Comme l'Ordre et la Coordination nationale des réseaux de santé en France, le chef du gouvernement estime que l'insécurité, qui est un « facteur pathogène vis-à-vis des patients » dépasse « le souci de protection des professionnels » ; elle implique, pour les médecins, une meilleure prise en compte de la santé des populations dans le cadre d'une approche « médico-psycho-sociale ».
Les risques du métier et l'insécurité dans les quartiers de non-droit de grandes agglomérations occupent le devant de la scène médicale depuis des années. « Nombre de professionnels, pompiers, pilotes d'avion ou chauffeurs de taxi sont exposés à des risques liés à leur activité, comme le sont les médecins susceptibles d'être agressés par des malades. Et, par ailleurs, il y a le phénomène de l'insécurité, qui, lui, n'est pas le fait de sujets présentant des troubles du comportement, mais témoigne d'un climat social réel, ressenti ou probable, dont nous ne connaissons pas l'ampleur », souligne le Dr Jacques Lucas, responsable de la section Exercice professionnel de l'Ordre national.
Un état des lieux
Pour mieux examiner la question, l'instance ordinale annoncera aux présidents et aux secrétaires généraux des cent trois conseils départementaux, réunis à Paris le 6 octobre, la création d'un observatoire de la sécurité. Il s'agit de savoir à quelles agressions sont confrontés les praticiens, libéraux et hospitaliers, « et de voir ce qui peut être fait ». « A l'échelon national, par le biais des ministères de l'Intérieur et/ou de la Justice, ce pourrait être une instruction aux parquets et/ou aux préfets, imagine le Dr Lucas ; au niveau des départements, l'Ordre pourrait être impliqué dans les contrats locaux de sécurité mis en place par les mairies ».
La société qui réclame des médecins un devoir d'assistance doit, en échange, les protéger.
L'Ordre consacrera une page de son bulletin mensuel de novembre à un questionnaire sur l'insécurité, de manière à répertorier les diverses agressions, ce que s'emploie aussi à faire l'IGAS avec le concours des DDASS et des conseils ordinaux. Un état des lieux fait par l'Ordre et par l'inspection générale des Affaires sociales sera rendu public d'ici à la fin de l'année. Puis, à terme, les médecins pourront signaler directement les incidents dont ils sont l'objet sur le site Internet de l'Ordre (www.conseil-national.medecin.fr).
« L'autre aspect de l'insécurité, c'est de contribuer à créer des zones de non-droit et par là-même une baisse de la qualité des soins, ces lieux pouvant aller jusqu'à se transformer en zones de non-soins. Or, tient à souligner le Dr Lucas, l'insécurité touche à la qualité de la vie et représente un facteur pathogène pour les patients. Elle dépasse le souci de protection des professionnels. Il est impératif d'aller au-devant de ces populations, de ne pas les abandonner. C'est à ce prix que les médecins se sentiront en sécurité. »
Des pionniers
A Franc-Moisin, quartier « sensible » de Saint-Denis, ses 12 000 habitants « aux 30 communautés », quatre médecins et deux pharmaciens ont déjà mis en application les idées du conseiller ordinal national, depuis bientôt dix ans. A entendre le Dr Didier Ménard, l'un des quatre praticiens, président de la Coordination nationale des réseaux de santé en France, le sésame en a été la création d'une association rassemblant toutes les professions de santé et cinq adultes-relais, sorte de « médiateurs santé » avant l'heure ; « car notre mission, insiste-t-il, n'est pas médico-médicale, mais médico-psycho-sociale ».
En définitive, plus que des mesures sécuritaires au sens stricte, les intervenants médico-psycho-sociaux apportent des réponses relationnelles et sociales à la violence engendrée par les mauvaises conditions de vie. « Bien sûr, on doit travailler avec des précautions, disposer d'une sécurité minimale, admet le Dr Ménard, mais ce n'est pas à l'Etat de le faire. Quant à la vidéosurveillance, personnellement, je n'y crois pas. En revanche, mieux vaut avoir une secrétaire de la cité qui saura pallier les carences relationnelles, voire éviter quelques passages à l'acte violent. Pour ce qui est des maisons médicales, si elles ne regroupent que des médecins, c'est, là encore, une illusion. Il faut les ouvrir à d'autres professionnels qui ont des compétences en gestion du risque psycho-social. Alors, mais seulement à ce prix, elles auront une réelle efficacité. Des étudiants en médecine, en stage de formation, y seraient les bienvenus pour apprendre à se comporter dans des zones sensibles. » « Oui, affirme avec conviction le Dr Didier Ménard, la conjugaison des activités de soins et des activités sociales est prodigieusement efficace. Evidemment, si, demain, deux gangsters, arme au poing, viennent me demander ma Carte bleue, tout ça ne protégera pas. Mais la souffrance des gens, qui, ici, ne peut s'exprimer que par la violence, est prise en compte. C'est elle qui m'intéresse en tant que médecin. Aussi, avec la main tendue à des collègues du psycho-social, nous désamorçons les colères et nous soignons ceux qui en sont les prisonniers. N'oublions pas que le médecin n'est plus reconnu et n'est plus respecté par son titre, en banlieue comme à la campagne d'ailleurs, mais par la nature du service qu'il rend à la population. Le médecin est un acteur de santé publique, qui doit contribuer à l'amélioration de l'état de bien-être. Il est normal, à ce titre, qu'il soit présent dans les "ateliers santé" des villes. L'insertion des plus abandonnés passe par la santé et par l'économique. Lorsque la reconnaissance du service rendu apparaît, elle n'est pas factuelle, mais réelle. » Mais « il importe de veiller à ce que les maisons médicales ou les ateliers de santé ne se transforment pas en lieux d'expression du corporatisme. Nous, médecins, devons y amener notre savoir-faire et nos compétences ».
