Ces vingt pour cent de Français qui ont voté pour l'extrême droite, qui sont-ils, d'où viennent-ils ?
On peut, à juste titre, être consterné par la victoire que Jean-Marie Le Pen a remportée. Il ne faut pas pour autant oublier les comportements qui ont entraîné la mise en minorité de Lionel Jospin dont on admettra, comme François Hollande, qu'elle est « injuste et cruelle ». Si le résultat du scrutin, que personne n'avait prévu, laisse bouche bée, il n'en traduit pas moins l'état actuel de l'électorat. M. Le Pen et, accessoirement, Bruno Mégret, ont sans doute tiré avantage du mécontentement général de la population. Le score de l'extrême droite lui appartient donc, mais si les Français avaient « mieux » voté en quelque sorte, ils l'auraient relativisé.
Les vrais responsables
Il est vrai que Jacques Chirac et Lionel Jospin ont agi pendant la campagne comme si seul comptait le second tour. Ils ont été encouragés par les sondages qui n'ont révélé que très tardivement l'ascension de M. Le Pen, sans d'ailleurs en prévoir l'ampleur. Mais les vrais responsables de la chute de M. Jospin sont d'abord ceux qui ont une sensibilité de gauche et se sont abstenus ; ceux qui n'ont cessé de répéter « bonnet blanc et blanc bonnet » ; ceux qui ont voté pour l'extrême gauche sous le prétexte que les vastes programmes sociaux mis en uvre par M. Jospin ne leur suffisaient pas et ont préféré écouter les sirènes d'une impossible révolution, ou mieux encore, d'un impossible accroissement de la répartition de la richesse nationale ; ceux qui, n'ayant pas voté, ont cru bon de manifester spontanément le soir de l'élection.
Et contre quoi ? Contre le droit de choisir un candidat, fût-il d'extrême droite ? En France, on préfère la manifestation à l'exercice du droit de vote. C'est un comble !
Une honte, un scandale, « la France fait peur », comme l'écrit un journal espagnol ? Pourquoi croyez-vous que des électeurs ont voté Le Pen ? Parce qu'ils n'ont pas cessé d'entendre sur les médias les discours révolutionnaires de Mme Laguiller. Parce qu'ils n'ont pas vu que M. Jospin ou M. Chirac aient pris la mesure exacte de l'insécurité. Parce que personne, mais vraiment personne, ne s'est indigné de ce qu'on ait crié « Vive Ben Laden » en France, de ce qu'on ait sifflé la Marseillaise, de ce qu'on ait fait de la violence un privilège réservé aux laissés-pour-compte de la République.
Dans ces conditions, à quoi sert de combattre Le Pen par les mots et les cris ? Nous disposons tous d'un moyen simple, légal, direct de faire obstruction à l'extrême droite : le bulletin que nous déposons dans l'urne. Pour parvenir à nos fins, nul besoin de descendre dans la rue, ni de lancer des diatribes contre le fascisme, comme l'a fait Christiane Taubira, d'ailleurs avec éloquence et tempérament. Personnellement, nous l'avons trouvée excellente à la télévision, mais il demeure que son score de 2,2 % aurait suffi à faire passer Jospin si elle n'avait pas présenté une candidature pour proposer un programme dont on voit mal en quoi il se distinguait tellement de celui du candidat socialiste.
La dignité de Jospin
Il en va de même de Jean-Pierre Chevènement : la moitié des suffrages qu'il a obtenus aurait permis à M. Jospin d'être au second tour.
Quant à l'extrême gauche, d'Arlette Laguiller à Robert Hue en passant par le gentil Olivier Besancenot, non seulement ils ont effrayé l'électorat au point de donner à Le Pen une victoire inespérée, mais ils ont été battus et ont entraîné M. Jospin dans leur défaite. Et c'est eux qui se présentent comme le meilleur rempart contre le fascisme ? Ils en ont fait le lit.
La dignité de Lionel Jospin restera comme un exemple de vertu en politique. Cet homme a mis ses idées en application. Il a apporté au peuple tout ce qu'il pouvait raisonnablement lui donner, sans ruiner l'économie. Il est bien mal récompensé, mais il ne lui a pas fallu une heure pour tirer la leçon de son échec et décider d'abandonner la politique.
