliniques et hôpitaux privés spécialisés en médecine, chirurgie, obstétrique sont déficitaires de manière persistante », a déclaré Lamine Gharbi, président de la FHP-MCO (3), lors de la présentation du rapport de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). Si l’activité hospitalière publique augmente, le montant de l’enveloppe budgétaire a plutôt tendance à baisser. Crise oblige : l’Ondam (4), depuis 2010, baisse drastiquement depuis : 3 % en 2010, 2,8 % en 2011, et 2,8 % également en 2012. Le tout agrémenté d’une hausse des tarifs en 2010 de… 0 %. Et le processus de convergence tarifaire, qui aurait pu permettre à l’hospitalisation privée de faire de la marge, avance à reculons : sa finalisation, prévue pour 2012, a été repoussée à 2018. Un début d’expérimentation de convergence, sur certains actes, est cependant en cours. En 2010 et 2011, l’État a reversé 150 millions à l’hospitalisation privée, au titre de la convergence tarifaire. Mais, début septembre, lors de la présentation du PLFSS 2012, la poursuite de l’effort de convergence tarifaire s’établissait à 100 millions d’euros, seulement. Bref, tous les indicateurs sont au rouge.
Explosion des dépassements d’honoraires
Ce qui a tendance à détériorer les relations entre médecins et directeurs. « Les tensions entre médecins et directeurs interviennent souvent au même moment : lorsque les cliniques défendent un projet de croissance, ou lorsque les cliniques sont réellement en difficulté », explique Jean-Christophe Briand, de Xerfi. Car les médecins, même en période de crise, ne sont pas prêts à renoncer à leurs prérogatives, en particulier à leurs dépassements d’honoraires. Lesquels causent un grave préjudice financier aux cliniques : les dépassements éloignent les patients et font chuter l’activité : or, les cliniques se rémunèrent sur les volumes d’activité, non sur les dépassements. Raison pour laquelle la FHP-MCO a été très attentive aux négociations conventionnelles qui ont pris fin l’été dernier, en déplorant que la problématique des dépassements n’ait pas été traitée : « Il y a urgence à s’attaquer réellement à cette question qui entraîne une disparité dans l’accessibilité aux soins de nos concitoyens. Le président de la République s’y était engagé en 2009. Il ne faudrait pas que l’on perde encore deux ans et que l’on reporte encore le règlement d’un problème qui perdure depuis trop longtemps et qui pénalise le secteur privé », affirme Lamine Gharbi, président de la FHP-MCO. Et le problème va en s’aggravant : selon l’assurance maladie, le montant moyen des dépassements facturés par les spécialistes représente 54 % des tarifs de la Sécurité sociale en 2010, contre 25 % en 1990. Le montant des dépassements, en 2010, s’est élevé à 2,5 milliards d’euros. Selon la Mutualité française, « en 2010, les dépassements progressent presque deux fois plus rapidement (+6,1 %) que le total des honoraires (+3,2 %) ». Une situation qui devient alarmante. Seulement voilà : elle ne semble pas alerter outre mesure le corps médical : « Les logiques des directions de cliniques et des médecins sont antagonistes. Qui plus est, la plupart des médecins n’ont pas non plus envie de devenir actionnaires. En cas de problème, ils pensent assez rapidement à quitter le navire, surtout s’ils ne sont pas actionnaires », détaille Jean-Christophe Briand. Et pas question, pour le moment, de compter sur une reprise des négociations au sujet du secteur optionnel, ce qui aurait permis de juguler en partie la hausse des dépassements d’honoraire : les complémentaires boudent les négociations, du fait de la nouvelle taxe qui leur est appliquée, dans le cadre de la loi de finance rectificative 2011.