« Pour moi, conclut le praticien, il est clair qu'en améliorant la santé des populations, et je ne parle pas de maladie, dans des zones sensibles, par une approche médico-psycho-sociale, on réduit d'autant la violence qui existe dans ces quartiers, et par là-même le médecin y trouve de meilleures conditions de travail. » Cela marche à Saint-Denis mais aussi à Alès, à Béziers, à Strasbourg ou dans l'agglomération lyonnaise.
500 millions pour les maisons médicales
En se rendant lundi sur le terrain, à Trappes, en particulier, le Premier ministre, en compagnie de Claude Bartolone et d'Elisabeth Guigou, a pu constater que, pour faire reculer l'insécurité, il faut rompre l'isolement du médecin de famille. Reprenant les conclusions d'une rencontre organisée par le ministre délégué à la Ville, le 11 juillet dernier (« le Quotidien » du 17 juillet), il encourage la multiplication des maisons médicales et des médiateurs santé dans les cités. Quelque 500 millions de francs pourraient être débloqués par le ministère de la Ville et la CNAMTS pour les maisons médicales et l'Etat financera à hauteur de 80 % les médiateurs, qui peuvent servir de « correspondants de nuit » pour les généralistes, recrutés sur la base de contrats-emplois consolidés. Enfin, le Fonds de revitalisation économique devrait payer les frais d'équipements pour sécuriser les cabinets, les centres de soins et les pharmacies, ou compenser les dépenses en cas de vol.
35 milliards pour les quartiers en difficulté
Le plan en faveur des quartiers en difficulté annoncé par Lionel Jospin à Trappes, à l'issue d'un Comité interministériel des villes (CIV) à Matignon, prévoit 5,34 milliards d'euros (35 milliards de francs) sur cinq ans, 10 milliards de crédits budgétaires et 25 milliards de prêts aux collectivités locales. Ce programme permettra à 30 villes supplémentaires de bénéficier du programme de renouvellement urbain décidé lors du précédent CIV, en décembre 1999, qui avait notamment accordé des crédits exceptionnels à 50 grands projets de ville et 30 sites.
Pour en « finir avec les "cités-dortoirs" », M. Jospin a précisé qu'un « rythme de démolition de 30 000 logements HLM par an devrait être atteint dans les années à venir », contre 10 000 cette année. Le gouvernement va aussi consacrer plus de moyens aux copropriétés en difficulté afin de permettre la réhabilitation de 10 000 logements supplémentaires. Le Premier ministre a également évoqué un « programme de grands travaux visant à rompre l'enclavement de certains quartiers », coupés du reste de la ville par des routes ou des voies de chemin de fer.
Deuxième volet du CIV : « l'amélioration de la qualité de la vie » et la sécurité, qui passe notamment par un « renforcement de la présence humaine ». Les collectivités locales, les établissements scolaires et les organismes HLM auront désormais la possibilité de recruter dans le cadre du programme de 10 000 adultes-relais lancé en 1999. Le gouvernement impose aussi l'augmentation du nombre de gardiens d'immeubles, à hauteur « d'un gardien pour 100 logements dans les quartiers sensibles ». C'est dans ce cadre que le Premier ministre a promis une « attention particulière » accordée aux professions de santé : l'Etat financera des mesures de sécurisation des cabinets médicaux et des pharmacies et encouragera la création de maisons médicales.
M. Jospin a aussi souligné que le gouvernement aiderait les villes les plus pauvres à réhabiliter - voire à reconstruire - les écoles, en favorisant la création de « lieux d'accueil et de rencontre avec les parents ».
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