De notre correspondante
à New York
LES CELLULES souches de la cornée qui gouvernent le renouvellement de l'épithélium cornéen résident dans la zone de transition entre la cornée et la conjonctive bulbaire, le limbe.
Si ces cellules souches cornéennes viennent à disparaître, en raison d'une maladie oculaire, comme le syndrome de Stevens-Johnson, le pemphigoïde oculaire, ou à la suite d'un traumatisme grave (brûlures chimiques ou thermiques), l'épithélium cornéen devient incapable de se régénérer. Il est alors envahi par l'épithélium de la conjonctive périphérique, la cornée s'opacifie. Il s'ensuit une atteinte sévère de la vision.
Lorsque le problème est unilatéral (traumatisme), la cornée peut être reconstruite par une greffe autologue du limbe prélevée sur l'œil sain. Mais si le déficit en cellules souches cornéennes est bilatéral, la seule option actuelle consiste en une allogreffe de limbe, laquelle nécessite une immunosuppression prolongée, avec ses risques de complications associées. L'échec de ces greffes est en outre fréquent chez les patients atteints du syndrome de Stevens-Johnson ou du pemphigoïde oculaire.
La muqueuse buccale du patient.
Dans le « New England Journal of Medicine », Nishida (université d'Osaka) et coll. décrivent une nouvelle méthode de greffe qui pourrait offrir à ces patients une chance de recouvrer la vue. Il s'agit de reconstruire la cornée avec des cellules épithéliales de la muqueuse buccale du patient lui-même.
A l'origine de cette stratégie, il y a deux observations :
- l'épithélium muqueux de la bouche exprime la kératine 3, elle-même exprimée dans l'épithélium cornéen, mais non dans l'épiderme ;
- des fragments de muqueuse orale ont déjà été greffés sur la surface oculaire pour traiter des ulcères cornéens ; toutefois, ces greffons visaient à rétablir la continuité plutôt qu'à améliorer la vision car ils restent opaques.
L'approche des médecins japonais réalisée chez quatre patients traités consécutivement est couronnée de succès.
Dans un premier temps, un échantillon tissulaire de 3 mm sur 3 a été prélevé à l'intérieur de la joue du patient (sous anesthésie locale), puis il a été mis en culture (sur des cellules 3T3 de soutien) selon un protocole précis. Après deux semaines, la couche de cellules épithéliales ainsi fabriquées a pu être détachée des surfaces de culture grâce à une réduction de température (de 37 °C à 20 °C) et recueillie pour la greffe.
Adhésion en quelques minutes sans suture.
Sur l'œil opéré, les chirurgiens ont enlevé le tissu conjonctif couvrant la cornée afin de réexposer le stroma cornéal transparent, puis ont déposé directement la couche de cellules muqueuses buccales sur le stroma. L'adhésion survient en quelques minutes sans suture.
La réépithélialisation complète de la cornée est apparue en une semaine sur les quatre yeux opérés. Dans tous les cas, la transparence de la cornée a été restaurée. Elle persiste après un suivi moyen de 14 mois et la vision s'est considérablement améliorée ; cela, sans complications. Ces résultats sont d'autant plus remarquables que 3 patients avaient reçu au préalable une allogreffe de cornée qui avait échoué dans l'année postopératoire.
« Cette méthode offre la possibilité de traiter des maladies sévères de l'œil réfractaires aux approches standards », concluent les chercheurs. « Un suivi à long terme et une expérience sur une série plus importante de patients seront nécessaires pour approfondir l'évaluation des bénéfices et des risques de cette méthode. »
Il reste à savoir si les cellules souches de la muqueuse orale peuvent se différencier en épithélium cornéen. Cela n'est pas certain, et il est tout à fait possible que la greffe d'épithélium ait pu améliorer le microenvironnement, activant ainsi des cellules souches résiduelles, observe le Dr Pellegrini (hôpital civil de Venise, Italie) dans un commentaire.
« New England Journal of Medicine », 16 septembre 2004, p. 1187.
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