Autre problème, que soulève Jean-Loup Durousset : la surspécialisation des médecins (cf. interview). « Cela crée des problèmes pour les cliniques qui veulent créer des pôles d’excellence : pour créer un pôle d’excellence, on risque d’avoir quatre ou cinq médecins, plutôt que trois, par exemple. En termes de facturation ça change tout, ça coûte plus cher à la clinique… »
Nouveaux types de rémunération
Dans un premier temps, il faudrait reconsidérer les relations qui se tissent, entre médecins et directeurs, via le contrat que signent les praticiens : « Les contrats signés avec les médecins, sous l’influence des groupes, ont évolué et écorné l’exclusivité accordée aux médecins, mais restent malgré tout très favorables aux médecins : l’embauche d’un autre médecin doit être approuvée par le médecin en titre. »
Ensuite, il faudrait penser à de nouveaux types de rémunération, et d’implication du médecin dans la clinique. Actuellement émerge un nouveau modèle, qui allie l’efficacité managériale des grands groupes à l’implication médicale propre aux cliniques éponymes. Il s’agit de groupes régionaux de taille moyenne, uniquement voués au MCO, ou alors plus exhaustifs, alliant MCO, Psy et Ehpad (5). Les plus emblématiques sont Hôpital privé métropole (HPM) au Nord, propriété des praticiens Fabrice Snauwaert et Frédéric Millot, et le groupe Courlancy en Picardie et Champagne-Ardenne des Drs Jean-Louis Desphieux et André Deslypper. Dans ces cliniques, le médecin est impliqué dans la « bonne marche », de l’entreprise, en tant que praticien actionnaire, tandis que le management a des gestionnaires, et une équipe réduite de management intermédiaire. Mais d’autres exemples existent, qui allient actionnariat et innovation en termes de rémunération : « Les cliniques nantaises ont mis en place un système où l’actionnariat du médecin augmente en fonction de son volume d’activité. Nous sommes dans un schéma où l’on ne peut pas distribuer de dividendes, car c’est grâce à ces derniers que l’on va financer des restructurations, des projets, des investissements… La polyclinique du parc Rambot à Aix-en-Provence a réussi à reconstruire une clinique avec un actionnariat uniquement composé de médecins. L’investissement s’élève à 70 millions d’euros ! Nous sommes dans un projet où les médecins, jeunes, sont motivés, ce qui est rare », raconte Jean-Christophe Briand.
Les cliniques, prestataires de services
Autre solution : le salariat. Contrairement à ce que l’on pense, le salariat intéresse de nombreux médecins. Mais, selon les dires de Jean-Loup Durousset (Cf. interview), ce mode de rémunération ne concernerait guère que les spécialités médicales et les SSR (6). Salarier un chirurgien, qui empoche en moyenne 80 000 euros de dépassements d’honoraire, contre 18 000 euros pour un psychiatre, est pour le moment inconcevable. En revanche, d’autres solutions se font jour, pour contenir les rémunérations jugées exorbitantes des chirurgiens. Contre une garantie sur des volumes d’activité, les praticiens, devenus prestataires de service, peuvent s’engager sur des tarifs raisonnables. Le Dr Jean-Luc Baron, praticien libéral en Languedoc-Roussillon, et par ailleurs président de la conférence des présidents de CME de l’hospitalisation privée, a lancé une étude de faisabilité sur le sujet : « Les médecins et notamment les chirurgiens peuvent créer des entreprises médicales et chirurgicales. Ils seraient considérés comme une société de service qui assurerait une accessibilité aux soins, de la qualité, et serait en négociation avec les directeurs d’établissement. Il faudrait laisser aux médecins – par exemple les orthopédistes – un territoire, lesquels médecins pourraient aussi contracter auprès des ARS. Ce qui n’est pas le cas actuellement, puisque seuls les établissements contractualisent. C’est une troisième voie. »
2. PMSI : Programme de médicalisation des systèmes d’information.
3. FHP-MCO : Fédération de l’hospitalisation privée-Médecine chirurgie obstétrique.
4. Ondam : Objectif national des dépenses d’assurance maladie.
5. Ehpad : Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
6. SSR : Soins de suite et de réadaptation.
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