De même, les membres de son parti ont été exemplaires. C'est quand même extraordinaire d'entendre Martine Aubry déclarer qu'elle votera Chirac au second tour « sans état d'âme ». Voilà une vraie leçon de démocratie. Et encore une fois, Mme Aubry et ses amis socialistes, dont on ne doute pas des convictions antifascistes, ne croient pas avoir besoin de manifester. Ils vont voter et voter encore pour arrêter Le Pen.
Nous avons encore trois tours de scrutin pour prouver au monde que la France ne fait pas peur, que nous ne sommes pas un pays néofasciste, que nous ne sommes ni l'Italie ni l'Autriche. Nous sommes encore libres de nos choix. Nous pouvons voter à gauche, à droite, au centre. Nous pouvons repousser l'extrême droite et nous pouvons empêcher, comme par le passé, qu'elle soit représentée à l'Assemblée. Il n'en tient qu'à nous. C'est une affaire de responsabilité individuelle, et c'est à nous d'être sérieux, de mettre un terme aux querelles et aux divisions dans chacun des deux camps, d'oblitérer aussi le totalitarisme de l'extrême gauche, de réclamer la seule politique valable, celle du possible.
Ne perdons pas de vue que, parmi les électeurs de Le Pen et de Mégret, il y a des ouvriers et des pauvres qui sont excédés par des promesses qui n'ont pas été tenues, par les parlottes qui ne sont suivies d'aucune action, par la persistance de leur misère, et croient que la droite extrême va les sauver.
Contre eux pour leur bien
Nous sommes 80 % à rejeter le fascisme. Nous constituons une majorité écrasante. Eliminons Le Pen au second tour, ce qui ne sera pas difficile ; et votons contre le FN aux législatives.
Mais n'allons pas croire qu'en poursuivant des chimères égalitaires, qu'en nous laissant séduire par des slogans archaïques, qu'en nous jetant dans l'eau pour ne pas nous mouiller, nous irons mieux. N'allons pas croire qu'en traitant les insultes proférées contre la République et la violence ordinaire par la négligence bénigne, nous parviendrons à nos fins. Si nous sommes solidaires contre la tentation fasciste (et contre la tentation totalitaire), nous le sommes pour la démocratie.
Chirac sera donc réélu dans un vaste mouvement de protection de nos valeurs fondamentales. Après quoi chacun est libre de contribuer à la majorité parlementaire de son choix. Hier encore, nous soulignions les dangers de la cohabitation, le mal qu'elle a déjà fait en contribuant à priver Jospin de sa deuxième place. Mais une nouvelle cohabitation est infiniment préférable à l'arrivée à l'Assemblée d'élus du Front national. Quand nous aurons écarté ce danger, il faudra bien entendu se poser des tas de questions et y répondre : avons-nous la meilleure des Constitutions ? Le progrès social est-il incompatible avec l'ordre républicain ?
Des votes, pas des mots
Allons-nous enfin, en France, cesser de caqueter sur les horreurs de la mondialisation, sur l'impérialisme américain et sur le cadeau incomparable que l'intelligence de José Bové offre à notre civilisation ?
Si nous en sommes là, c'est parce que nous avons préféré la stridence des imprécations à la réflexion politique, l'absolutisme idéologique au pragmatisme, la bataille des mots à celle des votes. Si nous en sommes là, c'est parce que nous avons laissé les médias oblitérer notre raisonnement et jouer sur nos seules émotions, au lieu de nous offrir les instruments de la méditation politique. Si nous en sommes là, c'est parce que la politique du cur, la générosité immédiate, la simplification de problèmes complexes, les solutions expéditives ou électoralistes, la peur d'être soi-même et sincère en toute occasion, la démagogie, le mensonge, la malhonnêteté intellectuelle ou tout court, l'impétuosité irréfléchie face aux amalgames (tout dérapage social devient scandale, monstruosité, crime, fascisme, honte, même s'il est anodin) nous ont conduits à cette folie des mots qui a précédé l'irresponsabilité des choix électoraux.
La classe politique, avec laquelle nous n'avons jamais été tendre dans ces colonnes, n'est pas seule coupable. Les électeurs ont leur part dans le désastre : ils n'ont pas tous compris l'immense pouvoir qu'ils détiennent avec leur unique bulletin de vote.
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